Très beau château et beaux vestiges de la basse cour. L’arboretum est superbe et la promenade doit être des plus agréable par beau temps (manque de chance ce n’était encore pas le cas lorsque je m’y suis rendu). Le château est saisissant avec sa double façade (Moyen Âge et Renaissance) et ses douves fort peu accueillantes pour les assaillants. Je trouve simplement dommage que tout le premier étage soit réservé pour des escape game, cela limite la visite du château au Rez-de-chaussée (mais je comprends aussi la nécessité de trouver des solutions alternatives pour lever des fonds). Rez-de-chaussée qui est rempli de jeux pour enfants, ce qui le rend assez vite bruyant et le transforme en garderie.

Lorsque le chef viking Rollon obtient, en 911, par le traité de Saint-Clair-sur-Epte, une partie des territoires qui constitueront le duché de Normandie, il distribue lui-même des domaines à ses principaux fidèles. Parmi ceux-ci, figure Bernard le Danois, qui se voit attribuer, pour prix de ses exploits, des terres considérables, dont notamment la seigneurie d’Harcourt.

Bernard le Danois semble être le premier d’une lignée qui prendra, deux siècles plus tard, le nom d’Harcourt. Toutefois, sa filiation avec les d’Harcourt n’est pas assurée. Les premiers seigneurs d’Harcourt dont l’existence est attestée sont Turketil et son fils Ansquetil vers l’an 1000.

Le tout premier château construit à Harcourt daterait du XIe siècle. Il devait être, comme les forteresses de l’époque, édifié en terre et en bois, et ceint d’une palissade et d’un fossé.

Le second château, construit en pierre, est l’œuvre de Robert II d’Harcourt, compagnon de croisade de Richard Cœur de Lion. Il date de la seconde moitié du XIIe siècle (une charte de l’abbaye du Bec-Hellouin le mentionne en 1173-1174 et une autre, de Notre-Dame-de-Barbery, date sa construction après 1175). Il s’agit d’un important donjon carré, élevé sur une motte isolée par un large fossé, avec basse-cour et qui s’accompagne d’une chapelle.

Au XIIIe siècle, ce donjon est complété par un château de forme polygonale, à cinq tours rondes. La basse-cour est aussi de forme polygonale, entourée d’une enceinte flanquée de douze tours à archères. Ces modifications, très philipiennes dans le style, sont probablement l’œuvre de Jean Ier d’Harcourt.

En 1338, le roi de France Philippe VI de Valois érige la seigneurie d’Harcourt, alors propriété de Jean IV, en comté.

À partir de 1364, la défense du site est renforcée par Jean VI d’Harcourt avec la construction d’un châtelet d’entrée.

Pendant la guerre de Cent Ans, le château passe dans le camp anglais, sous Godefroy d’Harcourt, allié d’Edouard III, roi d’Angleterre, à qui il lègue son domaine à sa mort en 1356. Le château est pris définitivement par les Anglais en 1418 lors de l’invasion de la Normandie par Henri V d’Angleterre. Il faut attendre le 15 septembre 1449 pour que ces derniers en soient expulsés par les comtes de Dunois, d’Eu et de Saint-Pol grâce à l’emploi de l’artillerie.

Au sortir de la guerre, le domaine revient à la famille de Rieux puis à partir de la seconde moitié du XVIe siècle à la puissante maison de Lorraine-Guise.

Entre 1589 et 1591, au cours des guerres de religion, les troupes de la Ligue, retranchées dans le château d’Harcourt, subissent les assauts des troupes royales d’Henri III, puis de celles d’Henri IV. Chaque camp prend par deux fois le château, alors fortement endommagé par l’artillerie.

Au XVIIe siècle, la forteresse perd tout intérêt militaire. En 1695, Françoise de Brancas, épouse du comte d’Harcourt, Alphonse de Lorraine, entreprend de la réaménager afin de la rendre plus habitable et de l’adapter au goût classique. Cette amie de Madame de Maintenon détruit trois côtés du château polygonal pour y installer un jardin d’agrément et ouvre ainsi ses appartements à la lumière. Dans le même but, de grandes baies rectangulaires sont percées. Enfin, la disposition intérieure est revue.

Après la Révolution, le château, qui a échappé à la ruine, est mis en vente. En 1802, Louis-Gervais Delamarre, un avoué parisien, l’acquiert pour y créer un arboretum. composé d’essences rares, dont notamment deux cèdres du Liban.

À sa mort, en 1827, il lègue Harcourt à l’Académie royale d’Agriculture. Cette dernière cède par acte de donation le château et l’arboretum au Département de l’Eure. Depuis le 1er janvier 2000, le Conseil départemental de l’Eure en est le propriétaire.

Architecture

La motte et le logis

Au regard du site, il semble probable qu’à l’origine, le château d’Harcourt consistait, comme beaucoup d’autres châteaux du XIe siècle, en un ensemble fortifié en terre et en bois, avec une motte et une basse-cour, le tout entouré par des fossés.

L’édifice, tel qu’il est connu aujourd’hui, conserve probablement le tracé primitif de cet ensemble fortifié. En effet, la motte d’origine a certainement servi de base à la construction de la tour carré romane du XIIe siècle qui succède aux constructions de bois. Puis, au XIIIe siècle, elle a fait l’objet d’une extension afin d’y accueillir le logis qui est venu s’accoler à la tour.

Le logis forme un polygone irrégulier composé du donjon carré au nord-ouest, d’un logis abritant l’escalier d’honneur, du châtelet d’entrée flanqué de deux hautes tours circulaires et de la tour sud-est avec latrines. Un puits, avec cage à écureuil et voûte décorée en bâtons brisés, décor typique du XIIe siècle, s’appuie sur le logis. Cette arcade n’est sans doute pas d’origine, mais plutôt un élément appartenant à un édifice religieux roman aujourd’hui détruit, remonté au château pour y apporter une touche décorative.

Au XVIIe siècle, le logis a perdu sa courtine orientale, le dernier étage de son donjon, son chemin de ronde et ses mâchicoulis. En revanche, il a gagné une façade intérieure d’époque classique, de grandes baies et une cour d’honneur. Toutefois, l’apport de cette nouvelle façade a bousculé la structure de l’édifice et les deux parties, médiévale et classique, tendent à s’écarter dangereusement.

À l’extérieur, sur la terrasse qui permet d’accéder au château, un puits datant du XIIe siècle a été creusé à même la roche. Au XIVe siècle, il s’est vu agrémenté d’une roue en bois.

À l’intérieur, le logis comprend un escalier monumental du XVIIe siècle, formé de marches en pierre avec une rampe en ferronnerie, puis en bois.

La basse-cour et l’enceinte

La basse-cour

À l’ouest du logis, s’ouvre une basse-cour semi-circulaire entourée par un large et profond fossé sec. Cet espace constituait le lieu de vie des soldats et des domestiques, mais pouvait également servir de refuge pour la population des environs. Il s’oppose à la haute-cour (aujourd’hui disparue) qui était réservée aux habitants du logis.

Aujourd’hui, la basse-cour ne comprend presque plus aucun bâtiment alors qu’elle en comptait plusieurs au Moyen Âge dont les logements pour les soldats, une chapelle, des écuries, etc. Recouverte de pavés, elle faisait partie intégrante du dispositif défensif, à la façon d’une grande barbacane.

L’enceinte

La basse-cour est protégée par une enceinte bâtie en silex avec chaînages en pierres calcaires. Cette enceinte, qui était surmontée d’un chemin de ronde et de mâchicoulis aujourd’hui disparus, comprenait douze tours car elle englobait également le logis. Il ne reste que cinq tours rondes dont la caractéristique est d’être évasées à leur base (ce qui permettait de faire ricocher les projectiles ennemis) et qui sont ponctuées de meurtrières. Ces tours étaient autrefois surmontées de poivrières et se composaient de trois niveaux reliés les uns aux autres par un escalier intérieur.

La porte Piquet

La porte nord de la basse-cour, dite Porte Piquet, est en grande partie détruite. Des études archéologiques menées au début des années 2010 ont permis d’apporter des éléments sur cette partie du château.

Ainsi, cette porte, tournée vers le vallon sec, était défendue par une barbacane et de puissants fossés, le plus proche de cette dernière étant franchissable par un pont dormant. Elle était composée d’un couloir axial, de deux tours de flanquement, encadrées de courtines contre lesquelles étaient adossés des grands édifices.

L’édifice a connu deux états successifs : le premier datant certainement de la fin du XIIe ou de la première moitié du XIIIe siècle ; le second datant probablement de la fin du XIIIe ou du XIVe siècle. Un incendie suivi d’une importante démolition expliquerait le passage du premier au second état.

Composé d’une architecture globalement identique, ces deux états présentent certaines différences : passage d’un mortier jaune à un mortier orange, modification de l’épaisseur de certains murs, probable augmentation de la taille des tours, ajout d’un pavage de silex dans le couloir), d’une cheminée (bâtiment est), d’enduits muraux en plâtre (bâtiment ouest), et d’un emmarchement sous une archère (tour est). Le passage entre les deux tours est réduit par la mise en place d’un épais mur, puis définitivement condamné par des pierres en vrac, liées de torchis.

Il demeure, dans le fossé de la haute-cour, les pans subsistants du glacis de la contrescarpe, les restes d’une hypothétique tour dans l’angle nord-est de la basse-cour et les ruines d’un mur ou d’un glacis appuyé contre le talus séparant le fossé de la haute-cour de celui de la basse-cour.

Le châtelet

Le châtelet du château d’Harcourt est le résultat de quatre phases de construction et de modification entre le XIIIe et le début du XVIIIe siècle :

  • Fin du XIIIe siècle : édification des deux tours circulaires. Construit comme une porte de l’enceinte, l’édifice était défendu par des archères dont certaines sont encore visibles à ce jour ;
  • Fin XIIIe – début XIVe : construction du bâtiment rectangulaire. Un édifice rectangulaire est accolé aux deux tours, faisant ainsi de l’ensemble, un châtelet. Le bâtiment se compose de deux salles et d’un couloir de 14 mètres défendu par au moins deux archères. Il était également équipé de deux herses et d’un assommoir, créant ainsi un système de sas. La salle du premier étage, qui occupe une surface de 73,50 m2, est pourvue d’une grande cheminée et d’une charpente voûtée. Elle servait certainement de salle de justice ;
  • XVe : réaménagement intérieur. Cette phase se caractérise par la disparition des principaux éléments défensifs principaux : abaissement du niveau de circulation d’environ 1 m au rez-de-chaussée, obturation des archères de la salle ouest, suppression des dispositifs de fermeture et de l’assommoir. Par ailleurs, les murs sont refaits et un nouvel escalier est installé ;
  • Fin XVIIe – début XVIIIe : transformation de l’édifice sous l’égide de Françoise de Brancas. Celle-ci entreprend d’importantes modifications de l’édifice. Ainsi, le mur gouttereau nord avec son escalier, détruit ou effondré, est reconstruit, mais seulement jusqu’au sol de l’étage. Une toiture asymétrique à deux versants a donc été mise en place. Un escalier droit en bois est construit dans la salle ouest contre le mur pignon occidental.

Harcourt aux deux visages

La princesse d’Harcourt sait ménager les surprises à ses invités. Les carrosses ralliant son domaine remontent la longue allée depuis la grille d’entrée et bifurquent sur la droite à l’angle nord-ouest du potager. Les voyageurs intrigués aperçoivent alors le Châtelet, avec à l’arrière plan l’austère façade médiévale du logis seigneurial. le sourire s’estompe de leur visage : ne vont-ils pas s’ennuyer ferme derrière ces épaisses murailles ? Un dernier virage à gauche et ils reprennent des couleurs en découvrant la seconde physionomie d’Harcourt, celle d’une belle demeure rurale de l’époque classique, avec ses jardins aux alignements millimétrés. Harcourt présente un double visage et cette dualité inspire ce commentaire à un membre d’une société savante de l’Eure, de passage ici en 1843 : « C’est un mélange indéfinissable de jeunesse et de caducité, une espèce de visage de Janus, quelque chose enfin de la toilette d’une mariée sur les épaules d’une octogénaire ».

Cette comparaison avec Janus, dieu du panthéon romain possédant deux faces, l’une tournée vers l’avenir et l’autre vers le passé, en révèle davantage sur l’essence profonde d’Harcourt que les plus longs discours.

Françoise de Brancas s’éteint en 1715. À compter de cette date, Harcourt est délaissé par ses propriétaires successifs et ne reçoit plus qu’épisodiquement des visiteurs. La nature reprend doucement ses droits dans le parc, les maçonneries et les toitures du château se dégradent lentement et l’ensemble du domaine entre dans une longue période de sommeil. Anne-Louise de Beauvau, lointaine descendante de Torf et de Turquetil, s’en sépare en 1802. Ainsi s’achève un mariage de neuf siècles entre un lignage et sa terre.

La princesse d'Harcourt

Cette princesse d’Harcourt fut une sorte de personnage qu’il est bon de faire connaître, pour faire connaître plus particulièrement une cour qui ne laissait pas d’en recevoir de pareils. Elle avait été fort belle et galante ; quoiqu’elle ne fût pas vieille, les grâces et la beauté s’étaient tournées en gratte-cul. C’était alors une grande et grosse créature, fort allante, couleur de soupe au lait, avec de grosses et vilaines lippes, et des cheveux de filasse toujours sortants et traînants comme tout son habillement. Sale, malpropre, toujours intriguant, prétendant, entreprenant, toujours querellant et toujours basse comme l’herbe, ou sur l’arc-en-ciel, selon ceux à qui elle avait affaire ; c’était une furie blonde, et de plus une harpie; elle en avait l’effronterie, la méchanceté, la fourbe et la violence ; elle en avait l’avarice et l’avidité ; elle en avait encore la gourmandise et la promptitude à s’en soulager, et mettait au désespoir ceux chez qui elle allait dîner, parce qu’elle ne se faisait faute de ses commodités au sortir de table, qu’assez souvent elle n’avait pas loisir de gagner, et salissait le chemin d’une effroyable traînée, qui l’ont mainte fois fait donner au diable par les gens de Mme du Maine et de M. le Grand. Elle ne s’en embarrassait pas le moins du monde, troussait ses jupes et allait son chemin, puis revenait disant qu’elle s’était trouvée mal : on y était accoutumé.

Elle faisait des affaires à toutes mains, et courait autant pour cent francs que pour cent mille ; les contrôleurs généraux ne s’en défaisaient pas aisément ; et, tant qu’elle pouvait, trompait les gens d’affaires pour en tirer davantage. Sa hardiesse à voler au jeu était inconcevable, et cela ouvertement. On l’y surprenait, elle chantait pouille et empochait ; et comme il n’en était jamais autre chose, on la regardait comme une harengère avec qui on ne voulait pas se commettre, et cela en plein salon de Marly, au lansquenet, en présence de Mgr et de Mme la duchesse de Bourgogne. À d’autres jeux, comme l’hombre, etc., on l’évitait, mais cela ne se pouvait pas toujours; et comme elle y volait aussi tant qu’elle pouvait, elle ne manquait jamais de dire à la fin des parties qu’elle donnait ce qui pouvait n’avoir pas été de bon jeu et demandait aussi qu’on le lui donnât, et s’en assurait sans qu’on lui répondît. C’est qu’elle était grande dévote de profession et comptait de mettre ainsi sa conscience en sûreté, parce que, ajoutait-elle, dans le jeu il y a toujours quelque méprise. Elle allait à toutes les dévotions et communiait incessamment, fort ordinairement après avoir joué jusqu’à quatre heures du matin.

Le château, miraculé de l'histoire

Lorsqu’il se porte acquéreur du domaine en 1802, Louis-Gervais Delamarre ne connaît pas encore les lieux et c’est avec effarement qu’il découvre l’état général du château. Il décide donc de parer au plus pressé : il s’y aménage un petit logement pour ses brefs séjours, il fait entretenir les couvertures pour ralentir la dégradation des maçonneries, ordonne de murer des fenêtres et décide d’abattre les bâtiments complètement ruinés de la basse-cour. Les commissaires de la Société royale et centrale d’agriculture qui en prennent possession en 1828 font ce rapport à leurs confrères : « Vous pouvez juger, Messieurs, dans quel état de ruine nous avons trouvé le château d’Harcourt. Nous ne pouvons penser que jamais vous vous décidiez à le faire restaurer pour le mettre en état d’être habité.(…) Vous vous bornerez probablement à entretenir les couvertures pour prévenir une plus grande dégradation ». Le passage des Prussiens en 1871 et celui d’un régiment de panzers pendant la Seconde Guerre mondiale, avec à chaque fois pillages, dégradations et vols à la clef, n’arrangent rien. Mais les membres de la Société/Académie resteront toujours conscients de leur rôle de passeurs de mémoire et ils s’arrangeront pour maintenir la structure hors d’eau. L’un d’eux, visionnaire, écrit en 1896 : « La société d’Agriculture n’oserait certainement pas encourir la malédiction de tous les archéologues de Normandie en laissant tomber en désuétude ce vénérable monument ».

À partir de 1967, avec l’essor du tourisme, le domaine ouvre ses portes au grand public. On se lance alors dans des restaurations un peu plus conséquentes, notamment avec l’aide de subventions publiques. L’Académie comprend cependant dès les années 1980 qu’elle n’aura jamais les moyens d’entretenir correctement un tel ensemble. L’Association des amis du domaine d’Harcourt prend un moment le relais. Elle assure dès 1992 la gestion du domaine et initie une politique touristique dynamique. Mais une fois encore, ses ressources limitent ses ambitions. En 1999, il apparaît que seule une collectivité territoriale d’envergure peut assurer la pérennité de ces murailles et c’est logiquement que l’on se tourne vers le Département de l’Eure. Le début d’une nouvelle aventure, le commencement d’une nouvelle ère.

Ouvrages de référence

Informations utiles

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Tel: 02 32 46 29 70

Domaine d'Harcourt, 13 rue du château - 27800 Harcourt