Comme dans les autres cités de la France médiévale, le quartier cathédral d’Évreux est implanté à l’intérieur des fortifications. Particularité ébroïcienne, il est situé à la périphérie de la cité, à l’angle sud-ouest de l’enceinte gallo-romaine, ce qui indiquerait que la cathédrale se serait substituée au temple romain, probablement détruit lors des invasions barbares de la fin du IIIe siècle. Ce lieu est également un carrefour de voies antiques, de la rue Chartraine joignant les routes de Chartres à celle de Rouen et de la chaussée venant de Paris et se dirigeant vers Brionne et Lisieux.
Les évêques ont toujours installé leur résidence à côté des cathédrales. Les évêchés possèdent souvent un aspect défensif car les évêques doivent se protéger des menaces extérieures, surtout en cas de position périphérique de leur logement.
Maquette d’Évreux au XVe siècle.
Avant le bâtiment que nous pouvons toujours admirer aujourd’hui, un premier palais épiscopal se dresse à côté de la cathédrale, au sud-est du cloître de l’édifice actuel. Il est incendié par les troupes navarraises, s’enfuyant devant l’armée royale en 1356. Dans les flammes disparaissent les archives de la cathédrale et du diocèse, interdisant définitivement toute étude antérieure à cet événement. De nouveau endommagé lors de la prise d’Évreux en 1379 par les mêmes troupes royales, il est décidé d’effectuer quelques restaurations afin de maintenir debout l’évêché, mais sa vétusté oblige l’évêque à s’installer à Vernon. Il devient alors nécessaire de reconstruire le palais épiscopal.
1499-1790 : l'âge d'or du palais épiscopal d'Évreux
Raoul du Fou représenté en priant. Missel d’Évreux. Coll. Fonds ancien de la Médiathèque.
Cette décision de reconstruction revient à Raoul du Fou, évêque d’Évreux de 1479 à 1511.
Raoul du Fou est un homme de culture, bien en cours auprès du roi. Il est choisi par Charles VIII en 1498 pour seconder le cardinal d’Amboise dans ses fonctions de lieutenant et gouverneur général de la Normandie. L’année suivante, il obtient du roi l’autorisation d’entreprendre la reconstruction du palais épiscopal, en appuyant celui-ci sur les remparts de la ville.
Le 9 juin 1499, le bailli d’Évreux reçoit des lettres émanant du pouvoir royal lui demandant de réunir, sous l’autorité du maître des oeuvres et réparations du bailliage, les conseillers et procureurs des bourgeois d’Évreux, le capitaine de la ville, les avocats et procureurs du roi au bailliage, ainsi que quelques maçons et habitants et de se rendre avec eux sur les lieux de la future construction. Le but est de les inspecter et d’examiner les plans et devis présentés pour la construction de l’édifice afin de s’assurer qu’elle ne remette pas en cause la sûreté de la ville.
A l’issue de cette consultation, la décision est prise d’appuyer le futur bâtiment contre le rempart gallo-romain afin de garder l’aspect défensif de ce côté de la ville. Une partie des murailles a probablement été reprise afin de consolider l’ensemble. Les devis présentés par Pierre Smoteau, « masson », terme qui désigne à l’époque à la fois architecte, conducteur de travaux, maçon… sont approuvés par l’ensemble de la commission réunie à cette occasion. Les travaux peuvent alors débuter. Les moyens alloués à son édification ainsi que l’unité de la construction permettent de penser que la réalisation est rapide.
Pendant les travaux, Raoul du Fou s’installe au château de Gaillon, mis à sa disposition par l’archevêque de Rouen, Georges Ier d’Amboise.
Les évêques d’Évreux prennent possession de leur palais au début du XVIe siècle. La date précise d’achèvement des travaux est inconnue mais c’est bien à l’évêché que loge François Ier lors de son entrée solennelle à Évreux, le 9 septembre 1516, accueilli par l’évêque Ambroise Le Veneur. Quelques décennies plus tard, en 1603, c’est au tour d’Henry IV et Marie de Médicis de passer deux nuits à l’évêché.
Un témoignage d’importance nous est donné sur l’évêché au XVIIe siècle par la Marquise de Sévigné. En effet, un des beaux-frères de Madame de Grignan, fille de la marquise, l’abbé Louis-Joseph Adhémar, est nommé évêque d’Évreux, charge dont il ne prendra pas possession. Madame de Sévigné, dans des lettres rédigées les 21 février et 6 mars 1680, qualifie le bâtiment de « logement très beau » et de « charmant évêché ».
Au début du XVIIIe siècle, les évêques désertent leur palais pour leur château de Condé-sur-Iton, bien mieux situé pour les parties de chasse. L’évêché se dégrade très rapidement et de nombreux travaux sont alors réalisés. Mais bientôt, une nouvelle ère bien plus mouvementée s’ouvre pour l’illustre bâtiment.
Vue d’Évreux côté Porte peinte, partie est de l’enceinte médiévale. Ph. archives municipales d’Évreux.
1790-1824 : la parenthèse administrative
En 1789, la Révolution éclate bouleversant l’organisation des anciennes structures sociales. Les biens du clergé sont saisis, l’évêché devient propriété de la nation.
Nommé en 1775, Monseigneur de Narbonne-Lara refuse de prêter serment à la Nation et quitte l’évêché le 10 mars 1790. L’évêque constitutionnel Lindet occupe alors le poste, jusqu’en 1792.
En mai 1793, l’assemblée municipale installée depuis le Moyen Age au premier étage de la maison commune jouxtant la tour de l’horloge, s’installe dans l’évêché. Mais bientôt, les lieux plaisent au nouveau préfet, Masson de Saint-Amand, qui en prend possession en mars 1800, obligeant la municipalité à déménager à nouveau.
Le 2 août 1802, la nouvelle préfecture reçoit Napoléon et Joséphine, lors de leur premier voyage à Évreux. En l’absence du préfet, ils sont accueillis par l’évêque. Le soir, une brillante réception se déroule à la préfecture, avec dîner où prennent place de nombreux notables, suivi d’une illumination générale, de danses et d’un feu d’artifice. Quelques années plus tard, l’ex-impératrice en exil au château de Navarre, fait encore deux apparitions à la préfecture, en février et en août 1811.
C’est le 9 avril de la même année qu’un décret demande que les édifices passés sous la tutelle de l’État lors des saisies révolutionnaires reviennent aux départements et aux communes, ceci dans les plus brefs délais. La municipalité s’étant désintéressée du dossier, le préfet décide que l’évêché reste propriété de l’État, mais son utilisation est réservée au Département.
1824-1905 : le retour des évêques
Après la mort de Louis XVIII, le préfet rend le palais épiscopal à sa destination première et, en 1824, Monseigneur de Salmon du Chatelier réintègre l’évêché, laissant à la préfecture le séminaire Saint-Leufroy. Huit évêques lui succèdent jusqu’en 1905.
L’évêché trouve alors son aspect quasi définitif, car les campagnes de restauration, plus ou moins heureuses, sont nombreuses durant cette période. Mais la loi de 1905 marque un tournant définitif dans la longue histoire du palais épiscopal.
Palais épiscopal, porte de la tourelle.
1905-1962 : la lente genèse du musée
En 1905 est votée la loi de séparation de l’Église et de l’État. Monseigneur Meunier reçoit aussitôt l’ordre du préfet de quitter l’évêché. Il part s’installer au collège Saint-François.
Cette loi a pour conséquence d’attribuer à l’État le patrimoine architectural religieux : cathédrales, églises et évêchés… à charge pour lui de l’entretenir. Dans de nombreuses villes, il est alors envisagé d’aménager les anciens évêchés en musées, leur intérêt historique et architectural incitant à en faire un usage culturel. Cependant, les effets conjugués de la contestation de la loi de 1905 par le clergé et l’opinion publique et l’éclatement de la guerre de 1914-1918 repoussent souvent la réalisation de ces projets à l’après seconde guerre mondiale. Afin de le protéger, le bâtiment est tout de même classé monument historique dès 1907.
Cour de l’ancien évêché d’Évreux, lithographie, XIXe siècle. Fonds patrimonial des bibliothèques d’Évreux.
Le problème de la propriété de l’évêché n’étant toujours pas résolu depuis 1811, il s’ensuit, lorsque des travaux s’avèrent nécessaires, des tensions entre l’État et le Département pour déterminer qui doit payer. L’État a déjà proposé de céder l’évêché à la ville, qui a refusé. En 1911, l’État suggère au département d’y créer un musée. L’idée fera lentement son chemin, avant d’aboutir dans les années 50.
Il résulte de ce contexte nouveau l’abandon du bâtiment pendant quelques années. Il est utilisé pendant la première guerre mondiale pour accueillir le collège des Capucins, transformé en hôpital. La guerre est suivie d’une nouvelle période d’abandon. Seuls les anciens locaux de l’officialité (tribunal ecclésiastique), fermant la cour et datant du début du XVe siècle, abritent les bureaux de l’Office national des Pupilles de la Nation. A cette époque, les herbes envahissent la cour et le cloître.
En 1924, M. Priolet, trésorier payeur général émet le souhait de s’installer dans l’évêché. Au même moment, monseigneur Chauvin plaide pour le retour des évêques dans leur palais. Deux propositions sont donc faites au Conseil général, qui attribue à la majorité l’évêché au trésorier payeur, malgré les très vives protestations de l’évêque. Quelques années plus tard, ce dernier fait une nouvelle tentative en proposant un échange des locaux respectifs. Mais Mgr Chauvin décède le 17 mars 1930 et l’affaire en reste définitivement là.
M. Priolet fait poser de nombreuses cloisons à l’intérieur du bâtiment afin d’aménager des bureaux et son logement. La salle du rez-de-chaussée est transformée en garage à vélos jusque dans les années 50, ce qui ne manque pas de soulever de nombreuses protestations.
Enfin, le bâtiment situé place de l’Hôtel de Ville étant devenu trop exigu, le projet de création d’un nouveau musée aboutit. La Trésorerie Générale déménage en 1946. Mme Baudot, conservateur de 1938 à 1954, qui a assuré le transfert des collections à Niort pendant la guerre, porte le projet d’aménagement du musée. Il prévoit l’installation des éléments lapidaires sous le cloître, des collections gallo-romaines et médiévales au rez-de-chaussée et des peintures au premier étage.
En 1955, le maire, M. Azémia accepte la cession par le département de l’évêché à la ville à titre gratuit, car là elle assure désormais les coûts d’entretien de l’édifice. Cependant, une participation financière départementale est prévue. les travaux de réhabilitation peuvent alors débuter, respectant au mieux l’intégrité des lieux.