La Vénus à la Corne
Le plus célèbre des bas-reliefs de Laussel représente une femme tenant une corne dans sa main droite. Le visage et les pieds n’ont jamais été travaillés. La main, reprise par gravure, repose sur l’abdomen, situé sur la partie la plus convexe du bloc, renforçant son aspect volumineux. Les hanches et les cuisses sont très larges. Les contours sont très fortement creusés, ce qui accentue les jeux d’ombres et de lumières. Les proportions et le rapport tête/corps sont inexacts : les membres sont raccourcis par rapport à l’abdomen et aux hanches. Les seins sont tombants.
Tous ces caractères montrent que l’artiste a mis en valeur les attributs de la grossesse et cette femme a sûrement enfanté plusieurs fois. Les représentations féminines de Laussel peuvent relever d’un culte ou d’une mise en valeur de la fécondité, mais sans aucune certitude. La corne, probablement de bovidé, a fait couler beaucoup d’encre avec ses treize incisions : corne d’abondance, calendrier lunaire ou obstétrical, corne à boire, instrument de musique…
Le site du Musée d’Aquitaine accueillait au XVIe siècle le couvent des Feuillants. Détruit pendant la Révolution, il devient un lycée qui brula en 1871, puis une université.
En 1960, le Musée lapidaire (créé en 1783 par l’Académie de Bordeaux) change de vocation première et regroupe les collections d’autres musées (Musée préhistorique et ethnographique, Musée d’armes et objets anciens). Il prend le nom de musée d’Aquitaine en 1963.
Dans un premier temps, le musée partage les locaux du musée des beaux-arts, dans un bâtiment réalisé par Charles Burguet.
Le musée emménage le dans les locaux de l’ancienne faculté des lettres et des sciences, bâtiment construit dans les années 1880 par l’architecte municipal Charles Durand et implanté à la place des anciens couvents des Feuillants et de la Visitation.
Les collections
Les différentes collections regroupent plus de 70 000 pièces. Elles retracent l’histoire de Bordeaux et de l’Aquitaine de la Préhistoire à aujourd’hui. 5 000 pièces d’arts d’Afrique et d’Océanie témoignent aussi de l’histoire portuaire de la ville.
Le musée comporte des collections permanentes et des expositions temporaires. Les collections permanentes sont hébergées sur deux étages. Au rez-de-chaussée on trouve des pièces sur la Préhistoire, la Protohistoire, l’Époque romaine, le Moyen Âge et l’Époque moderne. Au niveau 1, on y trouve des pièces du XVIIIe siècle (commerce atlantique et esclavage), des cultures du monde, des XIXe et XXe siècles (Bordeaux port-e- du monde, 1800-1939).
En 2009, le musée d’Aquitaine a ouvert des nouvelles salles permanentes consacrées au rôle de Bordeaux dans la traite négrière. Les salles consacrées au XIXe ont quant à elles été rouvertes en février 2014.
Le musée conserve de grandes collections d’art préhistorique dont les bas-reliefs à figuration féminine de Laussel (Dordogne), avec la célèbre Vénus à la corne (Venus de Laussel) et les miniatures de l’abri Morin (Gironde). Un fac-similé de la « frise des cerfs » de la grotte de Lascaux était également exposé. Le mobilier archéologique de plusieurs grands sites archéologiques comme la grotte ornée de Pair-Non-Pair (Gironde), découverte en 1881 et le gisement du Cap Blanc (Dordogne), ou encore la grotte sépulcrale d’Eybral en Dordogne, sera bientôt à nouveau présenté au public.
La première salle montre les rites funéraires des populations du Premier âge du Fer, entre – 800 et – 450 av. J.-C. De nombreuses urnes funéraires accompagnées d’armes, parfois volontairement brisées, de fibules, torques ou boucles de ceinture proviennent des tumulus d’Ibos (Hautes-Pyrénées) et de Pau (Pyrénées-Atlantiques). Le musée expose un poteau anthropomorphe provenant de Soulac-sur-Mer. Daté de – 450 av. J.-C., il est un des très rares témoins de la statuaire protohistorique en bois de France.
Le Deuxième âge du Fer, entre – 450 et – 50 av. J.-C. est principalement illustré par les découvertes du site de Lacoste (Mouliets-et-Villemartin, Gironde), riche village artisanal et commercial à la frontière entre Gaule celtique et Gaule aquitaine. Le commerce, l’artisanat du fer et du bronze, l’agriculture, la vie quotidienne et la poterie sont présentés de façon thématique à côté de la reconstitution d’un atelier de forgeron gaulois. Les récentes fouilles à Bordeaux ont mis au jour des poteries, des objets de parure mais aussi des statues en pierre utilisés dans la société gauloise.
L’un des trésors de cette collection est le torque et les monnaies d’or gauloises, découverts à Tayac près de Libourne et daté de la fin du IIe – Ier siècle av. J.-C. (voir le trésor de Tayac).
L’âge du Fer prend fin avec la Guerre des Gaules menée par César et c’est en Aquitaine qu’eut lieu la dernière bataille, à Uxellodunum (Saint-Denis-les-Martels, Lot) en – 51 av. J.-C. Le musée expose une partie de l’armement des gaulois retrouvés sur ce site, témoin de la fin de l’indépendance gauloise.
Les salles présentant l’Antiquité commencent par l’évocation de la ville, de son architecture et de ses décors, effets sensibles de la romanisation, avec l’Aquitaine devenue romaine à partir de 56 avant Jésus-Christ. Cette nouvelle administration territoriale est attestée localement par un autel de marbre qui consacre officiellement la cité des Bituriges Vivisques, premier peuple connu de la cité antique de Bordeaux, Burdigala. Une inscription monumentale nous apprend que sous le règne de l’empereur Claude, dont est présentée une statue de marbre, les adductions d’eau de la ville ont été mises en place par le mécénat d’un certain Caius Julius Secundus. Burdigala, capitale régionale peut-être après Saintes et Poitiers, a développé une parure ornementale d’une ampleur et d’une richesse exceptionnelles, souvent ostentatoire, perceptible à travers le temple célèbre des Piliers de Tutelle connu par des gravures et des fragments architecturaux monumentaux, ou l’immense mosaïque d’une maison du centre-ville.
La deuxième salle sur les voies de communication et le commerce fait percevoir la richesse de la ville qui s’est implantée à un carrefour à la fois maritime, fluvial et terrestre qui conduisit très tôt les populations à se tourner vers le négoce. Les stèles (pierres tombales) d’étrangers ou d’artisans, les milliers de monnaies découvertes dans la Garonne, la vaisselle abondante, les outillages et les objets de la vie quotidienne attestent l’attractivité de la ville, devenue plaque tournante d’un trafic redistribuant les marchandises de l’arrière-pays vers le reste de l’empire.
Les espaces suivants présentent les divinités gauloises romanisées telles que des statues de Jupiter-Taranis ou Jupiter-Cernunos, et celles du panthéon romain classique telles que la grande statue de Jupiter découverte dans un sanctuaire à Mézin (Lot-et-Garonne), qui précède d’un siècle celle d’Hercule (IIe siècle), en bronze, de type grec classique et de qualité exceptionnelle, découverte en 1832 à Bordeaux.
Les fouilles archéologiques plus récentes ont mis au jour l’un des plus grands mithraea de Gaule (temple consacré au culte à mystères du dieu Mithra) dont on peut voir les statues étonnantes.
Certaines des nombreuses stèles extraites de la base du rempart romain lors de sa démolition sont présentées dans l’espace sur les rites funéraires. Elles avaient été extraites des nécropoles situées à l’extérieur de la ville, dont celle de « Terre-Nègre », très étendue au nord-ouest.
Lorsqu’au IIIe siècle la réforme de Dioclétien partage le territoire aquitain en rattachant les peuples du nord de la Garonne à l’Aquitaine seconde, et ceux situés entre Garonne et Pyrénées à la Novempopulanie, la civilisation change.
Dans le dernier espace, quelques objets comportant des symboles chrétiens et une très grande mosaïque dessinant le plan d’une basilique en rotonde évoquent l’époque paléochrétienne, tandis que la période mérovingienne s’illustre par les productions d’influence wisigothique dans l’art du métal (plaque-boucles de ceintures), ainsi que par les sculptures de l’École d’Aquitaine (sarcophages et chapiteaux en marbre des Pyrénées).
La présentation des collections médiévales traite successivement de différents thèmes représentatifs de la spécificité de l’Aquitaine dans cette période historique de six siècles : de 848, quand la ville de Bordeaux est détruite par les Normands à 1453 lorsque l’Aquitaine redevient française. Ainsi sont évoqués successivement Aliénor d’Aquitaine, le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, l’expansion médiévale sous les rois d’Angleterre, la féodalité et les chevaliers gascons, la culture de la vigne et les échanges commerciaux avec l’Angleterre, la création des bastides, le Prince noir, la vie quotidienne, les troubadours, … Parallèlement des gisants, des plates-tombes et des éléments de tombeaux permettent d’étudier l’évolution du mobilier funéraire et les préoccupations de cette période.
Enfin dans une deuxième grande salle sont présentés l’impressionnante rosace de l’ancienne église des Grands Carmes ainsi que de très beaux exemples de l’art roman et de l’art gothique de Bordeaux (chapiteaux de Saint-André) et de sa région (Visitation de Guîtres, chapiteaux d’Auzac et de La Brède, éléments du portail détruit de Saint-Seurin, …).
En transition vers les salles « Renaissance », trois belles sculptures de Julien Rochereau, l’un des rares sculpteurs de cette période dont le nom nous soit connu.
Les collections des XVIe et XVIIe siècles sont introduites par les nouvelles armes de la ville de Bordeaux après que la Guyenne soit redevenue française, et par la statue de Charles VIII conçue pour la nouvelle porte Caillau après sa victoire à Fornoue. Malgré les résistances régionales et les conflits et tensions de toutes sortes, la puissance de la monarchie s’affirme de plus en plus dans les domaines les plus divers. De plus grâce au Collège de Guyenne on assiste à un brillant développement d’une civilisation intellectuelle où les humanistes confortent l’emploi de la langue française, mais aussi se convertissent en nombre à la Réforme dont les progrès sont considérables dans tout le Sud-Ouest, tandis que Bordeaux s’affirme comme le fer de lance de la Contre Réforme.
Sont alors évoqués les hôpitaux (Saint-André, de la Peste, de la Manufacture), le culte des saints et celui des « trois Maries », la vie quotidienne en Aquitaine et l’habitat, le commerce et les relations avec les Iles et l’Amérique. À Terre-Neuve, la pêche morutière peut être en effet très lucrative, et grâce à Colbert Bordeaux acquiert un rôle très important dans l’économie maritime du royaume.
Mais les principaux chefs-d’œuvre de cette salle sont le cénotaphe de Michel de Montaigne, les monuments funéraires des ducs d’Épernon et du maréchal d’Ornano, ainsi que le buste de François de Sourdis par Le Bernin.
Ces salles permanentes ouvertes en 2009 s’organisent en quatre espaces à la scénographie différenciée.
Bordeaux capitale provinciale
Le premier espace témoigne du rôle de la ville de Bordeaux au XVIIIe siècle en France. La reconstitution muséographique d’une façade bordelaise qui fait office de support esthétique aux vestiges de la statue équestre de Louis XV constitue un hommage aux transformations urbaines entreprises durant cette époque prospère.
Bordeaux, porte océane et port négrier
Source de cette prospérité, le deuxième espace s’intéresse aux modes et aux enjeux du commerce maritime bordelais, matérialisé par une imposante collection d’objets de navigation et de maquettes de vaisseaux. Si ce commerce se décline notamment par la pratique en droiture, l’accentuation du commerce triangulaire à la fin du siècle, positionne Bordeaux au deuxième rang des ports négriers de France. Les modalités de la traite des captifs auprès des marchands africains sont ici explicitées, rompant au passage de nombreux préjugés. Les tragédies des autochtones décimés ainsi que les désastres issus des guerres coloniales ne sont pas oubliés.
La vie aux Antilles
L’organisation du système esclavagiste dans les îles à sucre est mise en perspective dans le troisième espace. Les documents témoignent ici des conditions de vie et des relations sociales qui existent dans les plantations. La vente des esclaves, les sévices corporels, l’infanticide, l’organisation du travail, la mortalité, l’affranchissement, le marronnage et les révoltes sont ainsi évoqués.
Héritages
Enfin, le dernier espace qui relate les combats pour l’abolition, menés de part et d’autre de l’océan, s’intéresse aux conséquences de l’esclavage dans nos sociétés en s’interrogeant sur les héritages politiques, sociaux et culturels nés de cette histoire.
Avec la Révolution française, Bordeaux et sa région passent de l’Ancien Régime aux grandes mutations du XIXe siècle.
Ce nouvel espace ouvert en mars 2014 propose de découvrir les relations que la ville a entretenues avec le monde, de 1800 à 1939.
Un port en transformation
Bien que très touché au début du XIXe siècle par la perte de Saint-Domingue et les guerres maritimes de la Révolution et de l’Empire, les relations intercontinentales vont reprendre progressivement et le port qui connaît un essor manifeste dès les années 1820 restera le moteur de l’économie bordelaise.
De grands aménagements sont entrepris avec la création de quais verticaux, des bassins à flot, des hangars et d’entrepôts (Entrepôts Lainé, par exemple). La construction du pont de pierre préfigure le développement de la rive droite en ouvrant de nouvelles voies de communication. Des personnalités du monde politique ou économique comme Claude Deschamps, Joseph Lainé, Pierre Balguerie-Stuttenberg sont à l’origine de ces grands travaux.
La navigation fluviale s’accroît considérablement grâce à la construction, à Bordeaux, de bateaux à vapeur qui permettent une meilleure régularité du trafic pour le transport des marchandises : vin, pierre, charbon, bois, denrées alimentaires.
L’ouverture du commerce mondial donne naissance à une industrie navale bordelaise d’importance : Bordeaux est l’un des trois leaders mondiaux pour la fabrication des clippers puis, à la fin du siècle, développe la construction de remorqueurs, cargos, paquebots, mais aussi de bateaux de guerre (torpilleur, cuirassés, sous-marins).
Tout au long du siècle, le Port de la Lune devient une rue industrielle. Une multitude d’ouvriers portuaires travaillent en permanence sur les berges et dans les ateliers. Une culture ouvrière se développe avec de nombreux conflits sociaux liés aux conditions de travail des dockers.
De nouvelles perspectives de développement s’ouvrent, avec en particulier, l’arrivée du chemin de fer en 1841. Bordeaux devient un nœud ferroviaire qui va bouleverser une partie de ses activités traditionnelles.
Un horizon maritime mondial
En concurrence avec Paris, Lyon, Nantes, Le Havre ou Marseille, Bordeaux se place au cœur du négoce avec les colonies.
Après la Révolution, les raffineries de sucre des Antilles y sont encore nombreuses et assurent 15 % de la consommation européenne dans les années 1830 ; puis s’y ajoute le négoce du rhum. Dans les années 1840-1950, les firmes bordelaises sont fortes au Sénégal, en Gambie et en Casamance, où elles développent en particulier la culture d’arachide, qui approvisionne les quatre huileries actives en Gironde. Dans l’Océan Indien, Bordeaux, derrière Nantes, est en relation avec La Réunion (rhum, sucre) et, derrière Marseille, avec Madagascar (maison Faure frères). Des armateurs et négociants bordelais se déploient en Extrême-Orient : ils approvisionnent le corps expéditionnaire en Cochinchine, sont les premiers à s’implanter au Cambodge et soutiennent le négoce girondin en Indochine (Denis frères). Les maisons Bordes et Ballande (puissante en Nouvelle-Calédonie) sont actives dans le Pacifique ; depuis Valparaiso, elles contrôlent le commerce avec Nouméa et assurent l’essentiel du service régulier avec Tahiti.
Bordeaux devient aussi le grand port de paquebots transatlantiques avec la ligne France-Brésil (1857), celle des Antilles puis du Maroc et des côtes d’Afrique occidentale.
Port d’émigration. Entre 1865 et 1920, le port de Bordeaux transporte 371 000 migrants à la recherche d’un avenir meilleur vers les États-Unis et surtout l’Amérique du Sud, principalement l’Argentine. Ils viennent du grand Sud-Ouest, d’Espagne et d’Italie et même de toute l’Europe puisque 27 nationalités différentes ont été recensées.
Toutes ces activités ont un effet considérable sur les activités du port et l’économie bordelaise car, outre les industries navales, ce dynamisme permet de développer les industries alimentaires. Grâce aux produits coloniaux, de nombreux ateliers voient le jour (conserveries, biscuiteries, chocolateries) et des industries se développent pour le raffinage du sucre, ou les huileries, la fabrication de liqueurs, d’apéritifs ou de rhum.
Les sécheries de morues s’installent sur les palus de Bègles qui devient le plus grand centre français de production. Pêcheurs basques, bretons et normands viennent décharger à Bordeaux leurs cargaisons pêchées sur les bancs de Terre-Neuve ou d’Islande.
Le rayonnement considérable de Bordeaux se met en scène dans les grandes expositions, maritimes, universelles, coloniales et nationales. Ces relations avec le monde développent un goût pour l’exotisme et l’art colonial qui donnent naissance à un style de vie propre à Bordeaux.
Une ville en expansion et en transformation
Résultat de ce développement économique, Bordeaux connaît d’importants travaux d’urbanisme : percement de grandes artères, ouverture des boulevards de ceinture. L’architecture témoigne d’un attachement aux canons du classicisme même si l’on perçoit l’apparition de l’éclectisme puis de l’Art nouveau.
L’aristocratie terrienne qui possède des hôtels particuliers en ville est rejointe par la grande bourgeoisie économique, les professions libérales et les hauts fonctionnaires qui habitent des appartements huppés. De nombreux cercles comme le Club bordelais, le New club ou l’Union club constituent leurs lieux de convivialité.
La demande de ces catégories sociales dynamise l’artisanat bordelais. Outre le travail de la pierre, du bois et de la ferronnerie, la faïencerie bordelaise connaît des heures de gloire de même que l’art du vitrail lié au renouveau de la foi et à l’intérêt pour les arts appliqués. Les vitraux à décor civil sont produits en grandes quantités et ont une diffusion internationale. La reconstitution d’une épicerie des années 1920-1930 rend compte de l’activité marchande.
Bordeaux connaît une très grande diversité sociale avec des milieux très compartimentés. Les rues de la ville sont animées par tout un monde de marchands ambulants, colporteurs, artisans mais aussi une population ouvrière très importante du fait des installations portuaires et ferroviaires et de la diversification des industries qui attirent aussi des populations immigrées du grand Sud-Ouest et de l’Espagne. Le taux très élevé de personnel de maisons témoigne de l’aisance de la bourgeoisie locale.
Des bals des corporations aux opéras du Grand théâtre en passant par les cafés-concerts et music-halls, les pratiques culturelles identifient les appartenances sociales que renforcent aussi les séjours sur le Bassin d’Arcachon, et la diversification des sports, des très populaires rugby, cyclisme et football aux pratiques plus distinguées : hippisme, navigation de plaisance, tennis, golf et courses de voitures.
Après la Révolution, le catholicisme connaît un spectaculaire rétablissement avec des cardinaux archevêques qui marquent leur époque. Le patrimoine religieux est restauré et de nouvelles églises édifiées. Patronage et syndicats chrétiens encadrent la vie sociale. Plus discrète mais tout aussi présente, l’influence des protestants et des israélites est très forte dans la vie économique et sociale. La laïcisation se fait jour et la loi de séparation de l’Église et de l’État donne lieu à de violents conflits.
Tombe de Michel de Montaigne
Michel Eyquem de Montaigne est né le 28 février 1533. Il est le fils de Pierre Eyquem, seigneur de Montaigne et d’Antoinette de Louppes. Il est issu d’une famille de marchands anoblie en 1519. Il reçoit une éducation paternelle très soignée et fait ses apprentissages au collège de Guyenne. À 21 ans il occupe une charge à la Cour des Aides de Périgueux avant de devenir conseiller au Parlement de Bordeaux en 1557. Charge qu’il abandonne en 1571 pour se retirer dans son château et y composer les Essais dont la première édition date de 1580.
Parti pour un long voyage à travers l’Allemagne méridionale et l’Italie, il apprend à Rome qu’il doit rejoindre Bordeaux sans tarder, sommé par Henri III d’accepter la charge de maire à laquelle il a été élu contre son gré. De 1581 à 1885, Michel de Montaigne administre sagement sa ville dans le contexte des guerres de religions. Il entreprend l’écriture de sa troisième version des Essais édités en 1588, avant de s’éteindre de maladie le 13 septembre 1592.
La restauration du cénotaphe
Le cénotaphe
Monument funéraire élevé à la mémoire d'un défunt, le cénotaphe ne renferme jamais la dépouille. Celui de Michel de Montaigne fut érigé en 1593 à la demande de sa veuve Françoise de la Chassaigne et aurait été réalisé par Pierre Prieur et Jacques Guillermain. Il se compose d'un gisant sculpté à l'effigie de Montaigne, figé dans une attitude pieuse et revêtu d'une armure.
Les inscriptions funéraires qui lui sont dédiées sont au centre de la cuve. Elles sont sommées d'une tête d'angelot et encadrées d'un rameau végétal. Quatre têtes de mort coiffées d'une couronne de laurier ceinturent le monument pour symboliser la superficialité de la vanité terrestre. Elles sont les seules concessions au macabre avec les tibias sculptés sur les petits côtés, nichés derrière deux pleureuses. Sous les vanités figurent quatre trophées qui exaltent les vertus de l'Antiquité. Le support de la cuve est mouluré de rinceaux d'acanthes et dévoile les armoiries de Michel de Montaigne entourées de deux médaillons. Le soubassement date de l'installation de l'oeuvre dans le hall de l'ancienne faculté inaugurée en 1885.
Les pérégrinations
Le cénotaphe a connu bien des péripéties. Suite à l'interdiction d'inhumer des laïcs dans la Cathédrale Saint-André, le Couvent des Feuillants fut choisi comme lieu de sépulture. La chapelle dans laquelle on installa Michel de Montaigne fut cependant détruite en 1604. Une nouvelle église fut construite à la place et le cénotaphe fut alors installé en 1614 dans la chapelle Saint-Bernard située à la gauche du choeur. Il y restera jusqu'à sa profanation en 1793 et son transfert au musée en 1800. Joseph de Montaigne obtient en 1803 le retour de son aïeul dans la chapelle Saint-Bernard, devenue entretemps la chapelle du Lycée de Bordeaux. En 1871, le Lycée est détruit par un incendie. Il est remplacé par la Faculté des Lettres et des Sciences qui ouvre en 1885. Le cénotaphe qui a été épargné par le sinistre est installé dans le hall. Le 9 janvier 1987, le musée d'Aquitaine est inauguré dans les murs de la faculté qui a quitté le centre-ville. Le cénotaphe intègre alors le parcours permanent.
La bibliothèque
Constituée de plus de 27 000 ouvrages, de travaux universitaires et de collections de périodiques, la bibliothèque du musée est particulièrement riche en documents liés à Bordeaux et à sa région. À noter qu’elle comporte les collections privées de Robert Coulon et de François Bordes.
L'époque Romaine
La Gaule de l’Age du fer (avant la conquête romaine) possédait de nombreuses voies de communication.
Administrateur de la Gaule sous Auguste, Agrippa organise le réseau routier. Celui-ci, amélioré et augmenté, autorise un acheminement plus aisé des marchandises, des messages, un déplacement des hommes (commerçants, militaires) plus rapide. Désormais desservie par les voies bornées aménagées et naturellement par les voies fluviales et maritimes, Burdigala devient une cité portuaire attractive autour de laquelle la vigne colonise peu à peu les sols de grave et de calcaire.
La gaule s’imprègne progressivement du mode de vie romain, la cité marchande de Burdigala en est une des illustrations. Les objets et structures découverts dans le sous-sol bordelais de façon fortuite ou lors de fouilles de sauvetages urgents ou programmés confirment l’adoption progressive par les populations conquises des apports romains.
L’habitation influencée par les modèles romains offre un plan, une décoration, un aménagement inconnus avant la conquête : les murs intérieurs s’ornent d’enduits peints, les sols de mosaïques… Les contenants en verre et surtout en terre cuite, destinés à la préparation, à la consommation et à la conservation des aliments et des liquides, se découvrent en grand nombre dans les strates archéologiques romaines. Ils démontrent l’adoption en Aquitaine romaine d’objets initialement réalisés et employés par les populations méditerranéennes. C’est administrativement que Rome laisse sa plus profonde empreinte en Gaule. Lorsqu’en 476, le dernier empereur romain d’Occident est déposé et que débute le Haut Moyen Age dominé par les dynasties mérovingiennes puis carolingiennes, le système administratif romain sert de modèle à l’organisation des nouveaux territoires.
Mosaïque d’une maison d’habitation urbaine
Ce pavement de mosaïque de taille impressionnante ornait plutôt une galerie que la salle de réception d’une habitation urbaine (domus), car on a retrouvé en bordure d’un des longs côtés un aménagement avec une base de colonne en marbre encore en place. lors de sa découverte en 1876, la mosaïque mesurait plus de dix mètres de longueur, mais les mauvaises conditions de conservation (sol vaseux et instable) n’ont pas permis à l’époque d’en déposer l’intégralité. Elle se prolongeait encore considérablement au sud sous les maisons actuelles, non loin de l’extrémité du port antique qui pénétrait profondément dans la ville. De l’autre côté, au nord, d’autres pavements de types très différents appartenant à la même demeure ont été découverts en 1973-1974 lors de fouilles sous l’îlot Saint-Christoly. On peut imaginer l’impression grandiose ressentie à l’époque par les visiteurs qui, fraîchement débarqués du port, s’arrêtaient chez ces riches propriétaires installés au coeur de la ville antique…
Le tapis de la mosaïque reprend une composition d’octogones entourés de carrés séparés entre eux par des losanges. Comme le reste du pavement, les interstices sont comblés de motifs géométriques (pavés carrés, demi-rose, losanges et écoinçons) extrêmement colorés dont l’influence africaine se fait nettement sentir, notamment la Tunisie (station thermale antique de Djebel Oust). Les couleurs dominantes sont le blanc, le noir, le rouge, le jaune et le vert. Elle est encadrée d’une frise à dents de loup et terminée sur un côté par une élégante frise de rinceaux à feuilles de lierre, rare en Aquitaine.
Relief de course de char
Ce relief présente un aurige sur un char tiré par deux chevaux (bige) dont il ne subsiste que l’arrière-train. L’homme est vêtu d’une courte tunique sans manche et d’une sorte de cuirasse (lorica) qui lui protège le torse. Les rênes autour du corps, il exécute son tour triomphal tenant la couronne et la palme, trophées du vainqueur. Un second char, dont il ne reste que la tête et les pattes antérieures d’un cheval, suit le premier. Ce relief a pu orner un mausolée : le thème du vainqueur est souvent utilisé comme symbole funéraire (accès dans l’au-delà).
Espace des voies de communication et de la circulation
Reproduction d’un segment de la Carte de Peutinger, Carte des routes militaires du Bas-Empire romain, exécutée à Constantinople par ordre de l’empereur Théodose, découverte à Spire vers la fin du XVe siècle par Conrad Celtes, qui la légua à Conrad Peutinger. Elle fut publiée après la mort de ce dernier pour la première fois en 1598 et constitue l’un des rares témoignages de la conception géographique dans l’Antiquité : idéalisée (à l’image de la création des dieux), le monde connu se découpe en espaces géométriques, et se lit en un palimpseste horizontal, s’étirant de façon très exagérée d’ouest en est.
Autel à Epona
Datant du Ier ou IIe siècle et découvert au Fort du Hâ lors des fouilles du Palais de Justice en 1840.
Epona, déesse d'origine celte, est la protectrice des cavaliers, de leur monture, des voyageurs, et aide l'âme des défunts à passer dans l'au-delà.
La déesse apparaît drapée et presque systématiquement assise en amazone sur un cheval bridé passant devant un chêne. Après la conquête de la Gaule par les Romains, bien que peu représentée en Italie, elle y fut peut-être honorée en tant que déesse Isis.
Statue de Jupiter
Jupiter, dieu romain assimilé à Zeus, apparaît comme le pouvoir suprême : il préside au conseil des dieux. Il est à l’origine la divinité du ciel qui provoque la pluie, lance foudre et éclairs, et celle qui maintient l’ordre et la justice dans le monde. C’est donc à ce titre qu’il a pour attributs le sceptre (qu’il tenait ici en main droite) et la foudre ailée (en main gauche). Il est le garant de la fidélité aux traités, et les officiels notamment (consuls et empereurs) se placent volontiers sous sa protection.
La tête du dieu exprime ici la force de celui qui commande aux orages et la grandeur sereine de celui qui fait régner la justice sur la terre comme au ciel. Sa chevelure épaisse et abondante ceinte d’une bandelette s’échappe en boucles ondoyantes autour de son visage. Sa barbe opulente ajoute à la vigueur d’un menton volontaire. La statue en chiasme du dieu (déhanchement provoqué par l’appui sur une jambe), et l’apparence qui lui est conférée d’un homme dans la force de l’âge imposent le respect.
La plus grande représentation de Jupiter de toute l’Aquitaine.
La statuaire du sanctuaire de Mézin comprend les seules sculptures retrouvées en Aquitaine dans leur contexte culturel, par ailleurs d’une exceptionnelle qualité. Parmi elles, se trouve la plus grande représentation en pied de Jupiter de toute l’Aquitaine (1,82 m). Située fin Ier siècle – début IIe siècle après J.-C., cette oeuvre semble se rattacher au modèle grec de la statutaire, tant par ses proportions que par le traitement soigné de la musculature et de sa chevelure, alors que le traitement du visage évoque les divinités gauloises.
Les importations de vin à Bordeaux dans l'Antiquité
Le vin est très apprécié par les peuples gaulois avant et après la conquête romaine. Ils le boivent pur, contrairement aux Romains qui le coupent d’eau. Les Aquitains l’importent en grandes quantités, d’abord d’Italie à partir de la 2nde moitié du 2e siècle avant J.-C., puis d’Espagne, de la Tarraconaise : Catalogne, Aragon, Asturies, puis, massivement, de la banlieue de Barcelone (Baetulo) jusqu’en 40 après J.-C. Celui de Bétique (sud de l’Espagne) est moins importé.
Le vin est transporté par bateaux sur les fleuves et par des chars sur les routes. Les importations varient ensuite et dépendent de la qualité recherchée : sud-est de la péninsule Ibérique (Bétique), Grèce (île de Cos), Crète, Rhodes ou sud de la France : Provence et Languedoc (Narbonnaise).
La consommation et la dégustation du vin à Bordeaux
La production de vin à Bordeaux et dans le bordelais
Lorsque Bordeaux produit son vin, vers 40-50 après J.-C., apparaît une multitude de gobelets à boire d’une grande variété, et un très grand nombre de cruches ou de petites amphores enduites de poix à l’intérieur.
Pour la dégustation du vin vieilli en chai dans les villas des campagnes de l’Aquitaine, on trouve la trace de tout un service à boire. Le cépage de Biturica supposé produit à Bordeaux donne un vin de garde, un vin fort. Il est décanté et parfois filtré, présenté dans des carafes en terre cuite rouge ou en verre, et bu dans des coupes en argent ou en terre rouge décorées. On peut aussi servir le vin en le puisant dans une grande coupe parfois munie d’anses à l’aide d’une louche finement ciselée pour le verser dans les gobelets.
Des mets raffinés sont proposés par les riches propriétaires dans de petites coupelles, parfois jusqu’à l’extravagance, comme le caviar de langues de flamand rose, les tétines de truie farcies aux oursins, les rossignols aux pétales de rose. Les produits de la mer, parfois élevés en viviers, les coquillages, notamment les huîtres du Médoc, sont particulièrement appréciés. Des recettes très savoureuses nous sont parvenues, détaillées et vantées par Pline, Varron, Columelle, ou Martial, le biographe du plus grand chef cuisinier de l’époque, Apicius.
Au 1er siècle après J.-C. sont créées en Gaule des amphores avec une forte panse et un fond plat. Chaque région viticole réalise sa propre forme d’amphore, comme les bouteilles d’aujourd’hui.
Le vin de Bordeaux, présent dès 40 après J.-C., se décline en plusieurs qualités. Le vrac est conditionné dans des récipients (cuves, jarres, cruches) enduits de poix qui lui permettent de se conserver (comme le vin résiné encore produit en Grèce). Les archéologues ont retrouvé l’amphore fabriquée à Bordeaux vers 50 après J.-C. à Agen, dans la région de Périgueux, de Saintes, en Vendée et jusqu’à Angers.
Le vin de garde, vieilli dans les chais des villas, en barriques et tonneaux de 3 à 9 ans, était exporté dans des amphores non poissées et surtout des tonneaux. A partir de la 2nde moitié du 2e siècle après J.-C., les barriques ont remplacé les amphores. Le vin gaulois devient le 1er exporté dans le monde antique et celui de Bordeaux a acquis une telle renommée qu’il est considéré comme l’un des trois meilleurs vins.
Bordeaux au XVIIIe siècle, le commerce atlantique et l'esclavage
Bordeaux Port(e) du monde 1800-1939
Un arrière pays contrôlé et structuré
Situé sur le débouché d’un vaste et riche arrière-pays, Bordeaux profite de nombreuses productions qui alimentent sa population mais aussi ses échanges commerciaux. Les colonies antillaises ne cessent de réclamer toujours plus de comestibles, de biens de première nécessité et de produits manufacturés. Objets de spéculation qui contribuent pleinement à la richesse bordelaise, la vigne et le vin sont l’objet privilégié des investissements des grandes dynasties dans les campagnes avec un essor incomparable du vignoble au détriment des surfaces consacrées au blé.
C’est à cette époque que naissent les premiers grands crus sous l’action de l’aristocratie parlementaire, fondatrice des plus nobles châteaux viticoles ancrés dans une tradition pluriséculaire.
Urbanisme et décor monumental à Bordeaux au XVIIIe siècle
Jusque là enfermé dans ses remparts médiévaux, Bordeaux connaît au XVIIIe siècle un apogée architectural lié à son essor commercial et ses relations avec les îles. Les grands travaux d’urbanisme entrepris dès 1727 sous l’impulsion des intendants Boucher et Tourny transforment la cité en une ville royale monumentale. La place Royale, ornée de sa superbe statue équestre représentant le souverain auréolé de gloire, en est le plus éclatant symbole. Archevêques, gouverneurs et négociants dynamisent aussi l’embellissement de la ville comme en témoignent le Palais Rohan, le Grand Théâtre et les innombrables hôtels particuliers luxueux. Des projets encore plus prestigieux comme la Place Ludovise ou des canaux de promenade autour de Bordeaux sont restés sans suite.
Fortunes Bordelaises
Bordeaux, capitale provinciale
L’activité commerciale avec les colonies, et particulièrement Saint-Domingue, génère à Bordeaux des fortunes considérables. Les capitaux sont fortement concentrés au sein de quelques familles, souvent liées entre elles par des mariages ou des relations d’affaires. En 1751, les quatre premiers négociants regroupent à eux seuls plus du tiers de ces fortunes. En 1777, les 314 raffineurs de la ville et plus de 450 négociants, marchands et commissionnaires, catholiques ou protestants, juifs portugais ou membres de maisons étrangères du Nord de l’Europe reflètent le cosmopolitisme de ce milieu fortement endogame sur le plan religieux et social, mais capable de s’allier aux autres élites urbaines.
La splendeur de leurs hôtels particuliers, leur mode de vie luxueux et l’importance de leurs investissements fonciers, immobiliers et viticoles partout visibles témoignent de leur opulence.
Au XVIIIe siècle, Bordeaux est le siège d’institutions politiques, économiques, intellectuelles et religieuses qui assignent à la ville le rang de capitale provinciale : Gouvernement militaire, Intendance, Parlement, Chambre du Commerce, Cour des Aides, Amirauté, Hôtel des Monnaies, Bureau des Fermes, Archevêché et Université notamment. Leur diversité et les conflits d’influence qui les opposent régulièrement compliquent leur fonctionnement. Le pouvoir royal est représenté principalement par l’Intendant qui relève du conseil du roi. Il exerce son autorité dans le cadre territorial de la Généralité et se heurte souvent à l’élite parlementaire.
La ville est administrée par le maire et les jurats, membres du Corps de Ville, secondés par les conseils des Trente et des Cent trente.
Noirs et gens de couleur à Bordeaux
Plus de 5000 Noirs et gens de couleur ont été dénombrés à Bordeaux au 18e siècle. Il s’agit d’esclaves domestiques qui suivent leur maître ou venus apprendre un métier utile aux plantations avant d’y retourner, ainsi que des libres de couleur. Si la présence de cette population semble tolérée, l’usage du collier de servitude témoigne en revanche de sa discrimination raciale. Les autorités organisent des recensements obligatoires, instaurent une police particulière et ouvrent un « dépôt des Noirs » dans un souci de contrôle. En 1777, trois cents personnes de couleur sont ainsi recensées dans la Généralité. Les deux tiers sont des esclaves sans ambiguïté bien que « la France ne puisse admettre aucune servitude sur son sol ». En 1776 deux d’entre eux gagnent un procès contre leur maître obligé de les affranchir. Ces aspirations, soutenues par les milieux abolitionnistes, restent largement combattues jusqu’à la Révolution.
Le port de Bordeaux au XVIIIe siècle
Faisant suite à une immigration hollandaise plus ancienne, à partir du début du XVIIIe siècle, de nombreux négociants irlandais et hanséates s’installent à Bordeaux et dynamisent son commerce. Sur les circuits pluriséculaires liés aux exportations du vin jusqu’aux rivages de la Baltique, se greffent de plus en plus les réexportations des produits antillais. Les négociants bordelais peuvent dès lors développer le commerce colonial, dont les cargaisons parvenues à Bordeaux trouveront preneur dans toute l’Europe du Nord-Ouest.
Sur le port de la lune, le mouvement de navires de toute taille dépasse les 3000 bâtiments par an. À la foule des gabares qui amènent les produits de l’arrière-pays, s’ajoute le mouvement incessant des caboteurs qui assurent les liaisons avec les côtes françaises. Pour quelque 250 navires qui partent de Bordeaux pour aller aux îles, il y en a près de 700 qui vont vers l’Europe du Nord.
Plan de Bordeaux, dit de Lattré
Jean Lattré, 1755, Gravure au burin
En 1754, l’intendant Tourny fit lever le plan de Bordeaux par les géographes Santin et Mirail et le fit graver par Jean Lattré avant de le présenter au roi en 1755. Il montre ses réalisations d’urbanisme et celles de son prédécesseur, l’intendant Boucher.
La bataille de Fontenoy (11 mai 1745)
Ce bas-relief est une reproduction sculptée du tableau peint par Charles Parrocel de la bataille de Fontenoy. Le roi à cheval est accompagné de son état-major.
La prise de Port-Mahon (28 juin 1756)
Ce bas-relief illustre la prise de Port-Mahon (île de Minorque) enlevé aux Anglais par le maréchal de Richelieu, présenté au premier plan avec son état-major.
La vie culturelle et intellectuelle
La création en 1713 de l’Académie royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux et du Musée en 1783 où convergent de nombreuses activités littéraires, scientifiques, historiques et artistiques, illustre l’ardeur culturelle et intellectuelle de la cité. À l’instar de Montesquieu, membre de l’Académie dès 1716, ces sociétés diffusent les idées nouvelles des Lumières dans l’ensemble de la société. Diffusion relayée par les Salons et par l’influence discrète de la franc-maçonnerie.
La construction du Grand-Théâtre en 1780 marque un nouvel essor des arts de la scène et de la musique avec l’Opéra.
La peinture et la sculpture s’épanouissent avec l’opulence des mécènes et les transformations architecturales de la ville.
La croissance démographique
La ville de Bordeaux voit sa population doubler entre 1715 et 1790, passant de 55 000 à 109 000 habitants par l’arrivée massive d’immigrants. Attirés par l’expansion économique de la ville, ils viennent majoritairement de l’Aquitaine et des Charentes. Cette immigration est avant tout marquée par son aspect rural et viticole notamment pour les régions les plus proches. Elle est aussi religieuse avec les protestants.
Bordeaux accueille aussi en nombre gens de petits métiers, artisans, marins, domestiques et journaliers. Cette forte immigration soutient la croissance bordelaise et fournit l’indispensable main-d’oeuvre à un port en pleine effervescence. Si certains immigrés améliorent leur condition ou même font fortune, tous n’ont pas cette chance.
Bordeaux, porte océane
À la veille de la Révolution, Bordeaux, premier port colonial, accapare près de la moitié du commerce français en envoyant vers les îles d’Amérique deux fois plus de navires que Nantes ou Marseille. bénéficiant du régime de « l’Exclusif » qui interdit aux colonies tout commerce avec les pays étrangers, Bordeaux transporte « en droiture » vers les Antilles des passagers et des produits aquitains qui sont échangés contre les denrées coloniales qu’il redistribue dans toute l’Europe. Les besoins antillais en esclaves conduisent les armateurs bordelais à développer le commerce triangulaire de la traite des Noirs qui représente moins de 5% des expéditions coloniales de la ville en moyenne au XVIIIe siècle. Bordeaux doit sa richesse au commerce de denrées produites par des esclaves plus qu’à la traite elle-même.
Le commerce en droiture
Le commerce triangulaire
L’essentiel (95%) du commerce bordelais vers les îles d’Amérique se fait « en droiture ». Les navires marchands bordelais transportent passagers et « engagés » ainsi que les produits de la région aquitaine : textiles, étoffes et soieries fines, produits alimentaires, vins, farines et biens d’équipement en général. Ils ramènent sucre, café, indigo, coton et cacao.
La durée du voyage et les risques, surtout en temps de guerre, supposent la mobilisation de capitaux importants. Certains marchands se regroupent pour prendre des parts sur l’affrètement des navires, partager les risques et les bénéfices. Fortunes vite amassées et faillites retentissantes caractérisent ce commerce.
Le commerce triangulaire consiste à transporter des produits européens sur les côtes africaines et à les échanger contre des esclaves. Près d’une centaine de produits différents alimentent la demande africaine : toiles de coton, soieries, fer en barres, produits manufacturés, fusils, munitions, boissons alcoolisées, cauris (coquillages utilisés comme monnaie), tabac, etc. Les esclaves sont ensuite vendus ou échangés dans les colonies d’Amérique contre des denrées coloniales : sucre, tabac, indigo, coton…, qui sont à leur tour vendues en Europe. La traite européenne s’est développée au fil du temps sur près de 3 500 km de côtes, de la Sénégambie à l’Angola, puis dans l’océan Indien. Du milieu du XVIe au milieu du XIXe siècle, de 11 à 13 millions de Noirs ont été déportés vers le Nouveau Monde.
L’apogée de la marine à voile
Le XVIIIe siècle connaît des progrès considérables dans la construction navale et l’art de la navigation. Des coques plus solides améliorent la tenue à la mer et les nouveaux gréements facilitent les manoeuvres et la remontée au vent. L’octant et le chronomètre permettent désormais le calcul des longitudes et réduisent considérablement les erreurs de position.
Grâce aux méthodes scientifiques, les expéditions de Bougainville, Cook ou Lapérouse mettent le monde à la portée de l’Europe et le commerce transocéanique offre un nouvel essor à l’économie des puissances maritimes européennes. Il faut plus d’un mois dans les meilleurs des cas pour aller aux Antilles.
Les Antilles avant l'arrivée des européens
La traite des noirs
Les groupes qui ont peuplé les Antilles par vagues successives appartiennent à la grande famille linguistique Arawaks et viennent du bassin guyano-amazonien. Lors de l’arrivée de Christophe Colomb, les Tainos peuplent les Grandes Antilles et les Kallinagos (autrefois appelés Caraïbes), les Petites Antilles.
Les Tainos sont un peuple sédentaire, organisé en chefferies dirigées par les caciques. Les esprits des ancêtres et de la nature sont représentés par des zemi, sculptures en pierre, bois ou coton.
Les Kallinagos sont une société égalitaire et mobile, belliqueuse qui pratique l’anthropophagie rituelle. Ils sont d’excellents navigateurs. Décimés par les maladies des Européens et réduits au travail forcé par les Espagnols, ces peuples ont très vite disparu.
Comme beaucoup de civilisations, les sociétés africaines pratiquaient l’esclavage. La demande européenne dope cette pratique et, du Sénégal à l’Angola et en Afrique de l’Est, les autorités et les marchands africains vont tirer des bénéfices substantiels de la traite.
Les captifs proviennent surtout de guerres ou de rapts. Ils sont parfois enfants d’esclaves ou vendus par leurs parents lors de famines.
Au fur et à mesure de la demande européenne, les marchands africains mènent des razzias de plus en plus loin dans le continent et beaucoup de captifs meurent avant d’atteindre la côte.
Au fil du temps, les lieux de traite se déplacent et, après 1780, les marchands bordelais achètent les esclaves au Mozambique et à Zanzibar. Les bateaux négriers s’approvisionnent de rade en rade et la traite dure de 3 à 6 mois, ce qui a une forte incidence sur le taux de mortalité des premiers captifs embarqués.
Bordeaux, port négrier
Comme tous les ports européens, Bordeaux a pratiqué la traite négrière. Avec près de 500 expéditions de traite organisées entre 1672 et 1837, Bordeaux représente 12% de la traite française comme La Rochelle et Le Havre, loin derrière Nantes (1700 expéditions). Environ 180 armateurs bordelais sont à l’origine de ces expéditions qui ont déporté entre 120 000 et 150 000 Noirs. La traite bordelaise s’est surtout intensifiée à partir des années 1780, après la guerre d’Indépendance américaine, car la diminution des profits du commerce colonial en droiture et la concurrence des farines américaines conduisent les armateurs bordelais à rechercher des placements plus rentables. En raison de la concurrence des négriers étrangers sur les côtes occidentales de l’Afrique, l’approvisionnement en captifs s’élargit aux côtes de l’océan Indien.
Traites et esclavages dans l'histoire
L’esclavage a été pratiqué par toutes les civilisations depuis les temps les plus reculés (premières traces écrites en Mésopotamie). Souvent, comme dans la Rome antique, esclave est synonyme d’étranger car la plupart des sociétés répugnent à mettre en esclavage des individus appartenant à leur culture. C’est pourquoi l’esclavage est surtout alimenté par les guerres, ce qui entraîne le déplacement des captifs (la traite). Les traites africaines et arabes sont antérieures à l’arrivée des Européens. Cependant, la demande européenne en main-d’oeuvre africaine pour la mise en valeur du Nouveau Monde donne à ce commerce humain une ampleur jamais égalée sur une courte période. Les esclaves aux Amériques sont considérés comme de simples biens et réduits à l’état de force de travail.
Le passage du milieu
La traversée de l’Atlantique est le moment le plus dramatique de la traite. Entassés dans l’entrepont à raison de 1 à 2 hommes par tonneau de jauge, enchaînés la plupart du temps pour éviter les révoltes, les hommes vivent dans un univers carcéral nauséabond. Femmes et enfants sont enfermés dans le parc à esclaves à l’arrière du navire. Le viol par les marins est fréquent. Les maladies (dysenterie, scorbut), les suicides et les révoltes violemment réprimés conduisent à des taux de mortalité élevés. Ces taux vont de 25% des captifs au début du XVIIe siècle à 11% à la fin du XVIIIe pour remonter à 15% après 1815. On estime que 1,7 millions de Noirs n’ont pas survécu à la traversée. Les matelots, victimes des fièvres tropicales ou des épidémies contractées à bord connaissent des taux de mortalité comparables sur la totalité du circuit triangulaire.
Les rivalités coloniales
Au XVIIe siècle, les luttes maritimes et coloniales ajoutent aux enjeux continentaux classiques ceux de la préservation des empires coloniaux par l’emploi d’escadres, de convois et de corsaires. France, Angleterre, Hollande, Espagne, Suède et Danemark sont présents aux Antilles. Les guerres de Succession d’Espagne (1702-1713) et de Sept ans (1756-1763) entraînent des pertes de territoires coloniaux pour la France, alors que celle de Succession d’Autriche (1740-1748) se termine par un statu quo. Pour sauver les îles à sucre des Antilles, la France sacrifie en 1763 le Canada et la Louisiane occidentale. L’Angleterre perd la guerre d’Indépendance des Etats-Unis (1776-1783). Sous la Révolution et le Consulat, les conflits ultra-marins se compliquent du fait d’enjeux liés à la question de l’abolition et du rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises.
La révolution Française à Bordeaux
De nombreux clubs et sections patriotiques sont créées à Bordeaux dès les débuts de la Révolution avec le Club National en 1789 et la Société des Amis de la Constitution en 1790.
Dès 1791, le désordre et la violence tendent à s’instaurer mais la victoire de Valmy et la proclamation de la République en 1792 entraînent une grande liesse populaire.
Les difficultés de l’année 1793 et la proscription des Girondins conduisent à la Terreur du Comité de Salut Public. Tout citoyen qui n’est pas porteur d’une carte de sûreté est suspect. Le tribunal révolutionnaire présidé par Lacombe multiplie les condamnations et la guillotine est installée place Nationale. Le négoce bordelais est décapité avec l’arrestation de plus de 200 négociants. La chute de Robespierre en 1794 met un terme à la Terreur. Le Directoire succède à la Convention avant d’être balayé par Bonaparte en 1799.
Cultures du monde
Un port en mutation
L’expansion coloniale qui marque la seconde partie du XIXe siècle permet à Bordeaux d’accroître le rayonnement de son port. Historiquement tourné vers l’outre-mer, la ville entretien dès lors des liens étroits avec l’empire colonial.
De nombreux voyageurs, missionnaires, marins, négociants, administrateurs, rapportent de leurs séjours lointains, souvenirs et curiosités qui transitent par le port et les marchés de la ville.
La collection du musée, riche aujourd’hui d’environ 3000 pièces, se constitue dès cette époque au gré des dons et des achats.
La qualité ethnographique de ces objets permet d’évoquer la richesse culturelle de certaines de ces sociétés traditionnelles : vie quotidienne et religieuse de Nouvelle Calédonie, productions et techniques d’Océanie, instruments de musique et sculptures d’Afrique noire, approche du monde eskimo.
Le commerce est durement touché par les guerres de la Révolution et de l’Empire et la perte de Saint-Domingue (1804). Mais, durant la première moitié du XIXe siècle, les relations intercontinentales reprennent et dans la seconde moitié du siècle, le port connaît un essor manifeste en particulier grâce aux relations avec le nouvel empire colonial.
Pour répondre à la croissance des trafics et rester compétitif, le port s’équipe (construction des quais verticaux, des bassins à flot et des hangars sur la rive gauche, appontements charbonniers de Queyries, quais de Bassens créés par les Américains en 1917-1918, Grattequina sur la rive droite). Il aménage des avants-ports (Pauillac-Trompeloup et le môle d’escale du verdon). Les constructeurs navals rivalisent d’inventivité pour améliorer constamment leurs navires répondant ainsi aux impératifs de la navigation moderne. Bordeaux est un pôle ferroviaire ouvert sur le sud-ouest, le reste de la France et les marchés continentaux.
Le Pont de pierre
La construction du Pont de pierre est décidée par Napoléon Ier (décret impérial du 26 juin 1810). Le négociant Pierre Balguerie-Stuttenberg crée la Compagnie du pont de Bordeaux pour lever les fonds privés nécessaires à l’achèvement des travaux. Long de 486 mètres, il présente dix-sept arches construites en maçonnerie de pierre de taille et de brique. Il est ouvert à la circulation le Ier mai 1822. Sa réalisation permet l’extension de la ville sur la rive droite et le développement économique du quartier de La Bastide désormais rattaché à Bordeaux (1865). Cette entreprise est l’oeuvre de Claude Deschamps, soutenu par Camille Tournon, préfet de la Gironde et le ministre Lainé. Le Pont de Pierre reste le seul pont non ferroviaire jusqu’à la construction du pont Saint-Jean en 1965.
Un horizon maritime mondial
Le négoce bordelais renforce ses débouchés classiques vers l’Amérique et l’Europe du Nord et développe les échanges avec les colonies (Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Antilles, Indochine, Nouvelle-Calédonie) et la Chine. Avec les ouvertures maritimes et le marché régional, l’industrialisation se renforce : métallurgie, agro-alimentaire, viticulture.
De grandes expositions et des foires sont organisées sur la place des Quinconces pour valoriser les initiatives régionales et soutenir l’économie locale. Le port importe beaucoup de charbon britannique notamment pour les steamers. Dans les années 1860-1870, apparaissent quelques petites raffineries de pétrole, d’abord à Saint-Loubès, puis, dans l’entre-deux-guerres à Pauillac et Bassens. Bordeaux développe aussi le trafic de passagers, avec les paquebots des grandes compagnies maritimes. Enfin, Bordeaux est un grand port d’émigration surtout vers l’Amérique du Sud.
L'entrepôt réel de marchandises : entrepôt lainé
Sous la restauration, à l’initiative de Pierre Balguerie-Stuttenberg, la Chambre de Commerce fait élever place Lainé, sous la direction de l’ingénieur Claude Deschamps, un entrepôt réel de marchandises (1822-1824). Il s’agit de magasins spéciaux soumis à la surveillance de la douane, dans lesquels les négociants entreposent les marchandises en provenance de l’étranger, d’où sa proximité avec le port.
L’édifice réalisé en pierres et briques constitue un exemple unique d’architecture portuaire de la première moitié du XIXe siècle. Depuis 1984, il abrite le Musée d’Art Contemporain (CAPC).
L'âge d'or de l'industrie navale
De 1793 à 1815, les chantiers bordelais équipent à plein la flotte corsaire. Au début du XIXe siècle, ils deviennent un des leaders mondiaux des clippers, avec les coques « bois-fer ». Ils multiplient aussi les vapeurs fluviaux pour le trafic local, un des plus denses du pays. Le fer, puis l’acier remplacent graduellement le bois des coques. L’hélice se généralise. Les chantiers sont nombreux sur les quais de Sainte-Croix et de Paludate, et, de plus en plus, sur les quais de Bacalan, Lormont et Queyries. Après 1875, on assiste à l’essor des grands navires de commerce (cargos, paquebots…), mais surtout militaires (cuirassés, croiseurs, torpilleurs…), avec des unités de premier plan (Vérité, Vergniaud), Bordeaux ayant alors acquis la réputation de « premier arsenal privé » de France, ce qui restera vrai jusqu’au début des années 1950.
Au temps des paquebots transatlantiques
En 1857, Bordeaux obtient la ligne du Brésil qui est confiée à la Compagnie des Messageries impériales et à partir de la fin du siècle, les Chargeurs réunis exploitent la ligne de la côte d'Afrique occidentale. Par la suite apparaissent d'autres lignes dont celle des Antilles en 1883 et celle du Maroc au début des années 1910 contrôlées par la Compagnie Générale Transatlantique. La Sud-Atlantique, compagnie de prestige qui assure la ligne de l'Amérique du Sud, est créée en 1912.
L'entre deux guerres est l'âge d'or des paquebots dont certains sont chers aux Bordelais : le Lutetia, le Massilia (Sud-Atlantique) le Foucauld, le Brazza (Chargeurs), le Meknès, le Marrakech (Transat).
Toutefois le plus prestigieux de tous, l'Atlantique, ne vient pas jusqu'à Bordeaux mais s'arrête à Pauillac pour des raisons de tirant d'eau.
Bordeaux port colonial
En concurrence avec Paris, Lyon, Nantes, Le Havre ou Marseille, Bordeaux se place au coeur du négoce avec les colonies. Après la Révolution, les raffineries de sucre des Antilles y sont encore nombreuses et assurent 15% de la consommation européenne dans les années 1830 ; puis s'y ajoute le négoce du rhum. Dans les années 1840-1950, les firmes bordelaises sont fortes au Sénégal, en Gambie et en Casamance, où elles développent en particulier la culture de l'arachide, qui approvisionne les quatre huileries actives en Gironde. Dans l'océan Indien, Bordeaux, derrière Nantes, est en relation avec La Réunion (rhum, sucre) et, derrière Marseille, avec Madagascar (maison Faure frères). Des armateurs et négociants bordelais se déploient en Extrême-Orient : ils approvisionnent le corps expéditionnaire en Cochinchine, sont les premiers à s'implanter au Cambodge et soutiennent le négoce girondin en Indochine (Denis frères). Les maisons Bordes et Ballande (puissantes en Nouvelle-Calédonie) sont actives dans le Pacifique ; depuis Valparaiso, elles contrôlent le commerce avec Nouméa et assurent l'essentiel du service régulier avec Tahiti.
L'émergence d'un art colonial
Marins, négociants, militaires, administrateurs, missionnaires ramènent dans leurs bagages de nombreux souvenirs des colonies ou d’Orient.
Masques, statuettes, ivoires, armes, se retrouvent dans les collections familiales, sur les marchés d’art, dans les foires coloniales, puis dans des musées comme autant de témoins authentiques de cultures lointaines ou de créations adaptées au goût occidental, réunis sous le terme « d’art colonial ». Le musée d’ethnographie de l’université de Bordeaux est ainsi créé en 1894 et dans l’entre-deux-guerres, de grands décors peints réalisés par des artistes de l’école de Bordeaux (exposition des arts décoratifs de Paris en 1925, Bourse du travail) exaltent l’exotisme ultramarin. Les collections du musée d’Aquitaine témoignent des liens étroits que Bordeaux, forte de son histoire portuaire, a tissé avec l’outre-mer.
Expositions et foires sur la place des Quinconces
Une ville en expansion
En 1808 est fondée la Société philomathique de Bordeaux, vouée « au progrès des sciences, des arts, de l’industrie et de l’instruction publique ». Elle organise des expositions d’abord locales, puis progressivement régionales et même nationales. En 1854, l’exposition est ouverte à l’Algérie récemment conquise et aux colonies. Avec ses bâtiments provisoires et démontables place des Quinconces, elle inaugure la série des grandes expositions témoignant de l’intérêt de Bordeaux pour les colonies et du prestige des vins (exposition internationale de 1887, exposition universelle de 1895, exposition maritime internationale de 1907). Dès 1916, sont organisés les premières foires modernes, toujours marquées par la mise en valeur des réalisations aux colonies et destinées à intéresser des clients à de nouveaux marchés.
Au XIXe siècle, Bordeaux connaît d’importants travaux d’urbanisme et se dote d’équipements indispensables à son extension. Outre la percée de larges artères, une des grandes entreprises est la construction du boulevard de ceinture. Sur le plan architectural, l’héritage de cette période a marqué l’identité monumentale de la ville : quartier des Quinconces, monuments prestigieux et habitat riche qui témoignent d’un attachement aux canons du classicisme même si l’on peut percevoir l’apparition de l’éclectisme, voire de l’art nouveau. Dans l’entre-deux-guerres, des réalisations marquantes montrent une ouverture aux courants novateurs de l’architecture moderne. La population augmente fortement à Bordeaux et dans les communes suburbaines sans cesse en expansion. L’habitat privilégie les échoppes et jardins. Progressivement, la ville de Bordeaux s’étend au-delà des boulevards. Bordeaux est une porte d’entrée et de départ pour de nombreux migrants du grand sud-ouest ou de l’étranger (Espagnols, Italiens).
L'attrait de l'Orient
L'ouverture au monde dépasse le plan commercial au XIXe siècle et s'illustre dans l'émergence d'un goût pour l'exotisme et le retour au passé. Cet état d'esprit s'incarne en la personne d'Edouard Bonie qui a constitué une collection d'objets hétéroclites conservés dans un hôtel particulier bordelais converti en musée et légué à la Ville de Bordeaux en 1894.
Cette quête de l'ailleurs, cet attrait de l'Orient se retrouvent aussi chez le docteur Jean-Ernest Godard, qui entreprend en 1861, dans le cadre d'une mission pour Napoléon III, un périple en Egypte au cours duquel il constitue une très riche collection de pièces pharaoniques qu'il lègue à la Ville de Bordeaux. Pour répondre à cet engouement et compléter l'ensemble, celle-ci acquiert en 1862 un sarcophage de la XXIe dynastie importé en 1842 par un antiquaire nîmois.
Vie religieuse
Après la Révolution, le catholicisme connaît un spectaculaire rétablissement. Des personnalités importantes comme les cardinaux archevêques (de Cheverus, Donnet, Lecot...), des congrégations religieuses et un clergé nombreux témoignent de ce renouveau. Le patrimoine religieux est restauré et beaucoup de nouvelles églises sont édifiées. Charité, éducation, action sociale (patronages, syndicats chrétiens) manifestent l'influence de l'église dans la vie quotidienne. Mais le catholicisme concordataire se tient au coeur des débats sur la laïcité. La république laïque expulse les congrégations, vote la séparation des Églises et de l'État (1905). De nouveaux rapports s'établissent.
Les protestants et les israélites constituent des minorités bordelaises très impliquées dans la vie locale, sociale et économique. Elles connaissent un renouveau, elles aussi, bien illustré par de nouveaux lieux de culte : temple et synagogue.
La puissance des industries alimentaires
cette activité repose sur la diversité des produits fournis par l’arrière-pays agricole (minoteries comme les Grands Moulins de Bordeaux) et l’outre-mer colonial (alcools, sucre, graines d’anis, écorces d’orange, coriandre, cannelle, café ou cacao). La plus ancienne de ces industries est le raffinage du sucre. De petits établissements se multiplient : conserveries, biscuiteries, chocolateries, brasseries ; et quelques usines émergent (biscuits Olibet et chocolaterie Tobler, conserverie Rödel). Quatre huileries travaillent des quantités croissantes d’arachides du Sénégal : trois à Bordeaux (deux à Bacalan, une quai de Queyries), une à Laubardemont, sur l’Isle. De nombreux fabricants et négociants de liqueurs (Marie-Brizard), d’apéritifs et de rhum (Bardinet) bénéficient de ventes sur Paris ou outre-mer. Enfin, un quartier industriel est né à Bègles avec les sècheries de morues.
Le dégagement de la cathédrale Saint-André par la démolition du cloître et du mur gallo-romain
Léo Drouyn (1816-1896)
1865
Huile sur toile
Dépôt des Archives municipales de Bordeaux
La démolition du cloître de la cathédrale Saint-André et du mur gallo-romain fut imposé afin de permettre la percée du cours d’Alsace et Lorraine pour assurer une meilleure liaison entre le fleuve et le quartier de la cathédrale.
Loisirs et sports
La vie festive est marquée par les fêtes populaires de plein air ou encore les grands bals de corporations. Le Grand-Théâtre occupe le sommet de la hiérarchie des salles de spectacles. Concerts, opérettes, danses, chansons comiques, revues et numéros de cirque figurent au répertoire des cafés-concerts et music-halls. Mais dans l’entre-deux-guerres, le cinéma concurrence les autres formes de spectacles. Les voyages au bord de la mer (Arcachon, Lacanau, Soulac, Royan) et la pratique du sport se développent dès la fin du XIXe siècle.
Le rugby, le cyclisme et le football sont très populaires. D’autres activités comme l’équitation, la navigation de plaisance, le tennis (Villa Primrose), le golf ou encore les courses automobiles ont davantage la faveur des milieux aisés. Cercles et clubs connaissent un vif succès.