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Le vieux château de Salses au Moyen Âge

Forteresse de Salses - Association French Baroudeur

Situé sur une étroite bande de terre entre les massifs des Corbières et l’étang de Leucate, Salses occupe dès l’époque romaine, une position stratégique sur la voie Domitienne reliant la France à l’Espagne.

Son destin est intimement lié à celui du Roussillon, province conquise en 720 par les Arabes mais libérée par Pépin le Bref en 759 au bénéfice des comtes francs. Dès 943, l’abbaye audoise de Lagrasse possède sur le territoire, entre autres biens, des pêcheries, des moulins et de nombreux pâturages. En 1172, Alphonse II d’Aragon acquiert le Roussillon, rachète le domaine de Salses à l’abbaye et fonde un village auquel il accorde des franchises destinées à faciliter son peuplement. Des murailles sont bâties tout autour, à l’emplacement de l’actuelle forteresse. Le premier château, mentionné dès 1007, est reconstruit en 1192 pour le chevalier Raymond de Saint-Laurent qui reçoit comme salaire les revenus du roi sur les vins produits sur le terroir.

Le contexte archéologique

Les vestiges d’une construction d’époque gallo-romaine remodelée au Moyen Âge sont encore visibles sur une des dernières collines rocheuses des Corbières, à 250 mètres environ de l’actuelle forteresse. Ils se limitent au tracé d’une enceinte, de plan quadrangulaire comme les quatre tours d’angle, pourvue de courtines épaisses de deux mètres. La porte se situait vraisemblablement sur le front sud. À l’intérieur se trouvaient, au nord, plusieurs pièces d’habitation ou de service – seuls les arrachements des murs de refend subsistent – et, au sud, une cour dotée d’un puits taillé dans le roc.

Ces observations peuvent être confrontées avec la description extraite du Livre des châteaux royaux des comtés de Roussillon et Cerdagne, en date du 13 février 1369 : « Dans le château, il n’y a pas les salles voûtées qui seraient nécessaires, sauf les départs. Il y a seulement trois pièces couvertes en tuile, l’une est le cellier, l’autre petite pièce est occupée par le châtelain, la troisième est la cuisine. » La même source dresse l’inventaire des armements, munitions et vivres abritées dans la place : une quarantaine d’arbalètes et quelques milliers de carreaux, des casques, des cuirasses, des boucliers avec l’insigne royal ; des provisions de bouche, sous forme de farine de froment, de deux porcs salés, d’une jarre d’huile d’olive, de fèves, complètent cet équipement, mais « de vin et de vinaigre, nul n’est besoin, car le cellier du château recueille tout le vin du domaine du seigneur Roy ».

Salses se présente donc, dès cette époque, comme une petite place frontalière assez convenablement équipée.

Salses, état actuel, plan par Lucien Bayrou d’après S.Stym-Popper.

1 : Forteresse

2 : Vieux château

3 : Étang de Leucate

Le vieux château, plan par Lucien Bayrou.

Enceinte et tours d’angle de plan quadrangulaire protégeaient les pièces d’habitation, au nord, et la cour, au sud. Au centre, le puits, taillé à même le roc.

Naissance d'une forteresse (1497-1503)

L’attribution du plan de la forteresse de Salses à Francisco Ramirez de Madrid, grand maître de l’artillerie et secrétaire du roi et de la reine, mort en 1501, admise par la plupart des chercheurs, était mise en doute dès 1969. Lors de l’étude fondamentale du fort par le service régional de l’Inventaire, Georges de Bussac et Philippe Truttmann découvraient, dans l’édition de 1610 des Anales de la Corona de Arogon de Jéronimo Zurita, le nom du véritable créateur de Salses, Ramiro. L’exploitation récente par René Quatrefages de documents inédits de l’Archivo General de Simancas – où sont conservées, près de Valladolid en Espagne, les archives d’État de la couronne de Castille – lève un doute séculaire. Elle révèle le nom du génial concepteur et maître d’oeuvre de ce monument : Francisco Ramiro Lopez.

Découverte de l'architecte

Des recherches complémentaires seront utiles pour mieux connaître ce noble Aragonais avant la guerre de grenade. Très vite, son intelligence de l’art de prendre et de défendre une place, la poliorcétique, le conduit au succès. Avant 1485, il est déjà crédité de sept sièges importants dont ceux de Ronda et de Marbella. Pour ces services éminents, appréciés du chef de guerre Ferdinand, il est gratifié, notamment, d’une pension viagère au bénéfice de son épouse Ursula de Monpales, et de la tour de Guadix où cette dernière décédera en août 1503.

Grenade prise, sa compétence et ses mérites valent à Ramiro l’honneur de restaurer et de fortifier l’Alhambra, l’extraordinaire forteresse et palais des rois maures. Il est également nommé à la tête de l’artillerie royale et récompensé d’une commanderie de l’ordre militaire de Saint-Jacques, l’ordre le plus prestigieux et le plus riche de la couronne de Castille.

Ramiro se trouve dans cette position enviable quand l’Espagne déclare la guerre à la France, à l’automne 1495 : un ordre des Rois Catholiques, en date du 31 octobre, l’envoie en Roussillon. Sa mission consiste à dresser un état précis de toutes les fortifications, à mettre en défense la frontière et, plus particulièrement, à renforcer la position de Salses, soit à partir du vieux château, soit par une construction capable de tenir un siège de trente à quarante jours avant d’être secourue par les Castillans. Cette alternative éclaire la prévoyance des souverains espagnols. L’épisode récent de la prise du vieux château par le maréchal de Saint-André amène ce spécialiste de l’artillerie – les sources le nomment souvent « commandeur Maître Ramiro » – à choisir d’édifier une forteresse nouvelle.

Salses en 1503, pourvue de ses couronnements gothiques mudéjars à parapet maigre et tourelles effilées.

Parmi les documents de Simancas, deux sources sont capitales pour la compréhension de Salses. La première, constituée des minutes des réponses royales aux courriers de Ramiro ou des minutes des copies des instructions données à des gentils-hommes de la maison du roi envoyés en inspection, montre bien le cheminement du programme. Les missives destinées aux autorités locales – principalement à don Enrique de Guzman, puis, après son décès accidentel au printemps 1497, à don Sancho de Castilla, alors capitaine général de cette « frontière » formée par les comtés de Roussillon et Cerdane – sont également conservées. Ces documents indiquent qu’après la suspension d’armes du printemps 1497, Ramiro met à profit la trêve pour concevoir une place d’arrêt adaptée aux progrès de l’artillerie. En mai 1497, il adresse à la cour un projet accompagné d’un plan. Par retour de courrier, le 12 juin, le roi approuve l’un et l’autre, non sans quelques remarques attestant sa grande expérience militaire. Ferdinand fait expressément référence au fameux camp fortifié de Santa Fé que Ramiro avait fait surgir face à Grenade, quadrilatère pré-bastionné dont la puissance ostentatoire contribua à la résignation musulmane.

La deuxième source d’archives (non inventoriée) renseigne avec précision sur l’exécution des travaux. Elle rassemble les documents comptables du contrôle général des finances expliquant le passif du trésorier local chargé de payer, voire de liquider, les dépenses afférentes à tous les matériaux, matériels, salaires et prestations de services nécessaires à la mise en oeuvre du projet. La série, reconstituée par années, représente une dizaine de milliers de comptes. Depuis la brique à l’unité jusqu’au salaire journalier, en passant par les indemnités de route et de maladie, tout y est mentionné : un mille de briques sorties du four de Salses vaut 1314 maravédis, tandis qu’un ouvrier terrassier perçoit 34 maravédis par jour et autant par jour de déplacement ; un tailleur de pierre est rémunéré 55 maravédis par jour et 27 par jour de maladie. Maître Ramiro, en revanche, reçoit en tant que grand maître de l’artillerie, outre ses primes et ses indemnités, un salaire de 50 200 maravédis annuels, somme légèrement supérieure à la solde nette des capitaines d’infanterie et inférieure à celle des capitaines de cavalerie qui touchent respectueusement 50 000 et 300 000 maravédis par an. Ainsi avons-nous une connaissance extraordinairement détaillée de la conduite d’un important chantier, dans sa continuité, de l’été 1497 à l’été 1503, veille du premier siège de Salses.

Le siège de 1503

Les Comptes rapportent l’avancement des travaux en 1503. Ils indiquent, en février, l’achat de fer pour le blindage des portes et des portails. En avril, il reste à compléter les parties supérieures des tours et des courtines par des créneaux et à construire la terrasse et l’échauguette du donjon. À l’intérieur, il faut voûter les écuries, enduire l’écurie de l’aile est, paver le patio et achever la démolition des anciennes maisons incluses dans la place ; les défenses extérieures, destinées à fortifier les deux portes d’entrée, sont en partie édifiées, mais les glacis ne sont pas aplanis.

La forteresse, qui va subir son premier siège sous cet aspect inachevé, est néanmoins pourvue d’une artillerie convenable que l’on connaît grâce à un précieux inventaire du 7 août 1502 (Archives de Simancas) : 17 pièces d’artillerie lourde et 39 pièces d’artillerie légère, 64 haquebutes (arquebuse primitive) et 224 espringardes complétées par plusieurs milliers de boulets, 500 gargousses « de papier », des refouloirs (accessoire servant à comprimer la charge des canons) et des baguettes (afin de bourrer le canon des armes à feu portatives) et par plus de 200 cuirasses et casques et autant de boucliers et de piques. S’ajoutent 90 arbalètes en provenance de Castille et de Saragosse avec leurs carreaux, des treuils en bois pour les armer, des pièces d’armurerie, des carquois (200 douzaines et 15 caisses) dont beaucoup « ne valent rien », 100 plastrons, 100 cervelières, 100 brassards, 84 cuirasses, 191 salades avec barbute (casque simple et léger équipé d’une protection du menton), 400 pavois (grand bouclier), 200 piques allemandes et 30 demi-piques, 114 lances à la mauresque et 50 lances, de nombreuses munitions… Certaines pièces d’artillerie (fauconneaux, demi-couleuvrines) sont fondues à la citadelle de Perpignan, par des fondeurs allemands. Blé, biscuits, vinaigre, fromage, huile, moulin pour faire la farine, et même 400 moutons salés sont prévus pour l’approvisionnement de la garnison.

Armures de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle exposées dans l’Alcazar de Ségovie.

À l’épreuve du feu

En août 1502, les troupes françaises préparent l’invasion du Roussillon. Le siège de Salses commence le 3 septembre 1503. La forteresse est alors défendue par une garnison de 1000 soldats et de 350 cavaliers d’élite, sous la direction de don Sancho de Castilla, capitaine général de la frontière de Roussillon. Maître Ramiro est également présent. À la mis-septembre, l’armée française, forte d’un millier de lances et de 15 000 piétons dont environ 2 000 Normands et autant de Suisses, met le siège. Sous le commandement du maréchal de Rieux, elle entame aussitôt le creusement de tranchées et la mise en place des batteries, malgré les escarmouches de l’armée espagnole qui s’efforce de couper les lignes de ravitaillement et de ralentir les travaux de sape. Pendant près d’un mois, les belligérants mènent une guerre de position avec duels d’artillerie. Après avoir canonné en vain le donjon, l’essentiel des efforts français se porte sur le front nord-est, battu à partir de l’emplacement du château-vieux d’où les arbalétriers espagnols sont rapidement délogés. L’artillerie tire 1 500 boulets contre Salses et entraîne la chute d’une partie de la contrescarpe du fossé et la ruine partielle des défenses avancées de la partie nord. Les Espagnols, en abandonnant ce bastion, le font sauter à la mine, laissant 400 victimes parmi les assiégeants.

Les Français, épuisés par cette guerre d’usure, subissent les difficultés d’approvisionnement dues aux raids des jinetes (cavalerie légère équipée à la mauresque), la contre-offensive de Ferdinand le Catholique arrivé à la tête d’une armée de 3 000 hommes d’armes, 6 000 jinetes et 20 000 piétons, et la prise du fortin bâti sur le cordon littoral. Ils se retirent vers Narbonne à la fin du mois d’octobre. La place de Leucate est prise au bout de quelques jours mais les opérations s’arrêtent bientôt, faute de vivres. Une trêve de trois ans met fin aux hostilités. Ce traité permet aux Français de récupérer Leucate et aux Espagnols de réparer et d’améliorer la protection de Salses. Succède une période calme, longue de près d’un siècle. Les épisodes du siège ont souligné les défauts de la forteresse. Très vite Ramiro y remédie, supprime notamment les défenses extérieures du front nord-est en obstruant sa porte trop exposée. Un talus d’escarpe maçonné venant doubler l’épaisseur des murailles à la base de l’ensemble du périmètre sera construit ultérieurement. Les canonnières des galeries basses sont condamnés, mais les canonnières hautes des tours sont perfectionnées. Toutes les poternes sont condamnées, mais les canonnières hautes des tours sont perfectionnées. Toutes les poternes sont condamnées sauf celles des tours du front nord-ouest. Les textes rapportent la liste des travaux restant à exécuter en 1532 : réfection des embrasures « dans le sens contraire de la situation actuelle », suppression des tourelles au profit de l’installation des plates-formes à canon, principalement sur la tour sud-ouest semble t’il, réalisation d’une rampe à canon permettant de hisser l’artillerie jusqu’au sommet des murailles.

En 1536, l’artillerie lourde se compose de 24 pièces et la légère, de 69. On relève « beaucoup de boulets et de mitrailles », des vivres, du type déjà évoqué plus haut, ainsi que des haricots, du lard et du poisson. Dans un dessin réalisé en 1538 par Francisco de Ollanda, lors d’une visite d’inspection – probablement en présence de Charles Quint -, et paru en 1539-1540, l’amortissement des courtines en forme de quart-de-rond couronné par un crénelage est très visible. Deux exemples analogues subsistent, dans la citadelle de Perpignan et au château royal de Collioure, tous deux datables du début du XVIe siècle.

À Salses, en 1541, il faut encore bâtir la volée de l’escalier inachevée, situé à droite de l’entrée du patio, car sa voûte et une arcade sont en construction. Aux pièces d’artillerie anciennes s’ajoutent de nouveaux engins pourvus de roues, mais l’ensemble des supports de canons, ou affûts, est à restaurer. Plusieurs centaines de boulets, en fonte, en plomb ou en pierre, complètent l’équipement, ainsi que de la poudre et divers outils. Cette même année, la garnison ne compte que 80 hommes dont huit artilleurs.

En 1542, lors de son incursion en Roussillon, l’armée française assiège Perpignan mais évite soigneusement Salses et se contente de surveiller la forteresse. Victime de sa réussite dissuasive, celle-ci n’aura pas quitté sa torpeur quand, en 1544, François 1er et Charles Quint signent la paix.

Salses avant et après 1503, plan par Lucien Bayrou. Les murailles ont été épaissies et les canonnières basses, condamnées.

Du XVIIIe siècle à nos jours

Forteresse de Salses - Association French Baroudeur

À plusieurs reprises au cours des XVIIIe siècles et XIXe siècles, la démolition sera de nouveau envisagée, mais une telle masse de maçonnerie semble défier la pioche et la mine…

En 1710,  kes armes conservées dans la forteresse sont dans un état des plus médiocres : sur les sept canons, six restent utilisables mais seuls quatre affûts sont en état de servir. Plusieurs milliers de boulets en plomb ou en pierre et de la poudre complètent l’équipement. L’arsenal comporte 2400 grenades, 278 mousquets de parapet d’origine espagnole – hors service -, du plomb, des mèches, des pierres à fusil ainsi qu’un peu d’outillage. Joblot, ingénieur du roi, souligne dans un rapport du 30 janvier 1718 le défaut de Salses qui est d’avoir « trop peu de défense pour la petite capacité de l’ouvrage » et le coût important de son amélioration.

La place, signale-t’on, est dans un état déplorable : ses portes, murées, sont rouvertes au moment des guerres de la Révolution et de l’Empire, mais Salses n’y joue aucun rôle. Le donjon est aménagé en magasin à poudre en 1817. Quelques travaux d’entretien, comme la réfection du pont-levis et du pont dormant, sont réalisés l’année suivante. En 1819, la forteresse est occupée par une compagnie d’infanterie qui se plaint à son tour de la pestilence exhalée par l’étang proche.

En 1820, on s’efforce d’assainir les fossés et de racheter les terrains, essentiellement les glacis, aliénés en 1800. En 1833, on pense un temps la transformer en terrain d’exercice pour les troupes du génie. On effectue, pourtant, quelques travaux pour conforter, en particulier, les embrasures de tir. Devenue militairement inutile, protégée au titre des monuments historiques en 1886 et déclassée en tant que place forte en 1889, elle est cédée en 1930 à l’administration des Beaux-Arts, puis à la direction du Patrimoine du ministère de la Culture. Le service des Monuments historiques, par une politique patiente et continue, restaure peu à peu cet immense vaisseau de pierre échoué au bord de l’étang.

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