A l’époque gauloise, la région est occupée par les Aulerques, une peuplade liée au système politique des Eburovices. Ils ne seront pas cités dans le programme de mobilisation élaboré par Vercingétorix pour former l’armée de secours à diriger sur Alésia. Sans doute leurs contingents seront-ils mêlés à ceux des Veliocasses, soit un ensemble de quatre mille combattants. A cette époque où les cheminements sur berge collectent l’essentiel du trafic, les Aulerques ont pour artère majeure le cours de l’Iton, un affluent de l’Eure. De nombreux villages se sont installés sur les berges mais le site majeur sera engendré par l’articulation des voies romaines. Dès la mise en œuvre du plan d’Agrippa, un itinéraire longe les rives de la Manche avec 50 à 70 km de recul afin de lier les peuplades qui avaient privilégié les débouchés maritimes. Le tronçon qui joint Amiens à Lisieux, franchit la Seine en un point optimum pour l’implantation d’un pont de bois, ce sera l’origine de Rouen. Ensuite, diverses voies se dirigent vers le sud et l’une d’elles joint Chartres en franchissant l’Iton en un lieu qui deviendra la cité de Mediolanum Aulercorum, : Evreux.
Au siècle des Antonins, l’agglomération qui s’est développée sur les basses terres de la rivière sera à l’origine de six voies rayonnantes et son maillage urbain doit former un rectangle de 1.000 x 700m, soit 70 ha pour une population intra muros supérieure à 25.000 habitants. L’agglomération comporte un amphithéâtre et des thermes. Cependant, comme de nombreuses fondations romaines en milieu rural où l’articulation dite celtique domine, la cité sera artificielle et fragile. Après la crise du bas empire, nous la retrouvons repliée derrière une puissante muraille pour une superficie de 6ha 5, soit une réduction de 80% environ. Cependant, cette surface ne représente pas la totalité de l’espace occupé. Au siècle des Antonins, un faubourg s’était développé dans le prolongement du decumanus sur les terres arrosées par les bras secondaires de l’Iton, et là, vivaient artisans et main d’œuvre saisonnière. Ces installations vont disparaître dans la tourmente de 250/275 puis renaître rapidement et leur population accueillera les premiers missionnaires chrétiens dont Saint-Taurin dont nous ignorons tout ou presque. Cependant, la situation de son lieu de culte indique qu’il exerçât son ministère avant les édits de Théodose (avant 396) et peut-être fut-il parmi les victimes des grandes persécutions de Dioclétien.
Comme nous l’avons vu en son temps, Évreux traverse le premier millénaire sous forme bicéphale avec la cité du bas empire en guise de réduit et l’activité artisanale rassemblée sur les rives de l’Iton autour de l’église Saint-Taurin. La position comtale (A) occupe l’angle nord est de la cité et l’enclos ecclésiastique (B) l’angle opposé. Ce volume fortifié a occupé la majorité des axes romains établis dans la vallée et le cheminement sur berge s’est dérivé vers le nord sur un itinéraire de tracé empirique (C.D), avec une place de marché (E). Le développement économique des XIIe et XIIIe siècles favorise ce quartier nord qui finit par rassembler la majorité des commerçants et devient très riche. Au XIVe siècle il sera cerné d’une nouvelle muraille (F.G.H.J) avec des portes (K.L.M) très élaborée et comportant des sas de contrôle pour les chariots (N). La cathédrale (P) conserve son emplacement et sera reconstruite en roman, 1050/1150, puis en gothique, 1200/1550.
Les temps chrétiens
Après les derniers troubles du début du V°s.¨où les phénomènes extérieurs semblent grandement accentués par une lâcheté collective, les occupants de la cité d’Evreux qui avaient accueilli, contraints et forcés, le premier évêque imposé par les édits impériaux, comprennent tout l’intérêt qu’ils peuvent tirer du phénomène chrétien. Vers 420/450, une cathédrale est construite intra muros dans un angle de la cité et son emplacement ne changera plus au cours des siècles, l’angle opposé étant déjà occupé par le château comtal, disposition souvent constatée. Ces premières cathédrales sont de structure basilicale, les élévations sont portées par des colonnes monolithiques de récupération dégagées des ruines romaines et la nef est couverte de charpente, comme le transept. Dans la cité où l’urbanisation est très dense, la taille de cette cathédrale est réduite et 16 à 18m de large sur 24/30m de long sont des estimations raisonnables. L’emplacement choisi est contiguë au mur d’enceinte et à proximité d’une porte afin que les chrétiens du bourg puissent accéder sans difficulté. Cependant, le petit peuple ne se reconnaît plus dans cette église bourgeoise et le culte de Saint-Taurin va s’imposer dans le quartier populaire de l’ouest et, comme bien d’autres agglomérations, Evreux prend un caractère bicéphale qu’elle conservera longtemps.
Au Mérovingien puis au Carolingien, l’agglomération se développe à nouveau mais selon le schéma légué par le bas empire : artisans et population laborieuses dans le bourg Saint-Taurin où les multiples petits cours d’eau sont aménagés pour la circulation des barques et l’exploitation de l’eau courante tandis que commerçants et notables demeurent dans la cité qui peut servir de refuge le cas échéant. Mais la configuration urbaine évolue, les murailles de la cité ont coupé tous les axes antiques longeant la vallée et le transit économique s’est dérivé vers le nord avec une place de commerce établie sous les murs du domaine comtal que la cité a repris en mains.
Au Carolingien, c’est cette agglomération bicéphale comptant environ 8.000 personnes, 3.000 dans la cité et 5.000 hors les murs, qui sera saccagée par les Normands, en 885, puis en 889. Les faubourgs sont ruinés et la cité doit négocier avec ces barbares qui contrôlent le littoral et l’ensemble des fleuves. En 911, elle se trouve incluse dans le duché concédé à Rollon.
Après deux ou trois générations, les conquérants majoritairement issus de mariages mixtes, sont devenus chrétiens et se comportent en véritables féodaux. Sur la partie primitivement concédée à Rollon et pour organiser leur implantation, ils vont s’appuyer sur les cités et favoriser l’église, Guillaume longue épée donne le ton en restaurant l’abbaye de Jumièges. Ceci fait, ils partent à la conquête des terres situées à l’ouest, en 924 ils sont sur la Vire et, en 932, occupent le Cotentin. Le duché de Normandie est devenu une composante politique en Occident.
Les cathédrales successives
A Evreux, la cathédrale du bas empire fût sans doute plusieurs fois endommagée ou ruinée par les incendies très fréquents dans ces villes fermées à l’urbanisation trop dense, mais elle sera constamment et religieusement restaurée. Un édifice plus vaste fût-il construit à l’époque carolingienne, nous l’ignorons?. Même incertitude pour la période faste du XI°s. où bon nombre de cathédrales normandes font l’objet d’une refonte complète. Selon les textes, l’ouvrage entre dans l’histoire en 1119 ou Henri Ier, roi d’Angleterre, assiège et incendie la ville. Le feu gagne la cathédrale que l’on dit entièrement détruite, d’où l’hypothèse d’un édifice basilical carolingien restauré après le passage des Normands.
La reconstruction commence dans les mois qui suivent et portent sur la nef. L’ouvrage nouveau est particulièrement puissant, les piles à structure rectangulaire sont flanquées de quatre colonnes engagées et de huit colonnettes. Ces supports s’inscrivent dans un cercle de 2m 10 pour une largeur à l’axe de 8m 45, l’entrecolonnement moyen est de 5m 80 et la largeur interne, bas côtés compris, était de 17m 80. Ces dimensions nous indiquent sans ambiguïté que l’ouvrage était conçu pour être voûté. Ces bases permettaient de lancer des doubleaux de 6m 30 de portée, et de monter des voûtes d’arêtes de 5m 20 par 7m environ. Le récent dégagement des maçonneries romanes de la face interne des tours a fait apparaître l’amorce de croisées d’ogives mais cette découverte pose davantage de questions qu’elle n’en résout.
Marcel Aubert donne pour ces voûtes sur croisées d’ogives la période 1026/1039, mais cette datation apparemment logique s’intègre mal dans les hypothèses de programme. Si la cathédrale brûle totalement, les travaux doivent commencer par le chevet en 1120 et le problème des voûtes de la nef se posait vers 1138/1140. Par contre, si les travaux commencent par la nef, c’est que la ruine de l’ouvrage ne fut que partielle et, dans ce cas le plus probable, il nous faut imaginer un chevet suffisamment robuste pour résister au sinistre et abriter les offices jusqu’à la campagne gothique de 1290/1360.
Nous proposons un ensemble oriental comportant une abside voûtée prolongée de deux parties droites coiffées de voûtes d’arêtes et flanquées de deux profondes chapelles latérales également voûtées, le tout réalisé sur le dernier tiers du XI°s. La largeur à l’axe de 8m 45, ultérieurement reprise pour la campagne XII°s. convenait parfaitement au voûtement et l’ouvrage dans sa facture s’apparentait au chevet de l’abbaye aux Dames de Caen. Cette campagne doit s’achever vers 1100 par l’installation d’une tour lanterne dans un transept antérieur. L’empreinte au sol de ce dernier semble étranger aux ouvrages normands avec tribunes de la seconde moitié du XI°s. En 1119, la cathédrale comportait toujours une nef basilicale de structure légère et c’est elle qui va le plus souffrir du sinistre. Là encore, nous pouvons nous référer à l’enveloppe extérieure de l’abbaye aux Dames de Caen.
En 1120, chevet, transept et une ou deux travées de l’ancienne nef rapidement relevés suffisent pour l’exercice du culte. La nouvelle campagne commence donc par l’ouest sur un entraxe compatible avec l’existant.
Chronologie résumée
Après les saccages engendrés par les Normands, la ville se relève et entreprend vers 980/1020 la construction d’une nouvelle cathédrale avec abside, transept et une longue nef de sept à huit travées, soit le volume de l’ouvrage actuel. Vers le milieu du XI°s., le chapitre demande un ensemble oriental à la mesure des besoins liturgiques. Suit la construction d’un chevet puissant et entièrement voûté et aménagement d’une tour lanterne dans l’ancien transept. L’incendie de 1119 détruit complètement la nef légère et endommage le transept. En 1120 un nouveau programme est à l’étude et le chapitre refuse de mettre en cause les parties orientales trop récentes. De 1120 à 1145, construction d’une nouvelle nef qui doit respecter l’entraxe de la croisée existante, l’ensemble sera voûté sur croisées d’ogives de 1130 à 1145 (période probable). Dès 1130/1140, le volume de la nef est achevé et un narthex vient clôturer l’ouvrage à l’ouest. Il est constitué de deux tours comme il convient dans l’Ecole Normande. Le couronnement des trois tours doit tarder, comme de coutume, et l’achèvement définitif de l’ouvrage peut se situer vers 1160.
La cathédrale gothique
En 1194, nouvel incendie provoqué par les soldats de Philippe Auguste qui assiègent la cité à leur tour. Le feu prend dans les bâtiments qui flanquent la courtine sud, se propage dans l’évêché et atteint le croisillon toujours couvert sur charpente. Il gagne ensuite l’ensemble des combles, le robuste chevet roman tient bon une fois encore, transept et tour lanterne sont sérieusement endommagés et c’est côté nef que les dégâts sont les plus importants. Les lourdes voûtes archaïques édifiées de 1130 à 1140, et non épaulées par des tribunes voûtées, vont s’écrouler en partie, les dégâts sont considérables.
Les premiers travaux doivent permettre la reprise des offices, le chevet roman est rapidement réparé 1200/1210 environ puis les travaux portent sur le transept et la tour lanterne. Cette dernière, restaurée, tiendra encore deux siècles, achèvement des travaux vers 1230/1235. En 1240, le chapitre aborde la réparation de la nef. Ce qui subsiste des parties hautes sera démonté jusqu’au sommet du premier niveau et reconstruit en gothique avec triforium aveugle, grande fenêtre haute, voûtes d’ogives et arcs boutant. Ces travaux sont terminés vers 1270/1280, dès lors, le vieux chevet roman du XI° paraît bien archaïque et sa reconstruction commence vers 1290.
Ce sera un vaste ensemble comportant quatre travées droites, collatéraux et sanctuaire avec déambulatoire et chapelles rayonnantes et, finalement, des chapelles latérales viendront flanquer les bas-côtés. Le parti choisi est celui du XIV° s. avec trois niveaux et triforium ouvert. Le maître d’œuvre va rompre avec la règle de conformité jusqu’alors respectée, l’entraxe du nouveau chevet est porté à 11m 70 et sera lié à la vieille tour lanterne avec une travée trapézoïdale, achèvement du chevet vers 1350/1360.
De l’ouvrage roman, il ne reste alors que le transept et la tour lanterne maintes fois réparés et toujours debout, et ses grandes arcades coupent la nouvelle perspective. Cette partie centrale sera reprise de 1380 à 1440. Les parties hautes de la tour sont démontées jusqu’au niveau des renforts établis vers 1210 et la nouvelle œuvre reconstruite dans le style du siècle. Enfin, c’est au tour du transept d’être réaménagé. Le croisillon nord reçoit une très riche façade vers 1500/1550, le gros œuvre est achevé. Entre temps, la chapelle axiale et les chapelles latérales de la nef ont été réalisées vers 1450.
Actuellement, les parties les plus anciennes de la cathédrale d’Évreux, sont les grosses piles surmontées d’arcades en plein cintre et formant le premier niveau de l’élévation (A). Elles sont attribuées à la reconstruction qui suivit l’incendie de 1119. l’entraxe est de 8m45 (B) avec une croisée à l’avenant (C) et un ancien transept (D) refait mais dont l’empreinte au sol donne des valeurs de 7m30 de portée (E) et de 8m60 à l’axe (F). La nef fut construite d’est en ouest de 1120 à 1140 avec deux tours de façade (G) et la travée contigüe à la croisée (H) est plus grande, d’où l’antériorité du transept et l’hypothèse d’un chevet de la même époque (XIe siècle). Nous proposons une abside très étroite et voûtée (J) avec collatéraux également voûtés (abbaye aux Dames de Caen) plusieurs fois remanié ce chevet subsistera jusqu’à la construction de l’oeuvre gothique (K) réalisée de 1290 à 1360. La croisée déjà reprise après l’incendie de 1194, est entièrement reconstruite de 1380 à 1440. La chapelle axiale (L) ainsi que les chapelles latérales de la nef (M) sont réalisées de 1440 à 1455, enfin la façade du croisillon sud (N) est entièrement reprise en 1540. C’est l’achèvement du gros oeuvre.
De la nef construite après l’incendie de 1119, sur une période de vingt années, soit 1120/1140, il ne reste que les grandes arcades du premier niveau (A). C’est peu pour restituer l’ouvrage dans son élévation initiale mais nous allons tenter de dégager les hypothèses les plus satisfaisantes. Ce premier niveau préservé fait 9m de haut (B), et les murs extérieurs (C) dont nous retrouvons la position sur la tour sud, donnent un bas côté large de 4m90 (D) avec des travées légèrement barlong susceptibles de recevoir des voûtes d’arêtes (E) comme dans l’oeuvre contemporaine de Saint-Georges de Boscherville. Le second niveau est plus aléatoire et nous opterons pour une tribune non voûtée. Dans le cas d’une quadruple élévation, et avec tribunes voûtées (F), les grandes voûtes auraient atteint 23m de haut (G), soit plus que l’ouvrage gothique, 21m70 à la clé. Nous avons donc représenté des tribunes à la manière normande (H) accessibles et sous charpente mais avec des arcs perpendiculaires (J), comme dans la nef contemporaine de Durham. Le troisième niveau (K) comporte naturellement un registre de fenêtres hautes avec ou sans galeries de circulation (L.M). Cette restitution nous donne une hauteur de 20m/20m50 sous clé avec des voûtes sur croisées d’ogives archaïques (N). Arc de la première tour lanterne (P), arc de renfort établi après l’incendie de 1194 (Q), faisceau de piles XIIIe siècle subsistant (R).