Un moment de la conquête des Gaules par Jules César, en 58 avant Jésus-Christ, le plateau portant de nos jours la vieille ville de Senlis, était occupé par l’Oppidum de Rotomagus, appartenant au peuple des Sulbanectes. Plus tard, à l’époque augustéenne, une ville romaine, ou romanisée, devait s’étendre plus largement sur les pentes bordant les rives de la Nonette ; la cité prit alors le nom d’Augustomagus, nom qu’elle devait perdre à la fin de l’Empire, comme la plupart des autres cités, pour reprendre le nom de sa population indigène.

Découverte

Les arènes constituent aujourd’hui le seul grand monument civil témoignant de l’urbanisme monumental d’Augustomagus. Située au Sud-Ouest, et légèrement à l’écart de l’agglomération actuelle, cet amphithéatre, de dimensions modestes, fut découvert en 1865 par un Senlisien curieux du passé de sa ville, Félix Vernois. Sur le seul indice du toponyme de « Fontaine des Raines », altération de « Fontaine d’Araines » désignant une ancienne source située au pied du plateau portant le monument disparu, Félix Vernois décida d’entreprendre des recherches dans ce secteur. La proximité phonétique « d’Araines », déformation de « Arenarum » et de « des raines », désignant des grenouilles, explique aisément le transfert de toponyme, surtout s’agissant d’une fontaine. Félix Vernois ayant effectué un sondage fructueux c’est sur la foi de cette découverte que le « Comité archéologique de Senlis » dont il faisait partie, fit l’acquisition du terrain nécessaire et entreprit le dégagement de l’ensemble monumental. Les travaux de déblaiement, il ne s’agissait pas encore de fouilles à caractère scientifique, devaient durer de 1865 à 1889. Toutefois, un tel travail ne devait pas révéler la totalité des vestiges existants. En 1937 l’abbé Soupize et quelques érudits locaux, acquirent la conviction que des recherches plus approfondies devaient être reprises sur le terrain.

Ces travaux furent l’oeuvre de Georges Matherat, alors Directeur de la Circonscription Archéologique, et permirent au cours des années 1943 et 1945 de donner à l’amphithéâtre son aspect actuel, tandis que l’étude et l’interprétation du monument devenaient beaucoup plus claires et précises. Toutefois la totalité de la superficie occupée par l’amphithéâtre et ses dépendances, n’a pas été acquise, et des fouilles intéressantes seraient à effectuer sous les propriétés voisines, permettant notamment de retrouver les accès à l’édifice et ses liaisons avec la ville.

Description du monument


L’arène

On pénètre actuellement dans les arènes par un passage en pente douce s’ouvrant dans le flanc Ouest de l’édifice. Ce passage, autrefois partiellement voûté, long de 21,10 m et large de 4,80 m en moyenne, est précédé d’un vestibule sensiblement plus ample (6,40 m de largeur) isolé par deux seuils. La partie inférieure de ce vomitoire débouche sur l’arène proprement dite, c’est-à-dire la piste sablée sur laquelle se déroulaient les spectacles. On se trouve alors à l’extrémité du grand axe d’une ellipse approximativement orienté Est-Ouest. Ce grand axe mesure 41,50 m tandis que le petit axe Nord-Sud compte 34,45 m. Le relevé topographique a permis de démontrer que le tracé de l’arène correspondait effectivement à une ellipse, et non à une courbe à quatre centres, voire à une courbe à deux centres comme c’est le cas pour les arènes de Lutèce.

Il est à noter que les axes de l’ellipse sont distincts des axes apparents du monument eux-même quelconques entre eux. En effet les axes des quatre vomitoires n’ont qu’une orthogonalité apparente et leur incidence réciproque se révèle lorsqu’un observateur se place à l’extrémité du vomitoire Est, ou à l’extrémité du vomitoire Sud. Faut-il voir dans cette disposition asymétrique une intention ou plutôt une maladresse d’exécution ? Compte tenu du caractère provincial de l’édifice et de la faible importance de la cité, on pencherait plutôt pour la seconde hypothèse. Toutefois, réservons la possibilité d’une orientation des vomitoires en fonction des voie d’accès déjà existantes autour de l’ensemble. Retenons au passage que cette piste où se déroulaient les spectacles, doit son nom au sable, Arena, dont le sol était recouvert. Ce matériau pulvérulent, outre son aspect agréable offrait l’avantage d’absorber rapidement le sang répandu pendant les combats ou plus simplement l’eau de pluie, sans transformer l’arène en bourbier.

Les vomitoires

Les deux grands vomitoires de l’Orient et de l’Occident permettaient l’accès à l’arène aux hommes, aux animaux et aux machines destinés aux spectacles. Des salles de service ou Carceres au nombre de quatre, ouvrant à la fois sur ces vomitoires et directement sur la piste, servaient à loger les acteurs, combattants ou fauves, avant et pendant les représentations. Trois d’entre elles possédaient une couverture voûtée destinée à soutenir les gradins et dont l’arrachement est encore visible. Dans la quatrième un fragment d’une grande dalle, retrouvé au moment du dégagement, laisse à penser qu’elle appartenait à son plafond. Des spectateurs, également, empruntaient ces deux voies solennelles pour gagner leur place ; les quatre escaliers, que l’on voit encore, les conduisaient au niveau du Podium aux sièges généralement réservés aux personnalités de marque. Les autres spectateurs utilisaient les nombreux accès périphériques ouverts dans la Corona et aujourd’hui disparus, ainsi que les deux petits vomitoires du Nord et du Sud. Un usage particulier de ces deux voies d’accès est cependant à remarquer : le couloir Nord conduit à une scène, aménagée semble-t-il à postériori, au niveau du podium, ce couloir servait alors de passage aux acteurs ; tandis que le couloir Sud aboutit, toujours au niveau du podium, à une loge le Suggestus impérial ou Pulvinar, à l’usage du représentant du pouvoir impérial ou du premier magistrat de la cité, ou encore de l’édile qui donnait les jeux. Habituellement deux loges se faisaient face, de part et d’autre de l’arène. Ainsi au Colisée de Rome, par exemple, on trouvait au Nord la loge destinée à l’Empereur et à la famille impériale, position bénéficiant de l’éclairage le plus favorable ; au Sud était la loge du préfet de la ville et des magistrats. Il n’est pas exclu que l’amphithéâtre de Senlis ait comporté une seconde loge à l’emplacement de la scène et avant l’aménagement de celle-ci, afin de répondre à cette disposition.

Les chapelles

Deux salles, qui ne sont pas des locaux de service, s’ouvrent dans le mur du podium aux extrémités du petit axe de l’arène. On y remarque des niches, trois au Nord et sept au Sud. Dans ces niches devaient se trouver certainement des statues de Divinités. Au cours des dégagements de 1865 on découvrait en effet, dans le local du Sud, différents fragments sculptés, dont deux torses et une tête qui pourrait être celle de Vénus. Ces vestiges sont conservés au musée d’Art et d’Archéologie de Senlis, avec les autres trouvailles en provenance des arènes.

Compte tenu de ces témoignages et de la disposition des lieux il semble certain que l’on se trouve ici en présence de deux chapelles, les Sacella, consacrées aux divinités tutélaires des jeux. La chapelle méridionale, en raison des trouvailles faites et du caractère du monument, était fort vraisemblablement plus spécialement dédiée à Hercule dont l’effigie devait occuper la niche centrale. La présence d’une scène rappelle que cet amphithéâtre fut aussi un théâtre, et il n’est pas exclu que le petit sanctuaire du Nord, ouvert précisément sous la scène, ait été consacré à Apollon ou à Bacchus, deux divinités associées à la célébration de l’art dramatique et de la musique. Ces deux édicules possédaient une couverture constituée de grandes dalles plates, dont plusieurs fragments ont été retrouvés. L’appareil des murs, aujourd’hui à nu, était autrefois recouvert d’un enduit peint, dont on a pu voir encore quelques traces au moment de la découverte et dont il ne subsiste que les couches de support.

La cavea

Ce terme désigne l’ensemble du monument recevant les gradins destinés aux spectateurs ; à Senlis on y retrouve la division traditionnelle en trois parties comportant de bas en haut le Podium et deux Moeniana, au singulier Moenianum. Le sol du Podium se trouve à un mètre soixante au-dessus de l’assise de soubassement, laquelle devait dépasser le sol de l’arène d’une dizaine de centimètres environ. A cette hauteur, constituant une première protection, il convient d’ajouter celle du parapet, ou Balteus, constitué par un mur continu de quatre-vingt-deux centimètres de haut. Au total les spectateurs assis à ce premier niveau bénéficiaient d’une hauteur de protection de deux mètres cinquante environ. Le mur du podium est édifié de blocs de grand appareil disposé en assises réglées, assemblées à joints vifs et dont le parement est smillé avec souvent un cadre de ravalement. L’assise supérieure, supportant le balteus, est une forte corniche moulurée dont la pente arrondie, autant que la saillie, étaient des obstacles aux bonds des fauves. C’est au niveau de ce podium que l’on trouve, nous l’avons vu, la loge et ce qui semble être la scène. Si la première est d’un usage courant dans tous les amphithéâtres, du monde romain, la seconde est une particularité plus spécialement gallo-romaine. La scène de Senlis se présente comme une plateforme dallée de 11,50 m de large sur une profondeur de 5,50 mlimitée latéralement par deux murs de faible épaisseur dont l’un demeure partiellement visible sur le côté Est ; tandis que le mur de fond n’est autre que le mur de precinction séparant le podium du premier Moenianum.

La présence de cette ample plateforme, si l’on pouvait confirmer son rôle de scène, ferait du monument de Senlis un exemple caractéristique d' »Amphithéâtre à scène ». Dans ce cas on peut se demander si la piste était utilisée toujours pour le spectacle, ou si elle n’était pas parfois occupée par le public. Les exemples de ce type ne sont en effet pas exceptionnels en Gaule, soit qu’il s’agisse d’un amphithéâtre complet doté dans un second temps d’une scène comme Lillebonne, soit qu’il s’agisse d’un amphithéâtre à cavea incomplète, initialement prévu pour les spectacles de l’amphithéâtre et du théâtre, ainsi que cela semble être aux arènes de Lutèce.

Les deux autres divisions de la cavea (N et O) sont encore perceptibles grâce aux couloirs concentriques, partant du vomitoire Sud, et destinés à distribuer le premier moenianum.

La répartition du public dans les gradins se faisait à l’aide d’escaliers convergeant et partageant la cavea en tranches appelées Cunei.

Tous les gradins avaient été enlevés de leur emplacement d’origine par l’exploitation du monument comme carrière et seuls quelques-uns d’entre eux furent retrouvés réemployés dans certains murs ; leurs dimensions moyennes sont de 37 cm de hauteur pour 84 cm de profondeur. Quelques rangs de gradins, ou quelques sièges privilégiés étaient munis, au niveau du podium où ils furent retrouvés, d’accoudoirs assurant à la fois un appui et une séparation.

La partie supérieure de la cavea, limitée extérieurement par le mur de Corona dont plusieurs tronçons ont été retrouvés par G. Matherat, était peut-être aménagée pour recevoir des gradins de bois sur un échafaudage, ou un promenoir périphérique où se pressaient les spectateurs les plus humbles qui ne pouvaient prendre place sur les gradins. Compte tenu de la position des éléments retrouvés de la Corona, on peut estimer respectivement à 90 m et 83 m les dimensions totales des deux axes de l’édifice. Ce qui place Senlis parmi les petits amphithéâtres.

Il était fréquent de couvrir la cavea des théâtres et des amphithéâtres, afin de garantir le public des intempéries, par un Velum, constitué de voiles tendues sur un réseau de câbles fixés à des mâts dressés autour de la Corona et du Podium. Les éléments d’un tel dispositif n’ont pas été retrouvés à Senlis (il s’agit généralement d’anneaux de pierre ou d’orifices, dans lesquels les mâts étaient plantés) on ne peut donc que supposer l’éventualité de son existence.

Capacité

La surface dont disposait chaque spectateur dans les édifices consacrés aux spectacles, est estimée en moyenne, à 0,32 m2. Ce chiffre nous est donné par les dimensions des gradins demeurés intacts dans les amphithéâtres d’Arles, Nîmes et Pompei, où chaque spectateur disposait en profondeur de 0,45 m pour s’asseoir et 0,35 m pour poser les pieds. En outre des marques de répartition visibles à Arles et à Pompei donnent une largeur de siège de 0,39 et 0,40 m. Ces dimensions nous conduisent à la surface citée. l’aire de la cavea de Senlis est approximativement de 4600 m2. Si l’on en déduit la surface des circulations et de la scène, soit environ 1000 m2, il reste de disponible pour les sièges, 3600 m2, c’est-à-dire une capacité de 11 250 spectateurs. On ne saurait tenir ce chiffre pour formel, et il suffit de retenir une valeur comprise entre dix et douze mille pour avoir un ordre d’idée tout à fait approximatif.

Puisards

On peut voir dans l’arène, l’orifice de deux puisards dont le rôle était de recueillir les eaux de pluie ruisselant sur les pentes de la cavea. Ces eaux étaient collectées par un canal courant au pied du balteus du podium et conduites à ces puits à fond perdu, creusés dans la roche jusqu’au sol perméable sur une profondeur de 7 mètres et avec un diamètre de 1,80 m.

Les spectacles

L’amphithéâtre était le lieu des représentations cruelles et sanglantes dont les Romains, tout comme les Gaulois, étaient friands. Le combat de gladiateurs, ou Hoplomachie, n’était que la transformation du Munus, l’antique sacrifice humain, démesurément multiplié. Dans ces joutes s’affrontaient des prisonniers de guerre, des esclaves, des prisonniers de droit commun, mais aussi des volontaires qu’éblouissaient la gloire et la relative richesse, éphémères toutes deux, récoltées par les vainqueurs. On y voyait aussi des chasses, des combats d’animaux ou des dressages, les Venationes, parfois aussi des spectacles plus paisibles de pantomime, certaines à effets grandioses avec l’aide d’une machinerie complexe. A Senlis, la scène était utilisée pour les pantomimes simples ou pour quelque comédie bouffonne dont le public gallo-romain se contentait. Quant aux Naumachies, spectacles rarissime et nécessitant une infrastructure importante et onéreuse, rien ne permet de penser qu’il en fut jamais représenté en Gaule.

Date et histoire

Plusieurs états se distinguent aisément, dans les différentes parties subsistantes de l’amphithéâtre. L’état originel, visible dans le grand appareil du podium et dans les murs latéraux, en petit appareil soigné des vomitoires, semble appartenir sinon à l’époque d’Auguste, du moins au début du Ier siècle après Jésus-Christ ; l’absence de cordons de briques, témoignage des constructions édifiées à partir du IIe siècle, la trouvaille de deux monnaies augustéennes aux niveaux les plus bas, et les points de ressemblance avec d’autres théâtres-amphithéâtre du Ier siècle, ceux de Lutèce et de Grand (Vosges) notamment, sont autant de présomptions en faveur d’une réalisation du début de l’époque impériale. La modification la plus intéressante, fut, nous l’avons vu, l’adjonction d’une scène à l’extrémité Nord du petit axe, au niveau du podium, et ce, à une époque indéterminée.

Victime, comme les autres villes de Gaule, des premières invasions, le monument fut transgormé en forteresse et ses entrées obstruées dans les dernières années du IIIe siècle ; de cette époque date également l’enceinte de la ville, conservée en grande partie. La remise en état qui suivit dut apporter déjà de nombreuses modifications d’aspect, les réfections du mur du podium dans le secteur Nord-Ouest doivent dater de cette époque. le monument du demeurer en usage avec des alternances de fortifications jusqu’à l’époque mérovingienne. Des signes d’entretien maladroit se voient dans certaines parties du mur de podium de même que dans les gradins rustiques retrouvés çà et là, et prélevés, comme tous les matériaux de restauration tardive, au monument lui-même. Le canal collecteur des eaux de pluie étant obstrué on dut mutiler la corniche en maints endroits afin de permettre l’écoulement direct sur le sol de l’arène.

En 404 un édit d’Honorius supprima définitivement les combats de gladiateurs. Les amphithéâtres ne furent plus utilisés alors que pour les exhibitions et combats d’animaux et la pantomime.

Abandonnés vers le VIe siècle les arènes furent, durant le Haut Moyen-âge exploitées comme carrières de pierre, puis à partir du XIIe siècle, la cavité fut peu à peu comblée par des déblais rejetés par les habitants de Senlis. A la Renaissance, le remplissage était tel que le site était transformé en une butte, dominant de 8 m le sol de l’arène, sur laquelle une batterie d’artillerie fut installée lors du siège de 1589. Le nom même « d’arènes », qui s’était altéré en « Araines » durant le Moyen-Âge fut remplacé par celui de « La Fosse » tandis que le toponyme originel passait à la « Fontaine des Araines », toponyme précieux, malgré le transfert, puisqu’il devait permettre en 1865 à Félix Vernois de redécouvrir le monument.

Ouvrages de référence

Informations utiles

Tel: -

20 Rue de la Fontaine des Arènes, 60300 Senlis