Prenons de la hauteur...
Versailles du cheval
Construit entre 1715 et 1730 par Pierre Le Mousseux, sur des plans de Robert de Cotte, premier architecte de Louis XIV, le haras du Pin, « Versailles du cheval » (Jean de La Varende, 1949), est le plus célèbre haras national français, et l’un des fleurons du patrimoine normand et ornais. « Dans le décor de son domaine admirable, il apparaît comme le plus beau haras au monde, de la même façon que Versailles, au centre de ses jardins splendides, éternise la plus belle demeure au monde » (Gérard Guillotel, 1985). Cette célébrité est due à l’ancienneté de sa fondation, à la valeur exceptionnelle des étalons qu’il abrite depuis trois siècles, à la majestueuse beauté de ses bâtiments et à celle du paysage qui l’environne et dont il est le coeur. Berceau des races percheronne, pur-sang et de celle des trotteurs français, le haras du Pin est l’un des principaux sites des Haras nationaux, entreprise publique au service de l’élevage du cheval et de son aura dans la société. Savoir-faire (sellerie, attelage, maréchalerie…) et nouvelles technologies (reproduction) y conjuguent tradition et modernité.
Sobriété et simplicité caractérisent le haras du Pin, et pourtant sa splendeur lui vaut d’être surnommé le « Versailles du Cheval ». D’où vient donc cette référence au château si orné du Roi-Soleil et cette majesté qui s’impose d’emblée au visiteur ? Du plan de Robert de Cotte, peut-on affirmer, et de l’organisation rigoureuse de l’espace, prévue dès l’origine. Ce plan est conçu pour que, du centre ou de la périphérie du haras, le regard embrasse l’immensité des écuries où vivent les plus prestigieux chevaux du royaume. Il ménage de subtiles perspectives en diagonales, magnifiées par une déclinaison savante de courbes et de contre-courbes, d’une douceur infinie. En effet, depuis la cour d’honneur, les écuries principales déploient l’arrondi somptueux de leurs bras vers l’allée Louis-XIV et les pavillons qui les ponctuent sont percés de passages couverts, au travers desquels on aperçoit les cours secondaires et de nouvelles suites d’écuries. Depuis les cours latérales, le jeu des courbes s’inverse, les façades concaves sur la cour d’honneur se font convexes, et l’oeil est cette fois dirigé vers les écuries principales dont les pavillons sont comme enchâssés dans l’arc des passages couverts. C’est tout l’art de Robert de Cotte : d’un plan servi par un usage délicat des matériaux (brique, pierre, terre cuite et ardoise), il a créé de la splendeur.
Le Pin, haras du roi en Normandie
Colbert et l’organisation des haras
Dans la France du XVIIe siècle, l’élevage du cheval se pratique dans des conditions très proches de celles du Moyen Âge. Il se caractérise par une dispersion et un émiettement total sur toutes les étendues incultes du pays. Ainsi, dans les landes bretonnes, « les cavales et poulains restent, quoiqu’il neige » (Jacques Mulliez, 1983). Dans les marais du Poitou, « les juments sont toujours à l’herbe, l’été et l’hiver, avec les étalons qui les conservent avec les poulains des loups, ayant l’instinct de les rassembler toutes au soleil couchant et de les tenir ensemble jusqu’au soleil levant » (Mulliez, 1983). En Alsace, « les cavales vivent de pâture toute l’année ; en Lorraine et dans les Trois-Évêchés, les chevaux, nullement soignés, sont laissés jour et nuit dans les champs comme des chevaux sauvages » (Mulliez, 1983). Pareilles pratiques donnaient une production insuffisante en nombre et en qualité. Aussi la France devait-elle importer des chevaux des pays voisins, dépendance qui la mettait en péril en cas de conflit, le cheval étant alors une arme stratégique. Pour éviter ce risque et limiter les sorties d’argent vers l’étranger, Louis XIII essaya en 1630, sans succès, d’organiser les haras aux frais de l’État. L’idée fut reprise par Louis XIV, qui chargera Jean-Baptiste Colbert de son application. En 1663, un écuyer de la Grande Écurie du Roi est envoyé « dans toutes les provinces du royaume visiter les haras qui restent, reconnaître l’estat auquel sont lesdits haras, les moyens qu’il y a d’en establir de nouveaux et pour y exciter la noblesse » (lettre aux intendants du 5 juin 1663). Cette enquête aboutit deux ans plus tard, le 17 octobre 1665, à la promulgation d’un arrêt du Conseil d’État pour l’établissement des haras, oeuvre de Colbert, qui fondait ainsi une institution toujours active après trois siècles d’existence.
Le château
Le corps de logis, largement transformé au XIXe siècle, ne présentait pas à l’origine la transparence qui, en dégageant la vue vers le parc du Haut-Bois, en fait maintenant le charme. Deux appartements de parade, côté jardin, auxquels on accédait par un vestibule et une antichambre pris dans l’actuel hall du château, se trouvaient au rez-de-chaussée. À gauche, la surface de l’actuelle salle à manger était occupée par une chambre et, côté cour, par un escalier de service. Toute l’aile gauche, au-delà, abritait la salle d’assemblée. La distribution de la partie droite, en revanche, n’a pratiquement pas changé, le salon des Grisailles remplace la seconde antichambre de cet appartement et le salon des Tapisseries succède à la chambre de parade, qui était suivie d’un cabinet agrandi au XIXe siècle pour former le Salon rouge.
Plan du rez-de-chaussée, dessiné par Robert de Cotte au bas du devis des ouvrages de maçonnerie établi le 20 mai 1717 (Paris, Archives nationales, minutier central).
Vue arrière du château. Les jardins et l’ancien potager sont bordés d’un mur comme sur le plan de 1736 (Caen, bibliothèque municipale).
Quel modèle architectural pour le premier haras du roi ?
Concevoir un haras pose un problème inédit au début du XVIIIe siècle : le programme architectural des écuries, associées aux dépendances d’un château ou d’un hôtel particulier, est, certes, bien connu, en revanche, la construction d’un complexe monumental, autonome, dédié entièrement au cheval et à l’amélioration de la race équine dans le giron royal est une première. L’agence des Bâtiments du roi, au Pin, répond avec ingéniosité à ce programme, mais sans audace. Le parti adopté par Robert de Cotte consiste à utiliser le modèle traditionnel du château, dévolu au directeur, pour en développer les bâtiments de communs afin d’y loger un nombre important de chevaux. C’est pour cette raison que, dès l’entrée, les fossés secs, attributs caractéristiques du château, flanqués de pavillons, accueillent le visiteur. La grille d’honneur, sommée à l’origine des armes du roi (remplacées aujourd’hui par une tête de cheval dorée), rappelait l’essence royale du domaine. Le corps de logis, magnifié par sa position au fond de la cour, forme le coeur du dispositif symbolique de l’ensemble et constitue un morceau de bravoure architecturale. Par sa haute silhouette, ses murs en pierres et moellons enduits de blanc, il tranche sur l’architecture des écuries, plus asses, bâties en brique, matériau plus rustique et moins onéreux que la pierre. Image de l’autorité royale prolongeant le système féodal, le château affichait clairement, au centre de sa façade principale, qui en était l’illustre maître : il arborait les armes de France, sculptées sur le tympan du fronton et encadrées de guirlandes de laurier.
L’implantation du haras du Pin, au coeur de la Normandie, donc fort loin du faste de la cour et de Versailles, n’impliquait pas pour le roi une obligation d’y édifier de grandioses bâtiments. La disette budgétaire qui a marqué la fin du XVIIe siècle explique par ailleurs le choix d’une certaine sobriété pour les nouveaux bâtiments.
Le haras sera, par conséquent, une architecture militaire, mais digne, susceptible de recevoir un haut serviteur de l’État, mais en aucun cas le roi en personne. Le château prend donc l’aspect d’une demeure de gentilhomme provincial, sans décor sculpté, à l’instar de tant de châteaux contemporains – le château voisin de Feillet (Orne) par exemple – qui présentent la même ordonnance : un avant-corps central précédé par deux pavillons latéraux. Malgré sa retenue, l’architecture du haras du Pin révèle, par l’harmonie et l’équilibre de ses lignes, l’intervention d’un grand architecte à l’apogée de son talent. Les proportions de la vaste cour d’honneur, conférant une réelle majesté à la composition, d’une part, et la parfaite régularité des écuries, d’autre part, forment un écrin splendide au château. Hormis le décor extérieur, limité, seuls de généreux épis de faîtage et quelques lucarnes donnent un semblant de fantaisie aux bâtiments.