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Au IIIe siècle ap. JC la Gaule, comme l’ensemble du monde romain, subit une grave crise tant politique que sociale et économique. Les empereurs se succèdent à un rythme soutenu et les séditions se multiplient. Les incursions et les raids des « barbares » ravagent les villes et les campagnes. Des bandes de paysans ruinés et de citadins déracinés, les « Bagaudes », errent et pillent ce qui a été épargné. À ces drames, s’ajoutent une crise monétaire et un effondrement économique. Tout ceci créé un sentiment profond d’insécurité.
De nombreuses traces d’incendies et des trésors monétaires enfouis illustrent ce phénomène à Évreux, comme dans presque toutes les provinces gauloises. Les destructions associées à la première vague d’invasions ou de troubles, vers 250, paraissent limitées à Évreux. Par contre des niveaux d’incendie, témoignant de la seconde vague entre 272 et 280, ont été observés sur la totalité du territoire de Mediolanum Aulercorum.
Dans ce contexte troublé débutent à Évreux les travaux d’une première fortification. Trois fouilles archéologiques récentes ont révélé des murs de grande largeur bien en dehors de l’emprise du castrum (nom donné au Bas-Empire aux villes fortifiées par une enceinte du IIIe siècle à la fin de l’empire romain). Ils ont été interprétés comme les vestiges d’un premier rempart. Des découvertes monétaires associées à ces tronçons, essentiellement une poignée de monnaies abandonnée dans un four à chaux du chantier de construction, suggèrent que le projet démarré vers le milieu du IIIe siècle a été brutalement interrompu dans les années 270/280.
Ces sections de muraille sont particulièrement ruinées car elles ont fait l’objet de récupération de matériaux dès l’époque antique, peut-être même lors de la construction définitive du castrum.
Extraits du plan de Chouard, 1789 et de Th. Bonnin, 1860 : l’existence aux deux angles opposés de la cathédrale et du château, successeur d’un hypothétique castellum (fortin antique) symbolise la dualité des pouvoirs politiques et religieux au sein du castrum.
Le tracé de ce premier projet de l’enceinte, restitué à partir des tronçons reconnus, montre une volonté d’intégrer les thermes en zone fortifiée tout en négligeant le théâtre. Les spectacles paraissaient sans doute moins essentiels que les plaisirs de l’eau mais, surtout, l’emplacement de l’édifice théâtral présentait trop d’inconvénients stratégiques.
À titre d’hypothèse nous proposons de voir dans l’énorme trésor de 110 000 monnaies, réparties en sacs (340kg dont une part est exposée au musée), qui fut mis au jour en 1890 lors des travaux de construction de l’hôtel de ville, une partie du financement de cette première tentative de fortification. Bien sûr ces bourses peuvent aussi avoir été l’argent des impôts ou la solde d’un corps de troupes. Sa découverte dans un contexte de chantier antique « …une grande quantité de planches épaisses, de madriers, de pieux… », telle que l’a décrit J. Mathière, plaiderait pour cette hypothèse.
Après une période d’abandon de la ville, attestée par des niveaux d’inondation rencontrés au musée et à la médiathèque, débute, à l’extrême fin du IIIe siècle, la réalisation du rempart tel que nous le connaissons. La ville du Haut-Empire est profondément modifiée. le théâtre et les thermes désaffectés sont laissés hors enceinte, l’esplanade du forum est traversée par la muraille. Une voie est coupée dont les traces sont encore visibles au musée et à la médiathèque sous les fondations.
Cette relative concordance entre le tracé de la muraille à l’est et à l’ouest et le passage de voies, axées nord/sud, montre une volonté de conserver au sein du castrum un certain nombre d’îlots du Haut-Empire. Le dessin de l’enceinte est un quadrilatère irrégulier d’un périmètre de 1145m. La surface enclose couvre neuf hectares dont il faut exclure les emprises du talus, des voiries et, par la suite, du groupe épiscopal et, peut-être, d’un fortin (castellum) à l’emplacement du château médiéval.
Le plan de Théodose Bonnin qui reprend celui de Chouard établi au XVIIIe siècle montre des tours circulaires ou demi-circulaires. L’origine antique de ces ouvrages n’est pas prouvée. L’examen des arrachements des deux tours figurant sur ces plans dans l’angle sud-ouest révèle d’ailleurs des maçonneries médiévales. La question des portes n’est pas mieux résolue. Elles seraient au nombre de trois. Si elles sont attestées pour le Moyen Âge elles ne peuvent être attribuées à l’époque gallo-romaine que par simple probabilité. Enfin l’existence de fossés, éloignés du rempart et plus larges que profonds selon la tradition militaire de l’Antiquité, n’est pas certaine. Si on admet cette hypothèse, une mise en eau par dérivation des bras de l’Iton est inévitable, notamment pour des nécessités de drainage du fond de la vallée occupée par l’agglomération.
Des fûts de colonnes retaillés sur les côtés sont utilisés comme des rondins de bois.
Les techniques de construction de la fortification sont remarquables et ont assuré à l’ouvrage sa survie partielle jusqu’à nos jours. Les fouilles récentes, en particulier celles du musée, de la rue de la Petite Cité et de la médiathèque ont fourni l’essentiel de nos informations. Les fouilles anciennes et leurs indications sont, par manque de détails, moins éloquentes.
La tranchée de fondation, à profil légèrement évasé et à fond plat, traverse la totalité des couches d’occupations antérieures ainsi que les dépôts naturels de vase et de tourbe de façon à atteindre la grave de fond de vallée. Il y a là une volonté de trouver un sol satisfaisant, par sa compacité, à des impératifs de stabilité et de résistance à l’écrasement (le rempart représentant plusieurs tonnes de charge au mètre carré).
Au fond de cette tranchée un couche de silex et de marne damée, surmontée parfois de dépôts de béton grossier, constitue la semelle de fondation. Un béton plus fin, coulé au sommet, permet d’obtenir une surface cohérente et un scellement prêt à recevoir la masse du mur comprenant maçonnerie et blocs de pierre.
Sur cette préparation de sol, le massif de fondation, composé majoritairement de blocs de craie, est installé avec le plus grand soin. Parmi ces blocs, beaucoup apparaissent simplement dégrossis dans un calcaire à silex. De dimensions très variées ils sont souvent d’usage purement utilitaire (en fondation ou en paroi de canalisation). D’autres blocs proviennent du démontage de constructions publiques ou privées. Ces réemplois, lorsque leurs dimensions ou leurs formes s’opposent à une mise en oeuvre rationnelle, sont retaillés de manière à obtenir un gabarit utilisable et un volume le plus simple possible. Ceci doit être relativisé par des considérations de temps et d’énergie.
S’il subsiste une face sculptée ou moulurée, elle est placée de préférence vers l’intérieur de la fondation. Les chercheurs ont pu noter au coeur du massif l’usage en groupes de fûts de colonnes placés dans l’axe ou dans la largeur. Afin de ne pas rouler les fûts sont retaillés sur une à trois faces.
Le nombre de rangées constituées de ces blocs varie de une à trois dans le sens de la hauteur.
Cependant, au musée, dans le tronçon rectiligne, qui sert aujourd’hui de paroi à la salle archéologique, la fondation est plus complexe. Vers l’extérieur trois assises disposées en léger retrait les unes par rapport aux autres complètent un noyau de maçonnerie, coulé en trois lits, au-dessus d’une unique assise de blocs. Dans l’angle sud-ouest du castrum l’empilement de réemplois au franchissement d’un fossé d’égout antérieur tient plus de la barricade que de l’ouvrage d’art. La transition entre fondation et élévation est souvent marquée par une ou deux assises de réglage en cordons de briques de manière à rattraper l’horizontale.
Les matériaux, utilisés dans les élévations, proviennent de récupérations et sont d’une grande disparité. Aux briques et moellons de craie s’ajoutent des rognons de silex retouchés que l’on rencontre exclusivement en partie basse du parement interne. Les stries à la surface des moellons (losanges, chevrons et obliques) que l’on observe souvent sont destinées dans leur première utilisation à faciliter l’accrochage des enduits.
Des chemins de planches posées sur les boulins sont les passerelles de cet échafaudage très efficace.
Le boulin est un pièce de bois prise dans l’épaisseur de la maçonnerie. Il est soutenu par une jambe d’appui.
En bref !
Après avoir creusé une tranchée (3) dans les couches de terrain antérieures (2) de façon à atteindre le sol naturel (1) plus stable, les bâtisseurs réalisent une semelle de fondation (4). Ils disposent sur sa surface des blocs retaillés provenant d’édifices ruinés ou désaffectés, les réemplois (5). Parfois une maçonnerie (6) remplace en partie les blocs. Ce dispositif constitue la fondation. Au dessus, les maçons construisent l’élévation du rempart. Un massif de blocage (7), mélange de fragments de craie et de mortier, est coulé entre deux parements (8 et 9). Des lits de briques (11) traversent le rempart afin de maintenir l’horizontalité de la construction, de rigidifier l’ensemble et de permettre une réduction progressive de la largeur du mur. Au sommet le chemin de ronde (14) a aujourd’hui disparu comme le fossé (13) mis en eau grâce à la rivière Iton. Intérieurement des remblais ont été adossés à la muraille de manière à former un talus (12) renforçant la fortification.
Le parement externe est vertical. Le parement interne par une succession de ressauts au niveau des chaînages de briques permet une réduction progressive de l’épaisseur de la muraille. l’alternance du rouge des lits de briques et du gris des rangs de moellons produit un effet décoratif (l’expression la plus aboutie de cette volonté esthétique peut être observée dans les parements de l’enceinte du Mans). Entre ces deux faces, la maçonnerie ou blocage est composée d’un mélange de petits blocs et de mortier. Au musée d’Évreux, grâce à une galerie perçant le rempart, ce blocage a pu être étudié. Des dépôts pelliculaires gris, fruit du piétinement des maçons, ont été observés. Ils indiquent que la maçonnerie était coulée au rythme de l’épaisseur d’un moellon par jour et attestent d’une progression du chantier verticalement, les chaînages de briques en constituant les étapes. Ceci ne doit pas faire oublier que la fonction première de ces briques est d’armer et de rigidifier la maçonnerie. Une organisation du chantier par tranches successives ou alternées est prouvée par la présence de limites révélées par des fissures associées à des changements dans les chaînages de brique et les alignements de boulins.
La présence de trous de boulins, surtout dans le parement interne, implique des échafaudages encastrés. En raison de l’état de conservation très inégal de tous les tronçons seule une estimation des dimensions du rempart peut être donnée. La largeur à la base varie de 2m90 à 4m (chiffre probablement obtenu par confusion avec la largeur de la fondation) et une hauteur de moins de 10m paraît vraisemblable.