Voir aussi le carnet « 1 journée dans la vallée de Chevreuse« .
De nos jours l’abbaye est aussi un musée regroupant un certain nombre de gravures très intéressantes (voir à la fin de l’article).
Prenons de la hauteur...
L'abbaye de Port-Royal des champs au XVIIe siècle
Il est difficile d’imaginer, en visitant les ruines, combien l’abbaye était vaste avant sa destruction. Imaginez cette surface de bâtiments, étangs, jardins qui couvrait tout ce que vous avez parcouru depuis le portait d’entrée jusqu’aux ruines de la Porterie. Regardez le mur d’enceinte vers l’Est. Encore n’aurez vous pas vu l’étang vers l’ouest et sa tour !
On peut encore se référer aux gravures d’époque. Vous trouverez ci dessous les plus significatives. Les deux dernières sont dotées de repères qui feront apparaître la gravure de Magdeleine Horthemels illustrant l’endroit. Ces gravures sont commentées dans le chapitre « collections ».
Son histoire
Fondée en 1204, l’abbaye de Port-Royal des Champs devient dès le début du XVIIe siècle un haut lieu de la réforme catholique sous l’impulsion de la fameuse Mère Angélique, qui y rétablit l’observance stricte de la règle de saint Benoît. Transférée à Paris en 1625, la communauté passe sous la juridiction de l’archevêque de Paris et devient, en 1647, Port-Royal du Saint-Sacrement.
Vers 1635, l’abbé de Saint-Cyran devient le directeur spirituel du monastère, favorise la constitution du groupe des « solitaires », installé à Paris puis aux Champs, et inspire la fondation des « petites écoles » qui font de Port-Royal l’un des creusets de la pédagogie moderne.
Ami de Cornelius Jansen, Saint-Cyran est, avec Antoine Arnauld, frère de la Mère Angélique, le chef de file d’un courant théologique, retournant à la lecture des pères de l’Eglise, principalement de saint Augustin. Condamné par Rome en 1642, l’Augustinus de Jansenius devient l’objet d’âpres polémiques, dont Antoine Arnauld et les solitaires de Port-Royal se font les porte-parole.
Principal foyer de la pensée janséniste en France, Port-Royal apparaît comme un lieu de résistance au pouvoir royal, que Louis XIV ne parvient pas à réduire, pendant tout son long règne.
En 1661, il ordonne la dispersion des Solitaires et la fermeture des Petites écoles. La « Paix de l’Eglise », en 1669, marque un répit dans la politique anti-janséniste, et l’abbaye connaît un second âge d’or, sous la puissante protection de la duchesse de Longueville, cousine du roi. Après la paix de Nimègue et la mort de sa cousine en 1669, puis de 1705 à 1713, le roi vieillissant cherche à faire disparaître les jansénistes du royaume. Ne parvenant pas à réduire les religieuses de Port-Royal à l’obéissance, il les fait disperser en 1709 et raser leur abbaye deux ans plus tard.
La destruction du monastère donne un second souffle au mouvement janséniste, qui sera souvent l’âme de la résistance au pouvoir royal au sein des parlements.
Transept et maître-autel
Réfectoire
« Solitude »
Porterie
Infirmerie
Cloître
Chapitre
Choeur des religieuses
Des origines à la réforme (1204-1609)
Fondation de Notre-Dame de Porrois
L’abbaye Notre-Dame de Porrois fut fondée en 1204 par Mathilde (ou Mahaud) de Garlande, veuve de Mathieu de Montmorency, mort à Constantinople au cours de la quatrième croisade. Elle acquit le fief de Porrois à Milon de Voisins, et avec l’appui d’Eude de Sully, évêque de Paris, y fit établir une communauté de femmes. Affiliée à Cîteaux dès 1209, la nouvelle abbaye fut officiellement reçue au sein de la congrégation en 1225 par le Chapitre général, et placée sous l’autorité de l’abbé des Vaux-de-Cernay.
L’imposante église abbatiale fut consacrée le 25 juin 1230, et l’abbaye prospéra grâce aux libéralités des seigneurs locaux. Son temporel s’étendait dès la fin du XIIIe siècle jusque dans les faubourgs de Paris. L’abbaye de Port-Royal n’échappa toutefois pas au déclin général des institutions régulières au cours des XIVe et XVe siècle. Au XVIe siècle, les abbesses Jeanne de la Fin I (1513 à 1558), et Jeanne de la Fin II sa nièce (cat. 9), reconstituèrent patiemment le temporel de l’abbaye, et entreprirent des premiers travaux dans l’église et les bâtiments conventuels.
Port-Royal et la Réforme catholique (1609-1647)
Les religieuses de Port-Royal
La Réforme catholique, consacrée par le Concile de Trente, avait gagné tardivement la France, en raison des troubles des Guerres de religions, et de l’essor de la pensée gallicane. La pacification du royaume par Henri IV favorise le mouvement de réformes des établissements religieux du royaume.
Mère Angélique et la réforme du monastère
Fille d’un avocat célèbre, Jacqueline Arnauld – Mère Angélique – devient coadjutrice de la vieille abbesse, Jeanne de Boulehart en 1599, à sept ans et demi, puis abbesse de l’abbaye cistercienne de Port-Royal en 1602 à l’âge de onze ans. En 1608, elle entreprend la réforme de l’établissement, en rétablissant la stricte observation de la règle de saint Benoît, la pauvreté, la vie communautaire et la clôture. Port- Royal est la première communauté de femmes réformée en France.
Port-Royal de Paris
En 1625, la mère Angélique obtient la permission de créer un second établissement à Paris dans le faubourg Saint-Jacques. L’abbesse demande la séparation de Cîteaux et place l’abbaye sous la juridiction de l’ordinaire. En 1629, elle obtient du roi Louis XIII la permission pour la communauté d’élire son abbesse, et démissionne en juillet 1630. La direction spirituelle de la communauté est assurée, vers 1635, par l’abbé de Saint-Cyran.
En 1647 le monastère prend le nom de Port-Royal du Saint-Sacrement, et les religieuses reçoivent le scapulaire blanc avec une croix rouge sur la poitrine, qui remplace le scapulaire noir des cisterciennes.
Deux monastères, une communauté
Le 13 mai 1648, la mère Angélique revient à Port-Royal des Champs avec plusieurs religieuses. Une partie de la communauté se réinstalle aux Champs à la fin de la Fronde en 1653. L’abbaye des Champs vit désormais en étroite relation avec l’abbaye parisienne, alors que les premières mesures de Mazarin, puis du jeune roi Louis XIV, commencent à s’abattre sur les jansénistes.
Les Solitaires aux Champs
Réunis à Paris à partir de 1637, les solitaires s’installent l’année suivante à Port-Royal des Champs, dans l’abbaye abandonnée par les religieuses. Sous l’influence de Saint-Cyran, des personnalités laïques ou ecclésiastiques, parents pour la plupart de la mère Angélique, comme ses neveux Antoine Le Maître ou Louis-Isaac Le Maître de Sacy, le médecin Jean Hamon, le grammairien Claude Lancelot, le moraliste Pierre Nicole…, y mènent une vie d’étude et de prières. Ils entretiennent les bâtiments, font drainer le fond du vallon et entreprennent de rehausser le sol de l’abbatiale. Au retour des religieuses en 1648, les Solitaires se retirent dans la ferme des Granges.
Les « Petites écoles »
Sous l’impulsion de l’abbé de Saint-Cyran, directeur spirituel de la communauté des religieuses de Port-Royal, les Solitaires se consacrent dès 1637 à l’éducation des enfants et créent les « petites écoles ».
Chaque maître est chargé de 5 à 6 enfants au plus. La matinée, commencée à 5 h et demie, est consacrée à la version latine. Après le repas à 11 h et la récréation au jardin, l’après-midi est consacrée à l’histoire ou à la géographie pendant une heure, puis à la poésie ou au grec.
L’enseignement est complet et donné pour la première fois dans des manuels en français rédigés spécialement par les Messieurs de Port-Royal : écriture, lecture et diction, grammaire, latin, grec, histoire, géographie…
« Comme ces écoles étoient plus pour la piété que pour les sciences, on ne pressoit pas si fort les enfans pour les études, dont on leur donnoit cependant de solides principes. »
En 1651, le succès de leur enseignement incite les Solitaires à construire un bâtiment destiné à un pensionnat de garçons, accueillant chaque année une trentaine d’élèves.
Le Jansénisme en France au XVIIe siècle
Aux origines du Jansénisme
Au début du XVIIe siècle, l’Église française se préoccupe davantage de réformes et de renouveau spirituel que de questions dogmatiques. Toutefois, la controverse avec les protestants a ouvert un courant en Sorbonne – alors faculté de théologie – attaché à l’étude des écrits des pères de l’Eglise, particulièrement saint Augustin, pour les questions liées à la Grâce. La publication de l’Augustinus de Cornelius Jansen (1640), son succès en France au moment de la mort de Richelieu (décembre 1642) ouvre une ère de polémique dans les rangs des théologiens français, avec, notamment, la publication, en août 1643, de la Fréquente communion d’Antoine Arnauld, docteur de Sorbonne et frère de la mère Angélique.
Condamnation romaine et polémique en France
A la demande de la Sorbonne, le pape condamne, en 1653, cinq propositions jugées extraites de l’Augustinus. Loin de clore la controverse, la bulle Cum occasione attise une polémique violente, menée par Antoine Arnauld. En 1655, dans sa Lettre à une personne de condition et sa Seconde lettre à un duc et pair, Arnauld accepte la condamnation des Cinq propositions, mais garde sur leur attribution à Jansénius un silence respectueux. Obligée de prendre parti, la Sorbonne choisit d’exclure, en 1656, Antoine Arnauld et avec lui une centaine de docteurs – le tiers de ses membres. Les débats orageux dont les Provinciales (1656-1657) se font l’écho, font connaître à un plus large public le contenu du « Jansénisme », cette hérésie condamnée par Rome.
Formulaire et « Paix de l’Eglise »
La première année de son règne personnel en 1661, Louis XIV obtient de l’assemblée du Clergé de France, un formulaire destiné au clergé séculier, consignant l’adhésion de cœur et d’esprit à la condamnation pontificale de Cinq propositions. L’édit royal du 29 avril 1664 tente de mettre fin au silence respectueux et impose une signature sans restriction du formulaire.
Sous l’impulsion du pape Clément IX, Rome obtient l’apaisement en France en 1668 pour une dizaine d’années. Dès la paix de Nimègue signée en 1679, le roi de France reprend l’offensive ; contre les protestants en révoquant l’édit de Nantes en 1685, puis contre les jansénistes qui s’exilent massivement.
Le Jansénisme en France au XVIIIe siècle
La bulle Unigenitus et les convulsions de Saint-Médard
A la fin de son règne, Louis XIV cherche à obtenir du pape une condamnation claire des thèses jansénistes, faisant l’unanimité dans le clergé de France. Fulminée en 1713, la bulle Unigenitus (1713) condamne 101 propositions réputées hérétiques dans le Nouveau testament avec des réflexions morales… du P. Quesnel.
La nouvelle condamnation soulève les protestations de plusieurs évêques qui veulent réunir un concile général des évêques du royaume, et s’accompagne, en 1731, de scènes de convulsions et de guérisons miraculeuses sur la tombe d’un diacre janséniste, François de Pâris, au cimetière de Saint-Médard à Paris.
Le jansénisme, du religieux au politique
Si la condamnation des quatre évêques appelants et la mort du cardinal de Noailles en 1729, marquent la fin du jansénisme épiscopal, le combat se transporte au sein des parlements, qui font de la tentative du clergé de contrôler les milieux jansénistes une affaire d’ordre public.
Avec la crise parlementaire (1756) et l’attentat de Damiens contre Louis XV (1757), les parlementaires jansénistes abandonnent le terrain de la lutte contre l’Unigenitus pour concentrer leurs attaques contre les jésuites. La suppression de la Compagnie en France (1764), achève de séparer le Clergé du pouvoir royal et renforce les velléités politiques des parlements.
Guérison miraculeuse de la demoiselle Arnould au cimetière de Saint-Médard.
Dessin préparatoire pour le livre de la Vérité des miracles, Carré de Montgeron Musée de Port-Royal.
Démolition et destruction de l'abbaye de Port-Royal des Champs (1709-1713)
Dans l’historiographie janséniste, la « destruction » de Port-Royal des Champs se situe le 29 octobre 1709, date de la dispersion des dernières religieuses réfractaires de la communauté des Champs. Pourtant la condamnation de l’abbaye rebelle ne semble consommée qu’avec la démolition des lieux conventuels, entre janvier 1710 et juin 1713, rejetée au second plan par le récit noir de l’exhumation des cimetières en décembre 1711 et transcendée par la relecture qu’en proposent les écrivains jansénistes au même moment. Un examen attentif de ces différents épisodes permet de comprendre le contexte de la production des gravures de Madeleine Horthemels et le sens qu’elle voulut leur donner.
Au moment de la « Paix de l’Église » en 1669, Port-Royal de Paris et Port-Royal des Champs avaient été séparés en deux monastères. Cette trêve religieuse fut compromise vers 1680 et le conflit religieux se ralluma en 1702 autour de l’affaire du « cas de conscience » qui remettait en cause la règle du « silence respectueux » sur les questions religieuses. Désireux d’en finir avec les jansénistes, le roi négocia une nouvelle condamnation romaine (1705) ; des négociations à marche forcée conduisirent à la fulmination par le pape Clément XI de la bulle d’extinction de l’abbaye de Port-Royal des Champs, le 27 mars 1708. L’appel comme d’abus interjeté par la communauté des Champs au présidial de Lyon laissait augurer une procédure longue, contraire à la volonté du pouvoir ecclésiastique et civil d’en finir rapidement. Malgré la procédure en cours, le cardinal de Noailles publia, le 11 juillet 1709, le décret de suppression du titre de l’abbaye de Port-Royal des Champs et la réunion de ses biens à celle du monastère de Paris. Les religieuses des Champs refusèrent de recevoir l’abbesse de Paris, venue prendre possession de l’abbaye le 1er octobre suivant. Leur résistance désespérée explique la brutalité de la procédure civile.
La destruction du monastère rebelle apparaît comme une affaire réservée, directement conduite depuis Versailles. Échappant au contrôle du secrétaire d’État à la Maison du roi, Jérôme Phélypeaux, comte de Pontchartrain, elle fut traitée directement entre Daniel-François Voysin de la Noiraye, secrétaire d’État à la Guerre, Marc-René de Voyer de Paulmy d’Argenson, lieutenant général de police, et le roi. Alors que les archives de la lieutenance générale, conservées à la préfecture de police, ont en grande partie disparu en 1871, la correspondance de Voysin, conservée dans les archives de la Défense, a été préservée. Les pièces concernant Port-Royal, partiellement inédites, jettent une nouvelle lumière sur l’histoire de sa destruction.
Un lieutenant puissant
Marc-René de Voyer de Paulmy d’Argenson (1652-1721), lieutenant général de police à partir de janvier 1697, dut sa nomination aux Phélypeaux de Pontchartrain. Son indépendance face à la magistrature fut accrue, en 1699, par l’arrivée de Jérôme de Pontchartrain à la Maison du roi, à laquelle la lieutenance générale de police était rattachée. D’Argenson avait obtenu du secrétaire d’État des fonds pour payer ses subordonnés et gérait directement la police dans le ressort du parlement de Paris. Il choisissait ses exempts un à un, les employait directement et pouvait les renvoyer à tout moment. Comme le soulignait Saint-Simon, « d’Argenson, conseiller d’État et lieutenant de police, qui avait infiniment d’esprit, de manège et de talent pour cet emploi, avait toute la confiance du roi, et ne rendait compte qu’à lui directement, de bien des choses, au grand regret de Pontchartrain qui avait Paris dans son département de secrétaire d’État ».
Ce pouvoir discrétionnaire lui valut une opposition de plus en plus vive dans les rangs des magistrats du Parlement de Paris, avec le discret soutien du secrétaire d’État à la Maison du Roi. La création en 1708 d’un corps d’inspecteurs de police fut le résultat d’un compromis : d’Argenson se vit reconnaître la direction exclusive de quarante nouveaux officiers qui prirent la place des anciens exempts. la nomination, cette année-là, de plusieurs de ses anciens affidés, comme Nicolas Odile de Pommereuil, lui permit néanmoins de garder un temps la main sur les recrutements, malgré la création des offices. La constitution en 1712 de la « chambre de justice », émanation directe du Parlement, rétablit une sorte de contrôle parlementaire.
Le règlement de l’affaire de Port-Royal des Champs démarrait donc dans une période de flottement au sein de la police royale et garantissait au lieutenant général une liberté d’action qu’il devait perdre par la suite.
L’arrêt du Conseil d’État du 26 octobre 1709 qui ordonnait la saisie des titres de l’ancienne abbaye des Champs servit de prétexte à la dispersion des vingt-deux dernières religieuses par d’Argenson, le 29 octobre 1709, sous les ordres de Pontchartrain. Le lieutenant général de police demeura dans l’abbaye déserte. Il prit ses quartiers dans le logis des hôtes et y resta jusqu’au 1er novembre « pour faire son procès-verbal & l’inventaire de toutes choses avec le greffier, les commissaires, les exempts et les archers ». Un nouvel arrêt du Conseil d’État autorisait, le 12 novembre 1709, le transfert des « meubles, effets mobiliers et denrées » sous la surveillance de gardes commis par lui à la requête de l’abbesse de Paris, Louise-Françoise Rousselet de Châteaurenault. L’oratorien Michel-Alexis de Cyret, homme d’affaire de la communauté de Paris, visita les lieux avec Marquant, huissier de Chevreuse et organisa les convois vers Paris au début du mois de décembre 1709. L’arrêt ordonnait enfin la levée des plans des anciens bâtiments conventuels par Duval, juré expert de la ville de Paris.
La démolition de l'église abbatiale
Les travaux de démolition de l’abbatiale ne commencèrent qu’après l’exhumation des cimetières. Comme pour les travaux de démolition des bâtiments conventuels, les adjudicataires furent rares. L’adjudication des travaux fut accordée à la fin du printemps à Ravinet, « maçon de Chevreuse », pour 600 livres, « à charge que l’adjudicataire démoliroit tout l’édifice jusqu’aux fondements, conformément à l’arrêt du Conseil ». Les travaux furent toutefois suspendus à la demande de l’abbesse qui souhaitait les faire faire elle-même. Dans une lettre à Voysin, le 15 juillet 1712, elle proposait de faire intervenir un maçon « honnête homme » qui, moyennant 600 livres, offrait de descendre les cloches et les tuiles, d’enlever le clocher, la charpente, les tombes et la menuiserie, puis d’enfoncer toutes les voûtes. Elle espérait ainsi tirer un bénéfice de 4000 livres de la vente directe des matériaux par la communauté elle-même. Laisser le temps achever de ruiner l’édifice apparaissait toutefois contradictoire avec la volonté du roi qui exigeait une disparition rapide et radicale de l’ancien monastère. En outre, cette solution n’offrait à d’Argenson aucun moyen de recours, en l’absence d’un adjudicataire identifié.
D’Argenson, redoutant une défection de l’adjudicataire primitif, fit débuter les travaux de démolition de l’abbatiale après le 15 août 1712. Au début du mois d’octobre, Ravinet avait fait déposer la couverture et la charpente de l’église et fait percer la voûte en plusieurs endroits « afin que les pluyes & les autres injures du temps commençassent la ruine des murailles pendant l’hyver ». Les documents sont muets sur le déroulement de cet ultime chantier mais on peut supposer qu’il était à l’abandon au printemps 1713 lorsque, vers juin, l’on choisit de faire sauter les murs de l’église à la poudre et d’enterrer les derniers décombres, renonçant, pour des raisons économiques, à exécuter la volonté du roi de creuser « jusqu’à vif fond des fondations ».
Jacob Folkema
Expulsion des religieuses, Musée de Port-Royal
L'abbaye de nos jours
De l’ancienne abbaye, il ne subsiste aujourd’hui que les fondations de l’église abbatiale construite au début du XIIIe siècle et l’imposant pigeonnier. L’oratoire, construit en 1891 en style néo-gothique à l’emplacement du chevet de l’ancienne église, accueillait à l’origine le premier musée. Des tilleuls plantés en carré autour d’un calvaire indiquent l’emplacement de l’ancien cloître. La vallée du Rhodon est barrée par une digue qui permettait de faire tourner le moulin de l’abbaye. Le long du mur d’enceinte subsistent encore quelques bâtiments agricoles. Plantée dans les bases d’une ancienne tour, une croix forgée évoque l’ancienne cour de la Solitude dans laquelle les religieuses se réunissaient.
Le site de l’abbaye de Port-Royal des Champs, rasée sur ordre de Louis XIV entre 1712 et 1713, est très tôt devenu un lieu de pèlerinage officieux mais important. Resté propriété de Port-Royal de Paris, il est vendu comme bien national à la Révolution française. En 1829, Louis Silvy (1760-1847), fervent janséniste et alors maire de Saint-Lambert-des-Bois, s’en porte acquéreur : à l’emplacement de l’ancien chœur de l’abbatiale, il fait édifier « une petite salle… servant d’oratoire », modeste maison de plan carré. Cet édifice conserve les souvenirs de l’abbaye et de la communauté disparues qu’a pu rassembler Silvy, tels de véritables reliques. En 1868, les ruines passent aux mains de la Société de Saint-Augustin, qui assure désormais l’animation de ce petit mémorial.
Ce rôle incombe tout particulièrement à Augustin Gazier (1844-1922), bibliothécaire et secrétaire-trésorier de la Société, historien de Port-Royal.
Près de trois décennies après l’acquisition, on décide la reconstruction de l’édifice sous la forme d’un « oratoire-musée ». L’architecte Hippolyte Mabille (v.1845-1923) dirige le chantier qui dure deux ans, entre 1891 et 1892. La forme de chapelle est inspirée du gothique classique du XIIIe siècle, époque de construction de l’abbatiale. Le chantier s’accompagne de plusieurs campagnes de fouilles importantes. Notons que dans les mêmes années, les propriétaires du site des Granges font construire par Gabriel Ruprich-Robert une maison pastichant cette fois les châteaux Louis XIII.
Si le néo-XVIIe siècle rend un juste hommage à la période faste du site des Granges, le néogothique est plus propre à évoquer l’église disparue et l’atmosphère religieuse de l’ancienne abbaye en ruines. La sobriété intérieure de l’oratoire-musée, conforme à l’esprit de Port-Royal, n’empêche pas la présence d’un décor figuré, rôle notamment dévolu aux vitraux. L’exécution de ces derniers est confiée à l’atelier parisien de Charles Champigneulle (1853-1905) : s’y mêlent des encadrements décoratifs néogothiques et des peintures sur verre, technique apparue plus tardivement dans l’histoire du vitrail. Augustin Gazier est à l’origine du programme iconographique dont les modèles sont autant que possible puisés dans l’œuvre du peintre Philippe de Champaigne (1602-1674) et de son neveu Jean-Baptiste (1631-1681).
Le mélange des iconographies est une illustration parfaite du concept d’oratoire-musée, puisque le propos religieux côtoie le discours historique et artistique : dans le chœur, le Christ bénissant inspiré de la Cène peinte pour Port-Royal et flanqué des apôtres Pierre et Paul ; dans la nef, quatre portraits d’illustres personnages de l’abbaye : Antoine Arnauld, la mère Angélique et l’abbé de Saint-Cyran, ainsi que Blaise Pascal. Entre les deux, Bernard de Clairvaux, le grand saint cistercien, et saint Augustin, le docteur de la grâce cher à Port-Royal, sont en position d’intercesseurs. Étonnamment, pour ces deux pères de l’Église, les compositions de Champaigne, bien connues par Gazier,n’ont pas servi de modèle. Saint Bernard est dérivé d’un modèle connu comme sa Vera Effigies (la Vraie Image), dont l’un des exemplaires les plus anciens est un tableau peint au XVIe siècle provenant du réfectoire de l’abbaye de Cîteaux. Saint Augustin est, quant à lui, figuré en pleine inspiration divine, présentant un de ses textes sur la grâce et sa relation au libre-arbitre, point nodal de la querelle janséniste.
La Société de Saint-Augustin commande également une statue de Vierge à l’Enfant, présentée comme une « réduction de celle qui ornait au treizième siècle l’abbaye de Royaumont, une des principales maisons cisterciennes d’Île-de-France. L’oratoire-musée est conçu comme un tout jusque dans ses vitrines, offertes par le baron Locré, ancien secrétaire-trésorier de la Société de Saint-Augustin et ami proche de Gazier.
Les fouilles ont révélé de nombreuses pierres tombales. Celle de l’abbesse Philippe de Varenne (†1325) a été placée au revers de la façade. À l’extérieur, se trouvent deux pierres retrouvées lors des fouilles pratiquées en 1844-1845 sous la conduite d’Honoré d’Albert (1802-1867), duc de Luynes et de Chevreuse, passionné d’archéologie et descendant d’un éminent protecteur de l’abbaye. On voit ainsi à gauche, l’abbesse Philippe de Levis (†1280) et à droite, Mathieu III de Marly (†1305), descendant des fondateurs de Port-Royal.
Enfin, les bustes en bronze de Jean Racine et Blaise Pascal, réalisés par le sculpteur Jean Frère (1851-1906), ont été inaugurés le 25 avril 1899 lors du bicentenaire de la mort du tragédien, dont la première sépulture fut à Port-Royal, comme le rappelle une stèle placée à l’emplacement supposé de sa tombe en 1892.
Cet oratoire-musée a présenté, jusqu’en 1985, la collection de la Société de Port-Royal (héritière de la Société de Saint-Augustin), aujourd’hui en grande partie déposée au musée national de Port-Royal des Champs où le visiteur peut venir l’y découvrir. Fermé depuis lors, l’oratoire-musée rouvre pour la première fois ses portes au public à l’occasion des journées européennes du patrimoine 2015.