Prenons de la hauteur...
La fondation
Le 17 octobre 1235, l’église de Royaumont, abbaye cistercienne d’hommes fondée par Louis IX (Saint Louis), est consacrée en grande pompe. Quelques mois plus tard, la mère du roi, Blanche de Castille, décide la création près de Pontoise de Notre-Dame-la-Royale, abbaye cistercienne de femmes.
Le choix du lieu ne doit rien au hasard. La famille royale séjourne très souvent au château de Pontoise. Le fief de Maubuisson, dont la fondation prendra le nom, se trouve dans les faubourgs de la ville ; il est proche de deux voies de communication importantes dans l’économie régionale – la route Paris-Rouen et l’Oise ; au confluent de la rivière avec le ru de Liesse, la vallée s’élargit assez pour offrir l’espace nécessaire au futur domaine ; elle est riche en sources, qui permettront de créer des étangs à poissons ; cette réserve d’eau alimentera le canal du monastère et fera tourner son moulin à blé ; enfin, l’exploitation des carrières de pierre locales abaissera les coûts de construction.
Le programme de construction
Maubuisson est vite bâtie : le chantier démarre en 1236, les premières moniales arrivent en 1242, leur église est consacrée deux ans plus tard. La rapidité des travaux implique leur planification, chaque étape déterminant la suivante : l’aménagement des terrasses, la pose des canalisations, l’édification des bâtiments sont soigneusement articulés.
Cîteaux et les femmes
Au XIIe siècle, de nombreux monastères féminins se placent sous la protection d’abbés cisterciens, sans obtenir leur affiliation à l’ordre. Le prédicateur Jacques de Vitry (1240) s’écrie :
« Le groupe des religieuses de l’ordre cistercien se multiplia comme les étoiles du ciel et devint immense, grâce à la bénédiction de Dieu qui a dit : « Croissez, multipliez, emplissez le Ciel ». Des abbayes étaient fondées, des monastères bâtis, des cloîtres remplis ; les vierges affluaient, les veuves accouraient, et les femmes mariées abandonnaient avec l’accord de leur mari le mariage charnel pour des noces spirituelles ».
Débordé par ce succès, le Chapitre général de Cîteaux finit par admettre officiellement les établissements de moniales, en exigeant leur clôture stricte. Avant toute création, il envoie deux abbés vérifier la conformité des lieux et l’existence de ressources suffisantes à la vie de la communauté, dont l’effectif est fixé par le pape. Les premières codifications spécifiques datent de 1237.
Plan du carré claustral
Le domaine
Alors que leurs frères moines recherchent la solitude des déserts, les moniales cisterciennes se retranchent hors du monde dans le monde. Comme beaucoup de couvents de femmes, Maubuisson est édifiée dans les faubourgs d’une ville. L’enceinte extérieure du domaine enferme une trentaine d’hectares occupés par des jardins, des potagers, une ferme avec maison, grange, colombier et moulin. On y trouve aussi une chapelle, une infirmerie pour les malades, une hôtellerie pour les visiteurs, des écuries pour leurs chevaux. Quand elle visite son abbaye, Blanche de Castille habite la Maison de la Reine, qui deviendra plus tard le Logis du Roi. Mais, sauf exception, les religieuses ne rencontrent jamais les laïcs, elles sont enfermées dans le carré monastique, soumis à une clôture stricte.
Ruines de l’abbaye après le 7 septembre 1798
Les perspectives de la gravure de Chastillon, éditée au début du XVIIe siècle, sont fausses : l’aile des moniales est figurée dans le prolongement de l’église, alors que les latrines n’apparaissent pas. Mais cette gravure est la seule illustration ancienne du monastère. On reconnaît à gauche le Logis du roi ; au centre l’église gothique et son clocheton reconstruit au XVIe siècle ; à l’avant du chevet, la maison des confesseurs.
La charte de fondation
Une puissance solidement assise
D’emblée Maubuisson est dotée par sa fondatrice d’une assise foncière et rentière importante. Les terres cédées par les religieux de Saint-Martin de Pontoise sont en plein coeur d’un terroir anciennement cultivé et densément peuplé. En dix ans, Blanche de Castille parvient à rassembler autour trois fiefs, pour former le domaine abbatial proprement dit. Elle rachète à des seigneurs laïcs les dîmes inféodées de trois terroirs du Vexin Français, où les cultures céréalières connaissent des rendements élevés. Elle alloue aux religieuses des rentes annuelles et perpétuelles, en nature ou en argent, sur ses châtellenies de Meulan, Pontoise, Étampes, Dourdan, Pierrefonds, Crépy-en-Valois et Marolles-en-Brie.
La première abbesse Guillemette (1242-1275) renforce cet héritage en y ajoutant des domaines en Beauvaisis, Normandie, Parisis, et deux seigneuries dans le Vexin Français. Ces exploitations, proches du monastère, communiquent aisément avec lui par voie de terre ou par voie d’eau. Relativement spécialisées, elles sont complémentaires : celles du Beauvaisis et de Normandie sont orientées vers l’élevage et les ressources forestières ; celles du Parisis et du Vexin Français, vers les cultures céréalières ; deux autres, enfin, sont d’abord viticoles : Frépillon et surtout Nonciennes, sur les coteaux qui dominent la Seine au-dessus de Meulan.
La deuxième abbesse, Blanche de Brienne d’Eu (1275-1308), poursuit le travail de Guillemette : elle consolide les seigneuries et acquiert la nue-propriété des parcelles proches ou incluses dans la « terre des Dames ». Cette concentration se fait par achats, échanges et donations. Mais les opérations les plus spectaculaires sont deux achats de créances sur le Trésor royal : en 1302-1305, Blanche dépense une somme six fois supérieure à celle engagée en vingt ans dans les seigneuries.
Cet engagement résolu est encore renforcé par les dots substantielles des religieuses issues de milieux fortunés, et par les donations pieuses. Jusqu’alors insignifiantes, elles se multiplient à la fin du siècle ; elles portent plus souvent sur des rentes que sur des maisons ou des terres, et sont toujours assorties de conditions : sépultures dans l’enclos conventuel ou dans l’église abbatiale, célébrations d’anniversaires ou fondations de chapelles.
Longue d’environ 60 m et large de 21 m, l’abbatiale comportait une nef et deux bas-côtés divisés en sept travées, un transept légèrement débordant et un chevet en abside. Deux chapelles encadraient l’abside.
L’église
« L’église est fort haute, à deux ailes avec un petit clocher qu’on y a fait refaire, depuis que le grand pyramidal a été brûlé, environ l’an 1540. Dedans le choeur où chantent lesdites religieuses, se trouvent quatre rangs de chaires (…) et est le pavé enrichi de figures et de plusieurs tombes de marbre noir et blanc. Dedans l’autre choeur, où les moines chantent la grand-messe, à côté dextre (droit), il y a encore trois sépultures élevées en marbre, de quelques grandes dames ou princesses ».
Noël Taillepied. Recueil des Antiquitez et singularitez de la Ville de Pontoise, 1584.
Ce plan a été dressé en 1792 avant la vente comme bien national
L'eau à Maubuisson
La reine Blanche de Castille fonda en 1236 l’abbaye Notre-Dame-la-Royale dite de Maubuisson pour y accueillir des religieuses cisterciennes. Elle installa le monastère au confluent des vallées de l’Oise et de la Liesse, face à Pontoise où la cour séjournait souvent.
La création de digues sur le ru de Liesse permit l’installation des quatre étangs de La Vacherie, de Liesse, de Saint-Prix et de Maubuisson.
Ces étangs servaient à la fois de viviers où pêcher le poisson servi à la table des moniales et de retenues d’eau constantes où s’alimentait le canal artificiel traversant l’enclos. Ce canal faisait tourner un moulin, nettoyait les latrines, évacuait les eaux usées et pluviales.
L’abbaye était alimentée en eau potable par un aqueduc long de deux kilomètres provenant de la source de La Vacherie, aujourd’hui connue sous le nom de source Blanche-de-Castille.
Réseau hydrographique de Maubuisson
L’abbaye fut installée sur les terrains sains et stables au-dessus des marécages de la rive gauche du ru de Liesse.
Les observations faites lors des fouilles montrent que les constructeurs ont préparé soigneusement le terrain en étalant et damant une couche de poudre de calcaire à l’emplacement des futurs bâtiments. Ils ont aussi planifié rigoureusement leurs travaux et utilisé en priorité les matériaux disponibles sur place.
Pour corriger la pente naturelle du site, ils ont aménagé trois terrasses et pris pour deux d’entre elles la terre tirée des tranchées de fondation des murs. La première plate-forme s’appuyait au nord sur le grand canal et le bâtiment des latrines, au-delà desquels s’étendaient en contrebas les jardins ; la seconde terrasse supportait le réfectoire et le cloître ; sur la troisième, l’église s’élevait au point culminant de l’enclos.
À Maubuisson, le cloître flanque le mur nord de l’église. Les observations faites dans d’autres abbayes cisterciennes montrent que la disposition du cloître est en relation avec le choix du site, sur la rive gauche ou droite de la vallée : les religieux installent toujours l’église au point le plus haut, puis ils édifient les autres bâtiments en direction du fond de la vallée, de façon à ce que les constructions domestiques soient au plus près du cours d’eau.
De ce fait, quand le monastère s’élève sur la rive gauche, le cloître est bâti au nord quand, quand il s’implante sur la rive droite, il est bâti au sud.
D’emblée, les architectes intègrent l’eau à leur projet
1. Ils installent les structures hydrauliques de base : digue, canal, aqueduc, égout voûté d’évacuation du lavabo
2. Ils élèvent les bâtiments
3. Ils construisent le caniveau d’évacuation des eaux pluviales
4. Ils posent les canalisations de distribution d’eau potable
Le grand canal collecteur
Le grand canal construit en pierres de taille collectait les eaux usées et pluviales et évacuait les immondices à l’extérieur du monastère. En amont des bâtiments, une partie de son cours à ciel ouvert est encore visible dans le parc ; sa longueur totale à l’intérieur de l’enclos était de trois cents mètres.
Il s’alimentait au grand étang de Maubuisson retenu par une digue coupant la valée (1). L’actuelle rue Alexandre-Prachay emprunte cette ancienne digue, dont on peut voir certains contreforts et déversoirs dans le mur sud-est de l’enceinte de l’abbaye. L’emplacement du grand étang (2) est aujourd’hui occupé, après recreusement récent, par des bassins de pêche.
Avant d’évacuer les eaux usées du couvent, le canal faisait tourner la roue d’un moulin à blé (3), recevait le trop-plein du lavabo (4), et alimentait le lavoir. Puis il passait sous les bâtiments monastiques où il nettoyait les latrines (5), recueillait les eaux de pluie (6) et aussi les eaux usées des cuisines.
Il poursuivait sa trajectoire sous un bâtiment médiéval (7) dont subsiste un vestige de mur, et ressortait à quelques mètres au nord de la grange de l’abbaye (8).
Le lavabo médiéval
Le nom de lavabo s’applique aujourd’hui à des installations ou à des appareils sanitaires ordinaires, à l’esthétique souvent médiocre. Mais au Moyen Âge, le lavabo ou lavatorium était un élément parfois monumental du cloître, plus ou moins décoré selon l’ordre dont relevait l’abbaye et l’époque à laquelle il avait été construit. Dans tous les cas, il était au centre de la vie quotidienne et religieuse. L’eau y était puisée pour les repas et pour laver le linge, les moines ou les moniales venaient y faire leurs ablutions avant de pénétrer dans le réfectoire…
Le lavabo s’adossait au mur près du réfectoire ou, comme à Maubuisson, s’élevait dans le jardin du cloître. Il adoptait alors la forme d’un pavillon au centre duquel l’eau jaillissait dans une vasque, puis s’écoulait dans un bassin par de multiples orifices.
Plan de fouille du lavabo
Le fonctionnement du lavabo (coupe schématique)