Prenons de la hauteur...
De la forteresse élevée au XIIIe siècle, il ne subsiste, pour la mémoire, qu’une motte couverte d’un labyrinthe végétal qui matérialise l’emplacement d’une ancienne tour talutée.
Rare exemple de château d’époque Louis XIII (l’essentiel de la construction, dirigée par l’architecte Jean Gallard, se situe entre 1633 et 1640), la demeure actuelle, contemporaine de la fontaine Médicis et de l’hôtel de Sully, porte l’empreinte de la Renaissance finissante, mais on y trouve aussi la marque de courants nouveaux, venus d’Italie (style florentin) et de Hollande. Les matériaux utilisés sont la brique et la pierre. La brique, bon marché, était produite en grande quantité en Normandie mais, pour remédier aux éventuels défauts de fabrication, il était d’usage de renforcer les parties les plus fragiles avec de la pierre.
Côté ouest, l’entrée principale est précédée par un pont, une vaste cour formant terrasse et un escalier. Venant du parc, côté est, on franchit un autre pont. L’ensemble comprend :
- un avant-corps central surmonté d’un lanternon, symbole de puissance où deux feux signalaient toute la nuit aux alentours l’emplacement du château ;
- un corps de logis rectangulaire comportant trois travées de part et d’autre de l’avant-corps, où se trouvaient les appartements des maîtres de maison et les pièces réservées aux invités de marque ;
- deux pavillons latéraux, ajoutés auXVIIIe siècle, où on logeait les personnes de moindre importance ;
- le tout coiffé d’une haute toiture en ardoise.
Le logis se compose de quatre niveaux : un sous-sol, deux étages et un étage de combles.
Sur les façades, construites par les Frères Martin et Toussaint La Flèche, c’est la ligne verticale, soulignée notamment par la hauteur des baies et des cheminées, qui domine. La décoration est assez chargée : chaque baie, chaque fenêtre, chaque lucarne est surmontée d’un fronton cintré ou triangulaire dont le centre est occupé par un mascaron inspiré des masques de la Commedia del arte. Le motif répétitif d’un M et d’un D entrelacés rappelle les initiales de la première propriétaire (Marie Dauvet des Marets). On note l’association de trois couleurs : le bleu de l’ardoise, symbole du ciel, le blanc de la pierre, couleur royale, et le rouge de la brique, couleur des empereurs romains.
Le grand escalier d’honneur est entièrement logé dans l’avant-corps. Au niveau inférieur du corps de logis, qui abrite des soubassements à la belle architecture voutée, se trouvent :
- la salle à manger des communs ;
- la cuisine, meublée et animée. Une cheminée monumentale, à l’intérieur de laquelle un tourne broche mécanique est installé ; il permettait que les petits marmitons ne se brûle le visage à tourner la broche des heures durant. Un puits, une coussiège (sorte de banc en pierre construit dans le renfoncement des fenêtres) qui permettait de profiter de la lumière naturelle pour effectuer des travaux de couture ; la cuisine est directement reliée au premier étage par un escalier de service.
La superbe cuisine
Démonstration et dégustation des « Caramels de Beaumesnil » et ateliers pour enfants…
Au second niveau, on découvre :
- la bibliothèque, où se trouve un tableau qui représente Marie de Médicis (le grand-père de l’épouse du premier propriétaire fut un de ses ministres) ; au-dessus de ce tableau, on lit la devise des Montmorency ; le carrelage rouge reprend différents emblèmes de cette famille (l’aigle, le lion, le trèfle à quatre feuilles au milieu d’une branche de laurier et la croix des Croisés) ;
- le Grand Salon en partie Louis XV, avec, au centre, des sièges dits « courants » (qu’on déplaçait fréquemment), recouverts de tissus aux motifs de fables de La Fontaine et de personnages exotiques et, le long des murs, des sièges cannés dits « meublants » (qu’on ne déplaçait pas), dont on recouvrait l’assise d’une galette en hiver ; un paravent à quatre pans protégeait des courants d’air la personne installée sur le lit de repos, meuble confortable souvent utilisé pour la conversation ; la cheminée est décorée d’une coquille Saint-Jacques au naturel ; des lambris, sculptés dans les parties supérieures, sont présents sur les quatre murs ; le tapis, qui recouvre une grande partie du parquet, était roulé et rangé quand la pièce n’était pas utilisée ; au-dessus de la cheminée, la glace est composée de cinq éléments car la technique française du début du XVIIe siècle ne permettait pas encore la fabrication d’une grande surface d’un seul tenant ; au plafond, la partie centrale, peinte en bleu, est encadrée par un bandeau d’ornement.
- une salle à manger avec une table dressée, dont le sol est carrelé, comme dans la bibliothèque, aux armes des Montmorency ; des tapisseries ont été posées par la suite mais la règle voulait qu’il n’y ait pas de tissu accroché aux murs en raison du risque d’imprégnation des odeurs ; de même, la cheminée a été ajoutée au XIXe siècle ; avant, elle n’avait pas sa place dans ce type de pièce ;
- les appartements de Madame, dont une chambre dans laquelle on reconnaît un portrait d’Henriette-Marie de France, reine d’Angleterre; le secrétaire était équipé d’un dispositif ingénieux : l’ouverture du cylindre déclenchait le déplacement de la tablette et le retrait de celle-ci commandait la fermeture du cylindre ; le décor d’un dessus de porte est agrémenté de brins de muguet.
- un petit bureau.
Le niveau supérieur abrite :
- le musée de la reliure ; dans laquelle on conserve un extrait des minutes de l’interrogatoire de Ravaillac, exposé dans une vitrine ;
- une galerie de cuisiniers célèbres auteur de livre de cuisines comme Antonin Carême ou Brillat Savarin ;
- une exposition de tables d’égoïstes et des arts de la table au fils des siècles ;
Le domaine de 80 ha (il atteignait près de 3 000 ha au XVIIIe siècle) comprend également :
- à l’est, un parc traversé par une longue allée dans le prolongement du château, bordée symétriquement par des carrés de pelouse et, au-delà, par une zone boisée ; il fut à l’origine réalisé par Jean-Baptiste de La Quintinie ;
- au nord, des jardins à la française dits « la demi-lune » et « les quatre saisons ». Ils sont parsemés de statues ;
- une vaste pièce d’eau entourant complètement le château et la motte féodale qui s’y reflètent ; ces sortes de douves sans fonction défensive sont agrémentées de jets d’eau ;
- à l’ouest, des communs et une ferme situés de part et d’autre de l’allée qui mène du portail à la cour d’honneur.
- Un verger où se trouvent une glacière, chaque domestique devant deux jours de corvée en hiver pour récupérer de la glace aux alentours ; une buanderie ; un lavoir.
La buanderie
Faire la buée, buer le linge signifie au XIIe siècle faire la lessive. le buandier est la personne qui blanchit une toile neuve pour la première fois. La Buerie est le lieu où le buandier effectue son travail. La blanchisserie a une autre fonction, elle permet de redonner au linge sa blancheur après utilisation. Par déformation de langage la buerie va devenir la buanderie et le lieu où était regroupé tout le matériel nécessaire au nettoyage du linge.
Les villes comptaient un très grand nombre de lavoirs pour satisfaire les nouvelles exigences de propreté au XVIIIe siècle. Chaque Château possédait un lavoir pour son usage personnel. Pour laver le linge, il fallait utiliser différentes lessiveuses. Une pour faire tremper le linge, une autre pour le faire bouillir et une dernière pour le rincer. Entre les deux dernières étapes la lavandière battait le linge pour enlever les tâches. Étendu sur des grands fils, le linge séchait dans la buanderie ou à l’extérieur. Les planches à laver et battoirs facilitèrent un peu le lavage mais il s’agissait toujours d’une tâche longue et minutieuse. Les restes des eaux savonneuses étaient donnés aux pauvres car le savon restait un produit fort onéreux pour la plupart des gens. En plus des lavages réguliers, un « Grand Nettoyage » avait lieu deux fois par an. Il s’agissait d’un rituel symbolique qui durait trois jours. Le « Grand Nettoyage » était un symbole de purification, de triomphe de la propreté sur la saleté.
Les greniers
Voici la charpente du château. C’est dans cet espace que logeait la centaine de domestiques travaillant au château au quotidien dans les « chambres de bonne ». La charpente est un assemblage de pièces de bois (ou parfois de métal de nos jours) servant à soutenir ou à couvrir des constructions. Elle constitue l’ossature de la demeure.
La charpente de Beaumesnil est actuellement en réparation (fin 2019). Les arbalétriers vont être remplacés. Ces pièces obliques en bois supportent les pannes (pièces à l’horizontal) et forment un triangle avec l’entrais qui constitue la base du triangle. Ce triangle est la pièce maitresse de toute charpente et permet de maintenir l’ensemble du bâtiment. La restauration permettra de nouveau à la charpente de soutenir le château et empêcher que les murs s’écartent comme c’était le cas depuis plusieurs années.
Le musée de la reliure
Les origines de la reliure
La reliure est apparue en occident au 3e siècle avec les codices (feuilles réunies en cahiers).
Au Moyen Âge en Europe un codex (singulier de codices) est souvent protégé par des planchettes (appelées ais), elles-mêmes quelquefois recouvertes de cuir ou de métal. Ces ouvrages souvent liturgiques sont décorés d’ivoires, d’émaux ou de pierres précieuses. les gainages de cuir pouvaient, eux, comporter des décors estampés à froid (pressage d’une plaque gravée sur le cuir mouillé) ou ciselés.
Avec l’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1455 et l’essor du commerce du livre qui s’en suivit, la reliure entame une nouvelle étape. À Venise, l’imprimeur Alde Manuce met en place des ateliers de reliure de luxe, utilisant et perfectionnant les techniques de dorure sur cuirs qui nous viennent alors d’orient par l’Italie et l’Espagne (les perses et les arabes tenaient eux-mêmes ces techniques des peuples asiatiques et égyptiens). La mode parvient en France, notamment sous l’influence de l’illustre bibliophile Jean Grolier (1479-1565), un lyonnais qui séjourna longtemps à Milan (alors sous domination française) en tant que trésorier du Roi de France. La France devient alors pour deux siècles le centre européen de la création d’ornementations de reliures.
Les différentes reliures
Le décor romantique
Certains écrivains sont qualifiés de romantiques au début du XIXe siècle, Victor Hugo, Balzac, Chateaubriand,…
Certains relieurs, comme Thouvenin, cherchèrent des voies nouvelles et se mirent à utiliser des motifs plus figuratifs, de nouvelles couleurs ou à remettre le style gothique au goût du jour. Les reliures dites « à la cathédrale » en sont un exemple.
Le décor « semé »
C’est l’un des décors les plus employés au XVIIe siècle, il consiste en la répétition d’un ou deux motifs alternés sur tout ou partie des dos selon un canevas donné.
C’est Nicolas Eve qui semble avoir créé ce décor vers 1570. Lui et son fils Clovis travailleront pour Henri III, Henri IV et Louis XIII.
Le décor Mosaïque
Apparue dès le XVIe siècle, cette technique fut particulièrement mise en vogue au XVIIIe siècle par Augustin Dusseuil et Antoine Padeloup, puis par Le Monnier et Derome.
Les plats sont rehaussés d’applications de fragments de peaux de teintes différentes, ensuite sertis de filets dorés. Le décor peut être complété de filets dorés.
Le décor à la du Seuil
Augustin Dusseuil est né en 1673. Il aurait travaillé avec Padeloup avant d’établir son propre atelier. Relieur ordinaire du Roi Louis XV, c’est de son nom que vient l’appellation « à la du Seuil » bien que ce type de décor ait existé avant sa naissance.
Ce décor consiste typiquement en deux encadrements de filets dorés avec des fleurons aux angles de l’encadrement intérieur.
Le décor à l’éventail
Apparu au XVIIe siècle, le décor « à l’éventail » se présente sous forme d’une dorure composée de roulettes ornées en bordures et d’un motif (généralement circulaire) rayonnant à partir du centre plat.
Parfois on retrouve dans les angles le style du motif central, en quart de cercle par exemple. Ce décor sera très prisé par les grands relieurs du XIXe siècle.
Le décor à la fanfare
Apparu au XVIe siècle, ce décor se caractérise par des jeux de rubans dessinant des compartiments souvent remplis de feuillages et fers en volutes à partir d’un ovale central.
Ce serait le bibliophile Nodier qui demanda en 1829 à son relieur favori, Thouvenin, de lui réaliser un pastiche de décor du XVIe siècle pour relier un ouvrage de 1613 nommé « Les fanfares des Roule-Bontemps » (des partitions de musiques de chasse). Toutes les reliures portant ce décor sont depuis désignées comme « reliures à la fanfare ».
Le décor à dentelles
C’est une juxtaposition de petits fers sur les bords des plats, donnant l’aspect d’une bande de dentelle. C’est un décor classique du 18e siècle, très utilisé par Padeloup, Derome ou Dubuisson.
La large dentelle « Pompadour » qu’affectionnait la marquise, est l’une des plus connues.
Le décor janséniste
Une reliure janséniste est volontairement la plus sobre possible, sans réel décor.
C’est Luc Boyet, actif entre 1680 et 1720, qui initia ce genre de reliure utilisant des matériaux de luxe dans une réalisation impeccable mais avec une absence de décor apparent en dehors du titre sur le dos (mais comportant parfois une dentelle à l’intérieur des plats).