Le château de Montépilloy garde fièrement le pays de Senlis du haut de la butte qui domine le plateau du Valois de près de 40 mètres. Il est le siège de la seigneurie dont l’histoire est liée à celle de la cité royale de Senlis.

Un des chevaliers de la ville, Gui II de la Tour, devient bouteiller de France en 1108. Il perd rapidement la charge que récupère son fils Guillaume le Loup en 1132. Elle reste dans la famille jusqu’à la mort de Gui V en 1221. Lui et ses descendants se feront appeler les Bouteiller de Senlis et seront les seigneurs traditionnels de Montépilloy jusqu’au milieu du XIVe siècle.

Robert de Lorris, chambellan du roi, rachète le château en 1353. Il passe ensuite durant un siècle et demi de mains en mains, parfois princières ou royales, pour entrer finalement dans le domaine des Montmorency en 1496. Il reste propriété de cette famille jusqu’à la saisie de Louis XIII en 1632. Le roi restitue l’édifice aux Bourbon-Condé qui en resteront propriétaire jusqu’à la Révolution française.

Armes de la famille des Bouteiller

Il se décrit ainsi en héraldique : « écartelé d’or et de gueules ». Le lignage marque son origine en reprenant les couleurs de la ville de Senlis. Il est aujourd’hui le symbole de l’association des Amis du château, ARMORIAL.

Vous avez dit Bouteiller ?

Le titre de bouteiller suggère un rôle dans l’administration du vignoble du domaine royal et de la cave du roi. Peut-être aussi implique-t-il de servir le roi à sa table. Mais le bouteiller est bien plus qu’un domestique, il est un membre du gouvernement et un proche du roi : il l’épaule, l’accompagne et le conseille. Selon la règle française, la patronymisation de la fonction de bouteiller empêche l’accord. Il y a ainsi des Bouteiller de Senlis sans « s » marquant le pluriel.

L’origine de la seigneurie

Les premiers indices sur l’histoire du village et du château de Montépilloy datent de la fin du XIe siècle. En 1075, la collégiale Saint-Frambourg de Senlis cède la forêt de Montépilloy, les bruyères et les terres adjacentes à Gui Ier de la Tour pour 4 sous de cens à vie. C’est l’exploitation du bois de Montépilloy qui intéresse probablement le nouveau seigneur. En plus de ce bois qui couvre la butte, Gui s’intéresse peut-être aussi à l’exploitation des bancs de sable et de grès qui en composent le coeur, dans un territoire par ailleurs largement calcaire.

A cette date, il n’y a donc sûrement pas encore de village à Montépilloy. Cependant pour encadrer et protéger l’activité économique, le seigneur à tôt fait de faire ériger un château. Mais il ne s’agit pas du monument actuel. Ce premier château se situe au nord, au pied de la butte, près de la route antique qui relie Senlis à Soissons via Crépy-en-Valois. Il consiste en un édifice de terre et de bois regroupant une motte castrale entourée d’un fossé défensif et une basse-cour plus légèrement fortifiée. Aujourd’hui encore, les traces de cette forteresse sont visibles dans les labours.

Un château de bois ?

Contrairement à une idée reçue, la motte castrale traditionnelle, c’est-à-dire une butte de terre surmontée d’un donjon et protégée d’une enceinte de bois, n’est pas un château faible, propriété d’un seigneur pauvre. Il allie efficacement organes défensifs et espaces résidentiels. Ce type d’édifice constitue une forme d’architecture à part entière malheureusement assez mal connue et dont les vestiges sont rarement protégés.

Dans le courant du XIIe siècle, nous constatons le glissement du pôle de commandement et l’implantation du nouveau château au sommet de la butte : c’est la naissance du monument actuel. Malheureusement aucun vestige architectural ne date de cette époque, excepté peut-être l’angle sud-est de l’enceinte. Seuls la forme générale de cette enceinte et le fossé extérieur qui l’entoure témoignent de l’organisation du château. C’est à Guillaume le Loup, frère de l’évêque de Paris Étienne et bouteiller du roi en 1132, ou à Gui IV son fils qui lui succède à la fonction, que l’on attribue la fondation du château. Tous deux sont bien mariés, notamment le second à Marguerite de Clermont, fille du comte Renaud II. Ils sont proches et fidèles des rois Louis VI le Gros et Louis VII le Jeune qu’ils accompagnent en pèlerinage et en croisade. Les Bouteiller sont d’ailleurs de généreux donateurs et de fidèles soutiens de l’Église.

Les archives à notre disposition nous donnent l’impression d’une gestion intelligente qui, renforçant leur positionnement politique, leur permet d’augmenter considérablement le patrimoine et le pouvoir du lignage. La mention de « villa » dans une source latine atteste l’existence d’une résidence aristocratique à Montépilloy en 1162. A cette période, il s’agit nécessairement d’un château déjà puissant et confortable pour justifier cette qualification. En un siècle environ, les Bouteiller de Senlis se sont hissés du rang de petits chevaliers citadins à celui de puissants chevaliers de la noblesse moyenne. Ils composent l’aristocratie sur laquelle les rois capétiens s’appuient pour construire progressivement le royaume de France. Mais ils en tirent beaucoup d’avantages dont le droit de fortifier. A la fin du XIIe siècle, les Bouteiller sont seigneurs de Chantilly, Ermenonville, Pontarmé, Luzarches, Montmélian, Villepinte… Montépilloy est une de leurs possessions principales et chacune est dotée d’un château.

Gui V : le couronnement d’une politique familiale

Gui V est seigneur de Montépilloy de118 à 1221. Il hérite de la charge de bouteiller du roi Philippe II Auguste et l’accompagne à son tour en croisade. Avant de quitter ses terres, Gui V accorde à l’abbaye d’Hérivault une rente de 20 livres afin que soit fondé un prieuré-cure à Montépilloy. Sans pouvoir assurer qu’elle le soit auparavant, Montépilloy est en 1190 une des 63 paroisses du diocèse de Senlis. La même année, Gui V accorde aux habitants de Montépilloy une charte de franchises dont nous connaissons le texte complet par une copie tardive. C’est un document exceptionnel qui aborde de nombreux points des rapports entre les habitants et leur seigneur. On y découvre les obligations militaires des Montépillusiens, notamment celles d’accompagner le seigneur à la guerre et de construire et entretenir une enceinte fortifiée autour du village. Y sont décrites aussi les règles et les montants de certains impôts ainsi que le régime de justice. Le sire de Montépilloy est d’ailleurs assez puissant à la fin du XIIe siècle pour imposer son droit de haute justice aux villages situés entre les cours d’eau de la Nonette et l’Aunette : Balagny, Barbery, Bray, Ducy, Borest, Baron, Fontaine-Chaalis.

Au début du XIIIe siècle, Montépilloy est une châtellenie pleinement constituée.

Le beau XIIIe siècle

Durant les règnes de Saint Louis (1226-1270) et Philippe III le Hardi (1270-1285), les conditions politiques, économiques et climatiques favorables concourent à la prospérité du royaume de France. Les historiens ont nommé cette période le « beau XIIIe siècle ». Les seigneurs de Montépilloy ont bénéficié eux aussi de ce contexte, pourtant, des membres du lignage des Bouteiller qui se transmettent le site jusqu’au premier tiers du XIVe siècle, nous savons peu de choses.

Gui V décède donc en 1221. Gui VI lui succède. Il avait épousé en 1216 Isabelle de Garlande, descendante d’une famille dont le parcours des membres, dans la première moitié du XIIe siècle, était concurrent à celui des Bouteiller de Senlis. Il meurt en 1232 et son fils Gui VII hérite. Celui-ci commande notamment la fondation du prieuré de chanoines réguliers de Bray-sur-Aunette. Décédé en 1249, il n’aura pas le loisir de voir s’initier la construction de son vivant.

Le châtelet

La porte fortifiée est cantonnée de deux tours rondes à l’extérieur, mais plates vers la cour intérieure. Ces tours, hautes de quatre niveaux ou de 13,60 m, sont reliées entre elles par un passage. L’ensemble forme un châtelet. Devant la porte, subsistent les avant-corps destinés à recevoir le pont-levis, percés d’archères. Ce type d’ouvrage défensif n’existe pas avant le XIVe siècle. Les tours étaient également percées d’archères, aujourd’hui remplacées par des fenêtres ou bouchées ; dans ce dernier cas, les ébrasements subsistent toujours à l’intérieur. Le passage reliant les deux tours était initialement voûté, mais la voûte a été remplacée par un simple plafond en bois. La façade tournée vers la cour intérieure se distingue fondamentalement de la façade extérieure, avec un arc brisé à double rouleau pour la porte, et de grandes fenêtres à meneau ainsi que de petites fenêtres au niveau des deux étages supérieurs. Il apparaît que ce deuxième et troisième étage ont été ajoutés postérieurement à la fin du XVe siècle ; en regardant de près, la rupture dans l’appareil est également visible depuis l’extérieur. Seul le rez-de-chaussée et l’étage sont donc d’origine ; abstraction faite de l’avant-corps, on peut les dater du début du XIIIe siècle. Le château avait alors une vocation purement militaire. En revanche, le caractère des étages supplémentaires est plutôt résidentiel, ainsi que les toits en poivrière des tours, sans les moindres traces de mâchicoulis.

La muraille d’enceinte

La muraille d’enceinte est entouré de larges douves, depuis longtemps tombés à sec et en partie nivelés, mais toujours perceptibles. La ligne d’enceinte décrit une forme irrégulière avec neuf angles et des côtés plus ou moins longs. L’extension diamétrale s’établit entre 80 m et 90 m. Sauf au sud, à l’emplacement du logis moderne de la ferme, et au nord, la muraille reste debout ; plus que les trois quarts en subsistent. Elle est bâtie en blocage de moellons et dépourvue de contreforts et de tout autre attribut pouvant faciliter une datation. Pendant des siècles, des murs de ce type ont été édifiés dans la région. S’il est peu probable que la muraille remonte au premier temps du château au XIIe siècle, aucun indice ne permet de l’attribuer à telle ou telle époque. Étant donné qu’une porte fortifiée a été édifiée au début du XIIIe siècle, les parties les plus anciennes de l’enceinte devraient au moins être contemporaines de cette porte.

Le donjon

Le donjon portait initialement sur six niveaux ou 35 m de hauteur et possédait un diamètre de 17 m à 18 m, un chiffre exact ne pouvant être fourni en l’absence de fouilles. L’entrée se faisait par un pont-levis au troisième niveau et par un couloir ménagé dans l’épaisseur énorme du mur. La défense de l’entrée était assurée par deux petites salles de garde, également ménagées dans l’épaisseur du mur. L’une était située à côté du couloir et était équipée d’une archère bien orientée vers l’accès ; l’autre était située au-dessus du couloir et contenait également le mécanisme d’enroulement de la chaîne du pont-levis et un assommoir, et une herse coupant le couloir en deux pouvait être actionnée depuis cette salle. Depuis le troisième niveau de la tour, des escaliers rampants distincts conduisent vers les niveaux inférieurs et supérieurs. Ils sont également ménagés dans l’épaisseur des murs et donnent accès à des ébrasements avec archères. Leur sens de circulation est différent, ce qui reflète un souci de sectionnement des communications entre niveaux, mais également la volonté de disposer les escaliers en tant qu’espaces creux affaiblissant la structure de l’édifice à un endroit où il était le moins susceptible de devoir faire face à des assauts. La salle de garde au-dessus du couloir d’entrée est par ailleurs desservie par un escalier indépendant depuis le quatrième niveau, avec lequel il ne communique donc pas directement.

Le troisième niveau était recouvert d’un plafond en bois le séparant du quatrième niveau, voûté d’ogives. Le profil des ogives était simple, et elles retombaient sur des chapiteaux d’une facture assez fruste. La hauteur cumulée de ces deux niveaux était de 12 m. L’on peut toujours utiliser l’escalier jusqu’au troisième niveau. Ici, les murs étaient percés de grandes fenêtres rectangulaires grillagées, au bout de profondes embrasures voûtées en berceau ; une seule en reste pour moitié. Le quatrième niveau possédait des fenêtres identiques (ainsi que le cinquième). La porte d’accès depuis l’escalier et son linteau sous un arc de décharge reste intacte. Le second niveau est voûté d’ogives. Il contient toujours la margelle du puits, utilisable grâce à une cage maçonnée le long du mur, dont les arrachements restent visibles. Un soupirail mais aussi un escalier rampant communiquent avec le premier niveau, tenant lieu de cave. Les voûtes de la cave, l’escalier, le couloir central voûté en berceau et les locaux latéraux également voûtés en berceau peuvent être le résultat d’aménagements tardifs au XVe siècle, voire au XVIe siècle. Bien entendu, le puits peut est aussi utilisable depuis le premier niveau.

La tour est ruinée depuis la dernière phase de la guerre de Cent Ans pendant la première moitié du XVe siècle et a été endommagée sans doute une seconde fois sous les guerres de religion de la fin du XVIe siècle. Seulement le flanc nord-ouest en subsiste. Fortement incomplète et comportant des anachronismes architecturaux, sa datation reste controversée. En effet, la qualité du parement extérieur avec des pierres de taille et la facture des baies grillagées font référence au XIVe siècle. En même temps, tout l’aspect intérieur, la facture des voûtes, la conception de l’escalier rampant et l’aspect des tympans à arc de décharge paraissent bien archaïques et évoquent le XIIIe siècle. Or, la cohésion des maçonneries intérieure et extérieure est tellement évidente que l’on peut exclure une reprise complète d’un premier donjon au cours du XVIe siècle. Les anachronismes s’expliquent plutôt par une construction hâtive dans le contexte des troubles de la guerre de Cent Ans. Le château ayant été détruit en 1358 / 1360, le donjon devrait être postérieur à cette date, voire bien postérieur. Les arcs de décharge au-dessus des fenêtres rappellent des châteaux bretons de la fin du XIVe siècle, ce qui permet de penser que le maître d’œuvre aurait été le connétable Olivier V de Clisson, devenu propriétaire du château en 1389.

Indépendamment de ces considérations, le donjon montre aussi les traces d’un remaniement au XVe siècle sur le plan du cinquième et sixième niveau. Un nouveau escalier en colimaçon a été construit, interceptant l’ancien escalier rampant et menant jusqu’à la terrasse au sommet de la tour. Au cinquième niveau, une embrasure de fenêtre a manifestement été modifiée et dotée de coussièges. Le sixième niveau a été surhaussé et bâti presque entièrement à neuf, et les murs intérieurs ont dû former une salle hexagonale. Elle était destinée à l’approvisionnement de projectiles et à la défense, donnant accès à des hourds et à la terrasse du toit, avec mur crénelé et mâchicoulis. Étant donné la hauteur considérable de ce niveau, il a pu être subdivisé en deux par un plancher intermédiaire, à l’instar du troisième et du quatrième niveau. Le plafond supérieur était voûté d’ogives à pénétration, c’est-à-dire sans chapiteaux. Quant aux mâchicoulis qui couronnent le sixième niveau à l’extérieur, ils sont d’un type tout à fait particulier, qui n’apparaît ailleurs qu’au château de Pierrefonds, au château de La Ferté-Milon et au château de Coucy. Ces châteaux étant les œuvres de Jean Aublet, il doit en être de même du donjon de Montépilloy. Aublet officie comme maçon général du duc d’Orléans Louis Ier d’Orléans jusqu’en 1407, puis devient maître des œuvres du roi au bailliage de Senlis. La reconstruction des deux niveaux supérieurs peut être doublement datée par des documents d’archives indiquant qu’un chantier important a dû se terminer vers 1409 / 1411, et par les caractéristiques architecturaux renvoyant aux années 1400 / 1411.

Eugène Viollet-le-Duc : la tour de Montépilloy

Figure 44 de l’article « Tour » du Dictionnaire raisonné de l’architecture française (1868)

C’est à Guy V que l’on doit la commande de l’ouvrage le plus impressionnant du château. Cette tour indique un programme architectural ambitieux et novateur à bien des égards. Par ses proportions déjà, 32 m de haut à l’origine et 17 m de diamètre, elle rivalise avec le clocher de la cathédrale de Senlis et marque définitivement dans le paysage la réussite d’un lignage et d’une politique seigneuriale. Après un demi-siècle de débats, les spécialistes s’accordent aujourd’hui à lui donner une datation au tournant des XIIe et XIIIe siècles. Les arguments sont essentiellement architecturaux : accès au troisième niveau, profil de la voûte et des corbeaux de la porte d’accès, arcs de décharge au-dessus des ouvertures… Certes, d’autres indices suggèrent une datation plus « tardive » tels que les fenêtres à coussiège, le profil du couronnement ou la complexité de la défense de l’entrée. mais, il faut comprendre en fait que la tour observée par le visiteur aujourd’hui est le résultat de deux campagnes de travaux : sa fondation ex-nihilo par Gui V autour de 1200 et sa modernisation par un de ses lointains descendants, Guillaume II le Bouteiller autour de 1410. Ainsi à la fin du Moyen âge, le donjon culmine à 38 m.

Le château neuf

Le projet du château neuf visait à établir une « cour noble » dans la moitié est de l’enceinte primitive. La moitié ouest devait sans doute être abandonnée après l’achèvement du projet, qui comporte en effet une nouvelle courtine avec porte fortifiée précédée d’un pont-levis. Contemporain du remaniement des deux étages supérieurs du donjon mais antérieur à la dernière campagne de travaux portant sur un rehaussement de la porte du début du XIIIe siècle par deux étages supplémentaires, le château neuf est entamé vers 1409 / 1411, sans jamais être achevé. Son élément le mieux visible depuis l’extérieur est la tour de quatre étages se dressant sur la muraille d’enceinte au sud, d’un diamètre de 10 m environ. Seulement le mur arrière donnant sur la cour et le nouveau logis est complet, flanqué de deux courts pans de mur à l’ouest et à l’est sur toute la hauteur. La cave est voûtée d’ogives chanfreinées à pénétration. Le rez-de-chaussée et le premier étage avaient peut-être achevés, et le premier étage devait visiblement servir de cachot comme l’indiquent la latrine et le soupirail au plafond. Le second étage devait être voûté d’ogives, mais les culots n’ont de toute évidence jamais servi. Deux fenêtres subsistent en coupe, et une intercommunication directe avec le logis existe au nord. Le troisième étage conserve une tourelle d’escalier interne en encorbellement, et communiquant à la fois avec le logis, le chemin de ronde de la courtine neuve et la plate-forme au sommet de la tour.

La courtine neuve est perpendiculaire à la partie méridionale de l’ancienne muraille, soit à l’actuel logis de ferme. Cette courtine touche à la nouvelle tour exactement au milieu de son mur de refend, et est orientée strictement nord-sud. À l’angle entre la courtine et la tour, à l’est, se situe le logis noble. Une grande fenêtre en subsiste au sud, à côté de la tour. Au logis noble, succède un second corps de logis au nord, plus petit et prévu sans doute comme bâtiment de service. Ses vestiges les plus caractéristiques sont les cheminées. La courtine elle-même est très bien conservée. Près du donjon, elle comporte une porterie composée d’une porte charretière initialement à pont-levis et d’une porte piétonne. En haut, le mur est couronné de mâchicoulis du même type qu’en haut du donjon, et la partie haute du mur est percée de petites archères avec des ébrasements triangulaires. Les travaux de fondation de la courtine ont été mis à profit pour la construction d’une cave profonde voûtée en berceau, desservie initialement par un escalier depuis la cour noble à l’est, et accessible aujourd’hui depuis l’autre côté de la courtine par un escalier de la période classique. Si cette courtine semble bel et bien avoir été achevée, une deuxième section de courtine au nord du donjon n’a jamais été entamée. Elle aurait été nécessaire pour parachever la clôture de la cour noble, et aurait relié le donjon à la muraille ancienne au nord.

Crise et rupture

Le XIVe siècle marque une période fascinante de contraction économique, de crise politique et de mutations sociales profondes. Alors que la guerre de Cent Ans ravage le royaume depuis un quart de siècle, c’est à la treizième génération que le château quitte le lignage des Bouteiller de Senlis. Nous ne connaissons pas la date à laquelle Jean le Bouteiller, fils d’Adam, hérite de la seigneurie de Montépilloy. Mais nous savons que sa femme, Marguerite de Machau, est veuve en 1344. Marguerite et son fils Raoul vendent le château et sa terre à Robert de Lorris le 28 mars 1353 pour 6000 livres parisis et contre le manoir d’Égrenay-en-Brie (ce qui représente une fortune).

Robert de Lorris, pourtant bourgeois d’origine, est déjà un personnage puissant : chambellan du roi Jean II le Bon, il est aussi vicomte de Montreuil-sur-Mer et seigneur de Beaurain. Mais Lorris est surtout celui qui profitera le mieux de la situation des Bouteiller déjà très affaiblis. En 1354, il est seigneur de toutes les possessions les plus importantes du lignage dans le pays de Senlis : Ermenonville, Pontarmé, Luzarches, Montépilloy. Seule la seigneurie de Chantilly lui échappe mais elle échoit au magistrat Jean d’Orgemont peu après. Vers 1360, tous les biens des Bouteiller autour de Senlis sont liquidés. Robert restera seigneur 27 ans. Très occupé par ses affaires de cour à Paris, il n’initie probablement pas de grands travaux à Montépilloy que seuls la terre et le titre intéressent. Évènement majeur cependant, le château est dévasté lors de la Grande Jacquerie de mai 1358 car Lorris est une des cibles principales du soulèvement. Cinq ans plus tard, il réclama au Parlement de Paris 10 500 livres de réparation.

La Jacquerie

A la fin du mois de mai 1358, éclate un soulèvement paysan. Il débute suite à une échauffourée à Saint-Leu-d’Esserent puis se transforme en un large mouvement populaire dont les épisodes les plus brutaux dévastent le nord du bassin parisien de Beauvais à Meaux. Les origines immédiates de la révolte sont mal connues mais elle s’inscrit dans un contexte globalement difficile : guerres, famines, épidémies, pressions fiscales… Elle tire son appellation du surnom que l’on donne aux gens simples, « Jacques Bonhomme », et du nom de la veste courte, la « jacque ». Le mouvement s’emballe et, d’impétueux, il devient frénétique. Il est réprimé tout aussi sauvagement par Charles le Mauvais, Gaston Fébus et Jean de Grailly le 9 juin à Meaux. Le soulèvement marque tant les contemporains que le terme « jacquerie » est resté pour qualifier tout soulèvement populaire.

En pleine guerre de Cent Ans

En 1410, Guillaume II le Bouteiller est propriétaire de Montépilloy. Il l’est très certainement depuis 1407, date du décès d’Olivier V de Clisson. Guillaume est le petit-cousin de Raoul le Bouteiller de Senlis qui avait vendu la seigneurie à Robert de Lorris une soixantaine d’années auparavant. Guillaume II est un personnage surprenant, probablement un des hommes les plus influents de son époque. Son contemporain Michel Pintoin, moine chroniqueur de l’abbaye de Saint-Denis, le qualifie de « chevalier de grand renom ». Bien marié en 1387 à Marie de Sermoise, il est possessionné autour de Meaux et Châteauroux et, dans le pays de Senlis, Guillaume est seigneur de Brasseuse, Moussy-le-jeune, Moussy-le-vieux, Saintines et Vineuil.


La guerre civile

A partir de l’assassinat de Louis Ier d’Orléans en 1407, la guerre de Cent Ans se double d’une guerre civile qui déchire la noblesse Française. Aux partisans du duc de Bourgogne Jean Sans Peur, les « Bourguignons », s’opposent les partisans du comte Bernard VII d’Armagnac, les « Armagnacs ». Outre la vengeance, les motivations sont politiques et économiques.

Une fidélité exemplaire et récompensée

Le Bouteiller est un proche du roi dont il est conseiller et chambellan. Il participe à la guerre en Saintonge et en Angoumois dès 1379. En 1385, il devient sénéchal d’Angoulême puis, à partir de 1390, sénéchal du Limousin c’est à dire chargé de maintenir la frontière avec l’Aquitaine anglaise. Il combattra d’ailleurs plusieurs fois en Aquitaine entre 1395 et 1406 sous les ordres du maréchal Boucicaut, d’Enguerrand VII de Coucy, du connétable d’Albret et du duc Louis Ier d’Orléans. En juillet 1402, le duc le rappelle pour le charger d’aller faire la guerre au Luxembourg : il devient, avec Robert de Béthune, lieutenant-général du duché nouvellement conquis.

Car Guillaume est d’abord un proche de Louis d’Orléans. En plus de l’être auprès du roi, il est conseiller et chambellan du duc jusqu’à son assassinat en 1407. Puis, toujours fidèle, il restera chambellan de son héritier le duc Charles jusqu’à sa mort en février ou mars 1418. Le Bouteiller est une pièce maîtresse du parti armagnac. Il s’est considérablement enrichi et a accumulé les honneurs en restant fidèle au roi mais surtout aux Orléans. Il peut compter sur plus de 4000 livres tournois de revenu fixe par an grâce à ses fonctions, en plus du revenu de ses terres et des dons ducaux et royaux.

Un programme architectural ambitieux

L’acquisition par Guillaume II le Bouteiller de la seigneurie de Montépilloy revêt un caractère hautement symbolique. Il s’agissait pour lui de mettre la main sur une des forteresses les plus importantes de ses aïeux.

Très rapidement, Guillaume initie de grands travaux qui restructurent et modernisent la vieille place forte. Le seigneur souhaite en faire un château remarquable qui emprunte beaucoup aux palais princiers qu’il visite régulièrement dans le cadre de son service : château royal de Creil, château de l’évêque de Soissons à Septmonts, nouveau château de Chantilly, château de Coucy que modernise Enguerrand VII et surtout les deux nouveaux palais de Pierrefonds et de La Ferté-Milon commandés par Louis d’Orléans.

Le projet consiste à créer un espace résidentiel et défensif privilégié, densément bâti et appuyé sur la vieille tour maîtresse qui, bien que deux dois centenaire, n’a pas à pâlir de son allure et de ses proportions. La cour du château est alors divisée en deux espaces distincts.

Les ravages de la guerre

Guillaume II perd Montépilloy en novembre 1411 face aux Bourguignons alliés des Anglais. Lui-même étant absent, les derniers défenseurs acceptent la rédition contre la liberté. Les biens du Bouteiller dans la région sont confisqués. C’est Guillaume Escalot, bourgeois de Senlis, qui devient gouverneur de la place jusqu’à ce que le roi Charles VI vende la seigneurie, le 12 mais 1412, à Pierre des Essarts pour 5800 livres. Ironie du sort, ce Pierre des Essarts, prévôt de Paris, est le descendant du beau-père de Robert de Lorris qui avait tenu Montépilloy au milieu du XIVe siècle. Mais, accusé d’avoir dilapidé l’argent du royaume, envisagé d’enlever le roi et souhaité offrir Paris aux Armagnacs, Pierre des Essarts est décapité en juillet 1413. Désormais, Montépilloy suit les aléas de la guerre, apparemment sans véritable seigneur pendant une décennie et demie.

En septembre 1417, Robert d’Esne, grand seigneur du Cambraisis qui vient de tenir un siège de trois mois face aux Bourguignons au château de Coucy, se réfugie à Montépilloy. Il y reste au moins trois ans et soutient un siège au printemps 1420 : il défait les Bourguignons aidé par Guillaume II de Gamaches, capitaine de la ville de Compiègne, Nicolas Bosquiaux, capitaine du château de Pierrefonds, et Guy IV de Clermont-Nesle, seigneur d’Offémont. Cependant, au printemps 1422, Montépilloy est aux mains des Anglais. Le château n’est repris par les Français qu’en août 1429, lorsque Jeanne d’Arc et le roi Charles VII traversent le pays de Senlis. Malheureusement, Montépilloy ne trouve pas de nouveau seigneur et la page la plus noire de l’histoire du site va maintenant s’écrire.

L’ordre royal de démantèlement du château

Au cours des Etats Généraux de 1431, alors que Charles VII et le duc de Bourgogne Philippe le Bon signent une trêve, les habitants de Senlis obtiennent du roi de faire démanteler les châteaux de Pontarmé, Mont-l’Évêque et Montépilloy. Sans seigneur à leurs têtes, ces places fortes étaient devenues des refuges pour les brigands et les routiers (mercenaires sans emploi) qui pillent le territoire, profitant des désordres de la guerre.

L’état actuel des vestiges se comprend mieux : la tour maîtresse, le logis et la tour semi-circulaire sont éventrés, probablement minés à leur base. Le châtelet a subi le même sort mais il a été reconstruit, quasiment identique, au tournant des XVe-XVIe siècles. Le palais qu’avait souhaité Guillaume II, déjà inachevé, n’a pas survécu plus de vingt ans. Destiné à être une résidence princière, il n’a servi qu’à loger des garnisons.

La bataille de Montépilloy

Depuis 1420, Paris et le nord du royaume sont aux mains des Anglais et des Bourguignons. Jean de Lancastre, duc de Bedford et régent du royaume de France pour le roi anglais Henri VI, quitte la capitale le 4 août 1429 avec une armée de 10 000  hommes. Il espère couper la route à Jeanne d’Arc et au roi Charles VII qui reviennent du sacre de Reims.

Le dimanche 14 août, les deux armées se positionnent entre Montépilloy et Mont-l’Évêque. Côté français, les plus grands capitaines sont là dont Gilles de Rais, Jean de Dunois, Charles d’Albret et La Hire. Mais il n’est pas question de faire la guerre un dimanche… Le lendemain, ne souhaitant pas renouveler les erreurs de Crécy, Poitiers et Azincourt, Charles VII interdit l(attaque de front. Il souhaite éviter le tir des archers et faire sortir l’anglais de ses retranchements par des provocations. Finalement, pendant toute la journée du 15 août, sous un soleil de plomb et dans la poussière, les deux armées se font face mais ne s’affronteront pas.

En définitive, la bataille de Montépilloy se résumera à quelques escarmouches significatives dans lesquelles se sont notamment illustrés les contingents écossais alliés aux Français.

Extrait d’un descriptif des terres pour le roi de 1634 conservé aux archives de Chantilly

« ledit chasteau et forteresse ayant jadis et du temps de Jeanne la pucelle d’Orléans, environ l’an mil quatre cent trente, esté tenu et occupé par les Anglois contre Charles 7ème, roy de France, et fait beaucoup de maux ès environs d’icelluy, mesmement à la ville de Senlis (…) à cause de quoy, après qu’ils l’eurent quitté et se furent retirés, les habitants dudict Senlis et gens du Roy ruinèrent et démolirent le dit chasteau et forteresse, comme il se voit encores, sauf ce qui depuis a esté remis et réparé tant par messires Guillaume, Anne, Henry père et Henry fils »

Un redressement difficile

En 1440, la seigneurie de Montépilloy revient à Guillaume III le Bouteiller, fils cadet de Guillaume II. Son frère aîné Charles est mort en servant le roi Charles VII à la bataille de Baugé en 1421. Aussi fidèle que ses parents aux princes d’Orléans, il revient d’Angleterre après 28 ans d’emprisonnement comme otage suite aux accords de la paix d’Auxerre. Dès sa libération, il apparaît au service de Charles d’Orléans et son frère Jean d’Angoulême. Dernier des Bouteiller de Senlis seigneurs de Montépilloy, Guillaume III décède en 1461. Durant les vingt années où il possède la terre, il n’a jamais souhaité ou eu les moyens de réaménager le château.

Par la suite, ce sont deux puissants seigneurs, Bertrand VI de la Tour, comte de Boulogne et d’Auvergne, puis Antoine de Chabannes, comte de Dammartin, qui achètent respectivement le site à l’été 1461 et à l’automne 1474. Aucun des deux ne semble avoir financé d’importants travaux au château de Montépilloy. D’ailleurs, aucune partie de l’édifice encore en élévation aujourd’hui n’atteste de constructions ou de rénovations menées dans la deuxième moitié du XVe siècle.

Durant six décennies, nous ne savons rien ou presque de la gestion seigneuriale. Probablement que le château ne subit pas de remaniements profonds et entre lentement dans la léthargie qui caractérise les vieilles forteresses militaires ruinées de la fin du Moyen Âge. Elles sont alors abandonnées au profit de palais correspondant mieux aux attentes nouvelles et à l’évolution de la fonction militaire au bénéfice de la fonction résidentielle ; du château médiéval, hormis les fondations, il ne reste rien. A Montépilloy, si les nouveaux seigneurs avaient souhaité une résidence moderne, il aurait fallu abattre les vestiges rescapés du démantèlement de Charles VII. A toute chose, malheur est bon : c’est précisément parce qu’il n’a jamais été rénové que le château de Montépilloy, même en ruine, est un des exemples les plus remarquables de l’architecture seigneuriale du Moyen Âge.

La crise de la seigneurie débouche sur un phénomène important de vente au profit de seigneurs riches ou bons gestionnaires. A Montépilloy, ils seront princes. Le 19 mars 1496, le baron Guillaume de Montmorency achète la terre et le château pour 4000 livres tournois. Les Montmorency sont largement possessionnés au nord de Paris, d’Écouen à Senlis. Héritiers des Orgemont, ils sont aussi seigneurs de Chantilly. Anne de Montmorency se voit attribuer par son père les terres de Montmorency, Écouen, Chantilly, Chaversy, Damville, Le Thillay et Montépilloy, en récompense du titre d’échanson du roi que François Ier lui décerne en 1520. Prolongeant l’action de son père, Anne, bientôt connétable de France, fait réorganiser ses terres dont celle de Montépilloy. Le château devient le siège d’une exploitation agricole modernisée dont un des témoins est le bornage de l’ensemble des limites de la seigneurie afin de faire valoir les droits sans hésitation. Deux de ces bornes existent encore et sont visibles près de la mairie.

Le château devient une ferme

Au XVIe siècle, la valeur militaire de la place forte est relativement faible. Globalement, le château n’a pas été adapté pour faire face à l’évolution des techniques militaires, notamment au développement de l’artillerie à poudre. Il est surtout le centre d’une exploitation agricole seigneuriale.

Le château a tout de même un rôle de place secondaire dans les conflits des Guerres de Religion car sa garnison, rangée du Côté du roi, soutient un raid et perd le site face aux ligueurs le 14 juillet 1591. Il est alors pillé et peut-être incendié.

Abandon définitif de la fonction militaire

Parce qu’il a comploté contre le roi de France et le cardinal Richelieu, Henri II de Montmorency, le petit-fils d’Anne, est décapité pour crime de lèse-majesté le 30 octobre 1632. Ses biens, dont la seigneurie de Montépilloy, sont confisqués et passent aux Bourbon-Condé, cousins des rois de France et plus puissants princes du royaume. Depuis un siècle déjà, les seigneurs ne viennent plus au château, sauf peut-être à l’occasion de chasses. Les frontières du royaume sont repoussées loin au nord et la pratique de la guerre ne laisse plus de place aux anciennes forteresses : le temps des citadelles est venu.

Montépilloy, depuis la Renaissance jusqu’au début du XXe siècle, maintient son allure et sa fonction. Des bâtiments agricoles s’adossent sur l’enceinte tout autour de la cour et, à l’ombre des vestiges du vieux château féodal, les fermiers oeuvrent à faire vivre la terre. D’abord pôle de commandement, il est dorénavant un centre économique.

Louis II de Bourbon-Condé

Une dynastie de chasseurs

Les Bourbon-Condé, comme les Montmorency et les Bouteiller avant eux, étaient de grands chasseurs. La chasse à courre, ou vénerie, est d’abord un sport conçu comme un entraînement à la guerre, puis devient progressivement un art de vivre de la noblesse française. Le roi François Ier sera lui-même surnommé le « père des veneurs ». Le bois de Montépilloy a accueilli quelques chasseurs célèbres, mais le récit de leurs chasses est parfois élogieux, voire idéalisé. Ainsi, nous dit-on que Louis-Joseph de Bourbon, huitième prince de Condé, abattait en 1759 sur les plaines de Montépilloy 606 lièvres en un seul jour, 1437 lièvres en trois jours… Plus crédible, son fils, Louis-Henri, a attaqué en 1780 un cerf à Montépilloy qui sera pris à l’abbaye de la Victoire.

Informations utiles

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Tel: 03 60 02 65 58

3 Place du Château, 60810 Montépilloy