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Les siècles obscurs
Tambour de la colonne gallo-romaine dans le narthex de la collégiale Saint-Ours.
L’histoire de Loches est longue… Longue comme l’Histoire elle-même… Très tôt, bien avant que l’humanité entre dans l’Histoire, les grottes creusées dans les falaises calcaires qui bordent l’Indre ont servi d’abri aux premières populations de la région. Curieusement, ces habitats troglodytiques, agrandis et remaniés à maintes reprises, ont été occupés sans interruption par la suite, jusqu’à une époque très récente.
Les archéologues ont repéré l’existence, aux premiers siècles de notre ère, de grands domaines gallo-romains dans les campagnes lochoises. À Contray, légèrement en aval de la ville actuelle, subsistent plusieurs piles d’un aqueduc du IIe siècle. Il alimentait en eau une villa à partir d’une source située dans la forêt voisine.
Sous le porche de l’église Saint-Ours, se trouve un curieux bénitier creusé dans le tambour d’une colonne pouvant remonter, elle aussi, au IIe siècle. Parmi les douze panneaux sculptés qui le décorent, on remarque des guerriers antiques, peut-être des gladiateurs, et des vases destinés à des cultes antérieurs au Christianisme.
C’est dans un texte de l’évêque-historien Grégoire de Tours, au VIe siècle, que le nom de Loches apparaît pour la première fois, sous la forme « Lucca ». L’évêque nous apprend qu’à cette époque il existait, depuis déjà un certain temps, un camp fortifié, un castrum, sur les hauteurs dominant la vallée. Peut-être surveillait-il la voie antique qui reliait alors Caesarodunum (Tours) à Argentomagus (Argenton) ?
Cette première forteresse faisait partie, au VIIIe siècle, des domaines de Hunald, duc de Toulouse et d’Aquitaine, dont elle protégeait les frontières les plus septentrionales. En 742, Carloman et Pépin le Bref, les fils du maire du palais Charles Martel, mort l’année précédente, prenaient d’assaut la place. Ils la détruisirent en grande partie ainsi que la petite bourgade qui s’était développée à proximité : défenseurs et habitants furent faits prisonniers et déportés au Vieux-Poitiers (aujourd’hui Naintré, dans la Vienne).
Un donjon millénaire
La première forteresse de Loches, détruite en 742, fut remise en état par Charles le Chauve, inquiet des invasions normandes qui menaçaient la Touraine. Il en confia la garde à l’un de ses proches, un certain Adalande ou Adelaude. Le domaine passa ensuite au fils de ce dernier, Garnier, qui le donna en dot à sa fille Roscille lors de son mariage avec l’Angevin Foulques le Roux. À partir de ce moment, Loches devint une des principales places fortes des comtes d’Anjou, un des points d’ancrage essentiels de leurs domaines.
Foulques Nerra, le « géant » de l’an mille
Parmi ces grands féodaux, outre Geoffroy Grisegonelle, l’homme au « capuchon gris », fondateur de la collégiale Notre-Dame, figure le fameux Foulques Nerra (987-1040). Ce puissant seigneur ne reconnaissait aucune autorité, pas même celle du roi de France, son suzerain, auquel il ne craignait pas de tenir tête.
Cet homme hors du commun, qualifié parfois de « géant » de son temps, eut une existence marquée au sceau de la démesure, enchaînant sans états d’âme exploits chevaleresques et actions sordides.
Tantôt cupide et tantôt généreux, tantôt impulsif et tantôt calculateur, assassin ou repentant, diabolique ou dévot, il ne s’embarrassait d’aucun scrupule pour arriver à ses fins. Sa première épouse, Élisabeth de Vendôme, ne lui ayant pas donné d’héritier mâle, il la fit accuser d’adultère, ce qui lui permit de l’envoyer au bûcher et de se remarier en toute sérénité avec la belle Hildegarde. Pour se faire pardonner ses multiples forfaits, Foulques Nerra n’hésitait pas à négocier avec le Ciel : il fonda plusieurs dizaines d’églises et de monastères, dont celui de Beaulieu, près de Loches. Il entreprit aussi quatre pèlerinages en terre Sainte, d’où il ramena un morceau du Saint Sépulcre, arraché, selon la légende, avec ses dents. Mais Foulques Nerra fut d’abord un batailleur infatigable, soucieux de repousser les limites de ses domaines. C’est ainsi qu’il reprit aux comtes de Blois la plus grande partie de la Touraine. Il avait fait de Loches le centre de ses opérations, la tour maîtresse de son grand échiquier d’où, tel un oiseau de proie, il se lançait sur ses ennemis. C’était aussi l’ultime refuge en cas de menace.
Foulques Nerra mourut à Metz au retour de son dernier voyage à Jérusalem. Selon ses dernières volontés, son corps embaumé fut ramené dans son abbaye de Beaulieu, à quelques traits d’arbalètes du formidable donjon qu’il avait fait bâtir à Loches, sur l’autre rive de l’Indre.
Le donjon : un colosse de pierre
Ce monument majeur de Touraine semble jeter un défi au temps et aux hommes. Il s’en dégage une extraordinaire impression de force, de puissance ; ce qui, cependant, n’exclut pas une certaine élégance. En effet, l’étagement des masses, celles du donjon lui-même et des constructions annexes ajoutées au cours des siècles, enlève à l’ensemble toute lourdeur.
À peine diminué de quelques mètres, il lance vers le ciel ses hauts murs sans saillie, ourlés seulement de discrets contreforts semi-cylindriques. Près du sommet, une ligne de trous marque l’emplacement des poutres qui soutenaient un « hourd » (un balcon en bois débordant sur l’extérieur). De plan rectangulaire (environ 25 mètres de long sur 15 mètres de large), cette tour altière est flanquée au nord-est d’une seconde tour, de même forme mais plus petite, destinée à protéger l’entrée de la forteresse. Elle abritait aussi la chapelle seigneuriale dédiée à saint Salleboeuf. On accède au sommet du donjon par un escalier ménagé dans l’épaisseur du mur oriental, un mur de près de trois mètres de largeur. L’intérieur était divisé en trois étages séparés par des planchers aujourd’hui disparus. On voit toujours, suspendues dans le vide, les anciennes cheminées qui devaient à peine chauffer les immenses pièces où logeaient les maîtres des lieux et leurs serviteurs.
À la base du bâtiment, dans l’angle nord-est, un puits d’une trentaine de mètres de profondeur permettait aux occupants de la place, en cas de siège, de ne pas manquer d’eau.
Sous la bannière des Léopards
Après Foulques Nerra, l’irrésistible ascension des comtes d’Anjou se poursuivit sans interruption. Elle atteignit son apogée au XIIe siècle avec Henri II, fils de Geoffroy Plantagenêt et de Mathilde (la petite-fille de Guillaume le Conquérant, héritière de la couronne d’Angleterre).
De son père, Henri hérita de l’Anjou, du Maine et de la Touraine. De sa mère, il reçut la Bretagne et la Normandie. En 1152, il épousait Aliénor, duchesse d’Aquitaine, qui venait d’être répudiée par le roi de France. L’année suivante, consécration suprême, il devenait roi d’Angleterre. Il se retrouvait ainsi, à vingt-et-un ans, à la tête d’un immense empire s’étendant de l’Écosse au nord à l’Espagne au sud et dont la Touraine et l’Anjou constituaient les régions charnières.
Le nouveau roi d’Angleterre entreprit dans sa forteresse de Loches de grands travaux d’aménagement : il sépara le donjon du reste du plateau par un fossé creusé dans le rocher calcaire et il ceintura la place d’un nouveau rempart renforcé de petites tours semi-cylindriques.
Entre un souverain aussi puissant et le roi de France, Philippe Auguste, son suzerain pour ses domaines français, la lutte était inévitable. La touraine et Loches servirent souvent de champ de bataille à ce long conflit qui se poursuivit avec les fils d’Henri II (mort en 1189), Richard Coeur de Lion et Jean sans Terre.
Profitant de l’absence de Richard parti en croisade, Philippe Auguste avait réussi à récupérer Loches, mais de retour, le roi d’Angleterre, le 13 juin 1194, reprenait la forteresse « en un assaut irrésistible de trois heures » au grand étonnement des contemporains. « Ceci semble incroyable puisque Loches est défendue et fortifiée à la fois par la nature et par les hommes », commente une chronique du temps.
Après cet épisode, les souverains anglais renforcèrent encore les défenses du site. Ils ajoutèrent, sur la courtine existante, trois magnifiques « tours à bec » ou « tours en amande » : débordant largement vers l’extérieur, elles permettaient, grâce à d’étroites meurtrières, de surveiller le fond du fossé.
Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre.
Le retour des fleurs de lys…
Au printemps 1205, après un siège d’un an, les troupes de Philippe Auguste reprenaient définitivement Loches, défendue par cent vingt hommes, à Jean sans Terre. Le roi de France, par un acte signé en avril à Beaulieu, donnait la forteresse à Dreux de Mello, le fils de son dévoué connétable. Le nouvel acquéreur mourut à Chypre en 1248 sans héritier direct et c’est à son neveu que Saint Louis, alors lancé dans l’aventure de la septième croisade, racheta Loches depuis Damiette en Égypte (1249).
À compter de cette date et jusqu’à la Révolution, la citadelle ne cessa plus d’appartenir à la Couronne, ce qui lui valut de recevoir, à plusieurs reprises, des visites royales, à commencer par celle de Saint Louis en octobre 1261. Son petit-fils, Philippe le Bel, y vint à son tour en août 1301 accompagné de son épouse Jeanne de Navarre. Il y fit de nouveau halte, seul cette fois, en juin 1307 et, à cette occasion, il reçut ici l’hommage du comte de Flandres.
Pour pénétrer dans la citadelle, ces hôtes illustres devaient obligatoirement passer sous la Porte royale dont les deux tours rondes du XIIe siècle seront réunies entre elles au XVe siècle. Un remblai remplace de nos jours l’ancien fossé qu’un double pont-levis permettait de franchir. Les deux clefs de voûte de la porte charretière et de la porte piétonne sont ornées respectivement des armes du roi de France (les fleurs de lys) et du prince héritier (des dauphins).
En 1356, le roi Jean II le Bon s’arrêta quelques jours à Loches, juste avant la funeste bataille de Maupertuis près de Poitiers, au cours de laquelle il tomba aux mains des Anglais. Emprisonné Outre-Manche, il ne retrouva la liberté qu’après avoir signé le désastreux traité de Brétigny.
La guerre de Cent Ans n’épargna pas la Touraine. En 1412, les soldats du duc de Clarence tentèrent en vain de prendre la forteresse de Loches. Ils se vengèrent sur Beaulieu qu’ils brûlèrent et dont ils pillèrent l’abbaye.
Portrait de Philippe-Auguste.
Louis IX (Saint Louis).
Réserve
Cet espace sert de réserve pour les provisions. Il est équipé d'un puits et éclairé par des fenêtres haut placées. Un escalier en pierre permettait, à l'époque, un accès direct au niveau supérieur.
Grande salle
Dans cette salle de 20m par 9m et haute de 7m, le comte reçoit, administre, rend la justice. L'estrade seigneuriale était située dos à la cheminée. Une porte menait vers la petite tour, à une chambre réservée aux audiences restreintes.
Appartements
Voici l'espace résidentiel du seigneur et de sa famille. Ces appartements privés étaient sans doute compartimentés de cloisons en bois ou de tentures. Ils communiquaient directement avec la chapelle située dans l'avant-corps - ou petite tour.
Chapelle
Ce sanctuaire accueillait des offices privés pour le comte et ses proches. Ses murs étaient entièrement décorés de peintures, comme en témoignent le piquage des pierres. Son abside en "cul-de-four" abrite les vestiges d'un autel.
Un logis "royal"
À la fin du Moyen Âge, les rois, tournant le dos à l’austère donjon des comtes d’Anjou, se firent bâtir, à l’autre bout de la citadelle, au-dessus de l’Indre et à proximité de la collégiale Notre-Dame, un château plus agréable et mieux adapté aux goûts du temps.
Ce Logis royal, comme on le nomme généralement, fut construit en deux étapes à une époque où la monarchie s’était fixée en Touraine. Il se compose de deux bâtiments juxtaposés. Le premier, à la fin du XIVe siècle, au sud, conserve encore une façade médiévale avec ses quatres tourelles et son chemin de ronde crénelé. À l’angle sud-est, légèrement en avant, une grosse tour ronde, plus ancienne, semble monter une garde bienveillante.
Ce premier bâtiment a été prolongé vers le nord, au début du XVIe siècle, par une construction dont la décoration reste très marquée par le gothique flamboyant. Les combles sont éclairés par trois lucarnes aux frontons ornés d’une rosace sculptée. Des statues de chiens couronnent les pinacles, afin de rappeler sans doute que le château servit parfois de pied-à-terre aux souverains venant chasser dans la forêt de Loches, cette vénérable forêt que l’on aperçoit d’ailleurs à l’horizon.
À l’extrémité de ce nouveau bâtiment, une petite terrasse, entourée d’une élégante balustrade en pierre, surplombe la ville située en contrebas.
L’histoire de ce Logis royal a été marquée par deux figures de femmes, des femmes très différentes, Jeanne d’Arc et Agnès Sorel. L’une, la guerrière, la femme en armure, la sainte descendue d’un vitrail, semble refermer derrière elle la porte du mystique Moyen Âge tandis que l’autre, l’amoureuse, la femme redevenue femme, au sein généreusement offert, ouvre à deux battants les portes d’une ère nouvelle… Deux femmes au service d’un même roi !
Ici, Jeanne d’Arc remporta une éclatante victoire politique
Durant le XVe siècle, cette période charnière entre Moyen-Âge et Renaissance, qui vit la Touraine hissée au rang de « région-capitale » de la France, le roi le plus souvent présent à Loches fut, sans conteste, Charles VII. Son règne commence au pire moment de la guerre de Cent Ans alors que le pays part à la dérive et que les Anglais, déjà maîtres d’une bonne partie du royaume, menacent Orléans, porte des régions du sud de la Loire.
Le « Petit Roi de Bourges », comme on l’appelle par dérision, ou encore « le dauphin » puisqu’il n’a pas été sacré, ne compte plus que sur un miracle pour sauver son trône… Mais, contre toute attente, le miracle se produit : il prend les traits d’une toute jeune fille venue de Lorraine, Jeanne d’Arc ! Après sa victoire d’Orléans, le 8 mai 1429, Jeanne s’empresse de retrouver Charles. En habile politique, elle veut profiter du choc psychologique provoqué par la défaite des Anglais pour mener « son gentil dauphin » se faire couronner à Reims. Accompagnée de Jean le Bâtard (plus tard comte de Dunois), elle arrive à Loches où se trouve la Cour (peut-être dès le 11 mai). Jean le Bâtard a raconté cette scène au cours du procès en réhabilitation de Jeanne :
« La Pucelle, avant d’entrer dans la chambre, frappa à la porte et, sitôt entrée, se mit à genoux et embrassa les jambes du roi, disant ces paroles ou d’autres semblables :
Noble dauphin, ne tenez plus tant et si longuement conseil, mais venez le plus tôt possible à Reims pour recevoir une digne couronne…
Les seigneurs de sang royal et les capitaines voulaient que le roi aille en Normandie et non à Reims. La Pucelle a toujours été d’avis qu’il fallait aller à Reims pour consacrer le roi, et donnait les raisons de son avis, disant que, une fois que le roi serait couronné et sacré, la puissance des adversaires diminuerait toujours et qu’ils ne pourraient finalement nuire, ni à lui, ni au royaume ».
Le roi finit par se rallier à l’avis de Jeanne mais elle avait dû batailler ferme pour imposer son point de vue, remportant ainsi une brillante victoire politique car, quand on connaît la suite, on s’aperçoit que la « bergère » était bien inspirée par les « voix » mystérieuses qui, selon ses propres dires, la guidaient.
C’est justement à Loches qu’un conseiller du roi, Christophe d’Harcourt, demanda à Jeanne comment se manifestaient ces fameuses voix… Et celle-ci, après s’être fait longuement prier, va finir par répondre. Christophe d’Harcourt se souvient :
« Quand quelque chose n’allait pas… elle se retirait à part et priait Dieu… et, sa prière faite à Dieu, elle entendait une voix qui lui disait : « Fille de Dieu, va, va, va ». Et quand elle entendait cette voix, elle ressentait une grande joie et désirait toujours être en cet état… En répétant ainsi une parole de ses voix, elle-même exultait de merveilleuse façon, levant les yeux vers le ciel ».
Pendant son séjour à Loches, Jeanne fit plusieurs déplacements, notamment à Tours et à Saumur. Elle quitta définitivement la ville le 24 mai, poursuivant sa glorieuse épopée qui la mènera du sacre de Reims au bûcher de Rouen. Après Jeanne la Lorraine, une autre femme occupa une place importante auprès de Charles VII, sa favorite, la belle Agnès Sorel.
Agnès Sorel, dame de Beauté... et de Loches
En s’affichant auprès de Charles VII. Agnès inaugurait une nouvelle fonction à la Cour du roi, celle de « favorite officielle ».
Charles VII, follement épris de la belle Agnès, ne cessait de la couvrir d’honneurs et de cadeaux somptueux. Dès le début de leur liaison, avec beaucoup d’élégance et d’à propos, il lui avait offert le château de Beauté-sur-Marne près du bois de Vincennes afin qu’Agnès puisse se prévaloir, en toute légitimité, du titre de « dame de Beauté » !
Elle reçut d’autres seigneuries : Issoudun, Roquecezière dans le Rouergue, Vernon, Bois-Trousseau près de bourges… Elle bénéficiait, en outre, d’une pension annuelle de 3000 livres versée par le trésor royal. Lorsqu’elle séjournait à Loches, Agnès logeait au château. En 1444, elle fit don aux chanoines de la collégiale Notre-Dame d’une statuette reliquaire en argent doré représentant Marie-Madeleine et contenant une côte et des cheveux de la sainte.
Agnès semblait apprécier le calme des bords de l’Indre et on peut penser que c’est pour cette raison qu’en décembre 1449, enceinte pour la quatrième fois, elle vint y attendre le dénouement de sa grossesse dont le terme approchait. À cette occasion, elle était accompagnée de Guillaume Gouffier, un gentihomme détaché par le roi à son service. Pourquoi, brusquement, au début du mois de janvier 1450, en plein hiver, décida-t-elle d’aller rejoindre Charles VII occupé à guerroyer en Normandie ? Voulait-elle le prévenir d’un complot qui se tramait contre lui, comme le prétend Jean Chartier ?
Les deux amants se retrouvèrent au manoir de la Vigne, dans la paroisse du Mesnil, une propriété de l’abbaye de Jumièges toute proche. Dans les premiers jours de février, Agnès accouchait d’une fille née avant terme qui ne survécut pas. Quelques jours plus tard, l’état de la mère s’aggrava, et le 9 février, elle décédait à son tour, en présence du roi. Selon ses dernières volontés, son coeur fut déposé dans l’abbaye de Jumièges alors que son corps, embaumé, était conduit dans la collégiale de Loches. Là, son tombeau, installé dans le choeur, fut surmonté de son gisant en albâtre. Dans son testament, Agnès donnait 2000 écus d’or aux chanoines afin qu’ils disent des messes pour le repos de son âme.
Le tombeau d’Agnès, après de multiples pérégrinations, se trouve toujours dans la collégiale, non plus dans le choeur, comme à l’origine, mais dans le bas-côté nord.
Une "Bastille" tourangelle
Charles VII fut remplacé par son fils, Louis XI. Né à Bourges en 1423, ce dernier avait été conduit à Loches dès sa troisième année afin d’être protégé par les épaisses murailles de la citadelle, en ces temps particulièrement incertains. Il y vécut jusqu’à l’âge de onze ans sous la surveillance de son majordome Jacques Trousseau et de son physicien Guillaume Leothier ; l’essentiel de son éducation étant confié à Jean Majoris, maître ès arts, licencié en droit et théologien renommé.
C’est donc ici, à l’ombre du sinistre donjon des Angevins, que se forgea la déroutante personnalité de celui que l’imagerie populaire transformera plus tard en « universelle araignée ».
Le roi Louis XI séjourna peu à Loches, préférant son château du Plessis, près de Tours. Cependant, il n’oublia pas sa forteresse des bords de l’Indre qu’il utilisa comme prison d’état, une sorte de « Bastille » tourangelle destinée essentiellement à garder en sûreté de hautes personnalités. Les cachots de Loches furent surtout aménagés dans la Tour neuve ou dans le Martelet, cette curieuse carapace de pierre posée sur le rocher creusé, en cet endroit, de plusieurs étages de cellules.
Parmi les prisonniers des geôles lochoises, au temps de Louis XI, le plus célèbre serait le cardinal Balue. D’humble origine, Jean Balue avait su, par son habileté et son absence de scrupules, gravir rapidement les échelons de la hiérarchie ecclésiastique et se faire remarquer par le roi qui l’attacha à son service. Nommé évêque d’Évreux en 1465 puis évêque d’Angers en 1467, il obtenait en même temps le chapeau de cardinal et, en 1468, aux États Généraux réunis à Tours, on le voyait assis à la droite de Louis XI. Il était devenu « l’homme qui savait tout et faisait tout ».
Louis XI
Pourquoi, après une telle ascension, alors qu’il était comblé d’honneurs, aurait-il trahi son bienfaiteur au profit de son ennemi, Charles le Téméraire ? L’ombrageux Louis XI ne serait-il pas plutôt devenu inquiet d’une puissance qu’il n’arrivait plus à contrôler ? Toujours est-il que des lettres signées Balue, saisies sur un mystérieux messager, envoyèrent le cardinal en prison. Diabolique machination d’un roi perfide ou réelle trahison bien maladroite d’un ambitieux pourtant si habile ? Balue eut tout le temps de méditer sur les raisons de son incarcération pendant les onze années qu’il resta emprisonné, que ce soit à Amboise, Montbazon, Onzain, Chinon ou Tours…
À cette liste des lieux de détention du cardinal Balue, la tradition ajoute Loches mais, jusqu’à présent, aucun document ne vient confirmer cette supposition. Rien ne permet donc d’affirmer avec certitude que le plus célèbre prisonnier de Loches y ait un jour été enfermé ! À la mort de Louis XI, sous la régence d’Anne de Beaujeu, le chroniqueur Philippe de Commynes connut lui aussi, la froide humidité des cachots lochois et « tasta » pendant huit mois des fameuses « cages » réservées aux prisonniers bénéficiant d’un traitement de choix. Il nous en a laissé une description précise :
« Rigoureuses prisons, couvertes de pattes de fer par le dehors et par le dedans, avec terribles ferrures, de quelque huit pieds de large (2,60m), de la hauteur d’un homme et d’un pied de plus ».
En 1635, le voyageur Dubuisson note qu’à Loches ces cages sont au nombre de deux, ce que confirme Belleforest en 1675. Celui-ci précise même leur emplacement : au premier étage de la Tour neuve et dans une petite salle située « au-dessus du pont-levis ».
L’une de ces deux cages existait encore à la Révolution. Considérée alors comme un symbole de la « tyrannie et de l’arbitraire », elle fut brûlée dans le feu de joie du 14 juillet 1791. Deux siècles plus tard, le 14 juillet 1995, une nouvelle cage, reconstruite à l’identique, était réinstallée dans le donjon, à l’initiative du Conseil général, propriétaire des lieux.
Sous Louis XII, la forteresse de Loches reçut un hôte particulièrement illustre, Ludovic Sforza, dit le More (1452-1508). Ce personnage machiavélique avait réussi, en maniant adroitement le poison et l’intrigue, à devenir duc de Milan à la place de son neveu Jean Galéas. Type même du prince italien de la fin du Quattrocento, il vivait entouré d’une cour fastueuse où se côtoyaient artistes, poètes, savants… Or, toute cette brillante existence s’interrompit brutalement le lundi de Pâques 1500. Ce jour-là, à la bataille de Novare, Sforza tombait aux mains de son ennemi, le roi de France Louis XII.
Conduit en France sous bonne escorte, il fut d’abord emprisonné au donjon de Lys-Saint-Georges, dans le Berry, où il serait resté cinq ans, avant d’être enfermé à Loches dans un cachot du Martelet.
Là, pour tromper l’ennui, il se fit peintre, parsemant les murs de son sombre logis d’étoiles à huit branches, dessinant son portrait, la tête coiffée d’un heaume empanaché, et signant ses oeuvres dans un français à l’orthographe approximative : « celui qui net pas contan ».
Ludovic Sforza ne resta guère dans sa prison lochoise puisqu’il mourut en 1508. Son corps aurait été inhumé dans la collégiale du château. Peu de temps après Sforza, sous le règne de François Ier, Jean de Poitiers, comte de Saint-Vallier (le père de Diane de Poitiers), compromis dans une conspiration contre le roi, fut détenu un temps à Loches. Le 16 janvier 1524, convaincu du crime de lèse-majesté, il fut condamné à avoir la tête tranchée. Le jour de l’exécution, Saint-Vallier, dont les cheveux avaient blanchi pendant la nuit précédente, fut conduit en place de Grève où, au dernier moment, on vint lui annoncer sa grâce…