Prenons de la hauteur...
Louis XVI et le comte d’Angiviller (1783-1792) : les créations de Thévenin
Louis XVI, qui avait semble-t-il décidé d’attendre la fin de la guerre d’indépendance américaine et la signature du traité de Versailles le 3 septembre 1783, acquit officiellement le duché-pairie de Rambouillet le 29 décembre 1783, “à titre particulier et sans aucune union au Domaine de la Couronne”, pour la somme totale de seize millions de livres. L’acte passé par-devant le notaire Gaspard Momet à Paris, précise que furent notamment “compris en la présente vente les bateaux que Mr le duc de Penthièvre a fait établir pour les chasses de Sa Majesté, les deux chaloupes et les bateaux qui sont dans les canaux du château et du jardin anglais, et les meubles qui sont dans les pavillons dudit jardin anglais”. Ce mobilier, ainsi que celui contenu dans le château et ses dépendances au temps de Louis XVI, est précisément connu grâce à l’inventaire des meubles du domaine de Rambouillet, le roi nomma Charles-Claude Flahaut de la Billarderie, comte d’Angiviller, gouverneur et administrateur de son nouveau domaine. celui-ci succédait à Jean-Baptiste de Bongard du Cambard, qui en fut le gouverneur de 1777 à 1783. Intime de Louis XVI, avec lequel il correspondait quotidiennement, d’Angiviller exerçait depuis le 24 août 1774, trois mois seulement après l’avènement du nouveau roi, la charge de directeur général des Bâtiments, Arts et Manufactures du roi. A Rambouillet, le nouveau gouverneur supervisera le projet de reconstruction de l’ancien château médiéval, confié à l’architecte Jean-Augustin Renard en 1784 puis abandonné par souci d’économie, ainsi que les travaux destinés à agrémenter le bourg rural de tous les édifices indispensables au prestige de la royauté. Ces chantiers furent confiés à l’architecte ordinaire du domaine de Rambouillet, Jacques-Jean Thévenin, qui y travailla de 1784 jusqu’à la révolution. Cette période d’intense activité architecturale, au cours de laquelle le château et l’aile des Communs firent l’objet de quelques réaménagements, fut notamment marquée par la construction de nouvelles écuries, de l’hôtel de la Vénerie, du bailliage et des prisons, de l’hôtel du Gouvernement (destiné à loger sur place le gouverneur du domaine et son épouse), de la ferme expérimentale (dont le plan fut “approuvé” par d’Angiviller le 21 mars 1785), de la ménagerie et de la laiterie de la reine. Cet édifice, élevé dans le but d’attirer Marie-Antoinette à Rambouillet (domaine qu’elle n’appréciait guère), fut conçu à la manière d’un temple antique par Hubert Robert à partir de 1785. Renfermant une grotte artificielle servant d’écrin à une statue en marbre d’Amalthée, la laiterie de la reine apparaissait comme une nouvelle fabrique, agrémentée d’un jardin anglais planté d’arbres exotiques.
Élevée au coeur d’un enclos à la pointe occidentale des canaux, cette fabrique à l’antique faisait écho à celles, rustiques et exotiques, qui furent édifiées dans le jardin anglo-chinois quelques années auparavant. Le peintre Hubert Robert, qui avait reçu le brevet de “dessinateur des Jardins du Roi” en 1784, travailla aux jardins de Rambouillet jusqu’en 1789. En effet, une lettre datée du 20 novembre 1784 indique que, dans ce domaine, “il y a une très-belle pièce d’eau régulière, que Sa Majesté veut conserver ; mais elle a projeté de former au tour un certain nombre de petits cabinets de verdure, tous variés, dont chacun doit être composé d’arbres fruitiers de la même espèce. J’en ai vu le plan dressé & levé par Sa Majesté très promptement ; elle l’a confié pour l’exécution à M. Robert, le peintre, qui vient d’être nommé dessinateur des jardins du roi. Cette place qu’avoit eu le fameux le Nôtre, avoit été supprimée depuis sa mort”. Quatre ans plus tard, “M. Robert, Dessinateur des jardins du Roi, n’a pu encore exécuter en grand le projet qu’il a conçu & que Sa Majesté a approuvé pour leur embellissement. Un jardin anglois, commencé par M. le Duc de Penthièvre, exige de nouvelles dispositions & un plan d’une plus vaste étendue. L’habile Artiste, chargé de ces immenses détails a déjà fait planter un verger très-considérable ; des routes d’arbres fruitiers de différentes & des meilleures espèces ; quelques massifs d’arbustes à fleurs & à fruits sur de grandes parties de gazon, des fleurs qui se mêlent à ces plantations, point de lignes droites dans les chemins, dont la sinuosité est très-simple, voilà ce qui compose ce charmant verger. Dans le jardin régulier les changements commencent à être sensibles ; on y trouve de grandes parties circulaires nouvellement plantées en acacias, d’autres alignées sur des canaux, & quelques-unes détruites pour découvrir des vues extérieures ; ce qui laisse entrevoir le grand & intéressant projet de M. Robert”. En faisant appel à Hubert Robert pour embellir ses jardins, Louis XVI contribua, à la suite du duc de Penthièvre, à faire de Rambouillet un domaine à la mode dans les dernières années de l’Ancien Régime.
Le Duc de Penthièvre (1725-1793) et sa fille Louise-Marie-Adélaïde de Bourbon, dite « Mademoiselle de Penthièvre » (1753-1821), Jean-Baptiste Charpentier, huile sur toile, vers 1768, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
Plan au sol de la chaumière aux coquillages de Rambouillet (établi par l’Agence Mester de Parajd et reproduit dans : La restauration des fabriques du domaine national de Rambouillet (ouvrage collectif), 2007, p.28).
Les jardins anglais de Rambouillet : les travaux et les hommes
Le jardin anglais de Rambouillet fut aménagé à partir de 1779 à l’ouest du domaine, au-delà des canaux, au nord du tapis vert. Contrairement à la plupart des jardins anglo-chinois aménagés en France au cours des années 1770-1780, aucun plan du jardin anglais de Rambouillet ne semble avoir été dessiné ou gravé à l’issue de son aménagement. Seuls les plans généraux du domaine, établis dès la fin du XVIIIe siècle, permettent de connaître le tracé du jardin anglais de Rambouillet plusieurs années après sa création. En outre, les cahiers de Georges-Louis Le Rouge renferment neuf planches représentant divers éléments aménagés dans ce jardin au temps de Penthièvre, tels que la « barrière de Rambouillet », dans le genre chinois, qui constituait probablement l’un des accès au jardin anglais. S’étendant encore aujourd’hui sur vingt-cinq hectares, ce jardin a en grande partie conservé le tracé sinueux des allées et des bras de la Guéville. Alimentée par une vanne de décharge de l’eau des canaux, cette revière ondoyante, dont les « flots idylliques s’écoulent lentement jusqu’à l’endroit où la petite vallée est coupée par la route de Chartres », découpe le jardin en plusieurs îles. La Guéville serpente parmi des gazons plantés de plusieurs essences d’arbres, tels que des platanes, des peupliers, des marronniers, des cyprès chauves, des aulnes, des tilleuls, des hêtres pourpres, des pins noirs ou encore des buis. Cette rivière était traversée de plusieurs ponts rustiques en bois et en pierre, dont l’aspect originel est connu grâce à plusieurs gravures de Le Rouge. L’eau de la rivière paraissait surgir d’amas de rochers disposés de manière à créer des grottes artificielles.
La présence du rocher était répandue dans les jardins anglo-chinois : nombre d’ouvrages théoriques sur les jardins leur consacrent un chapitre et soulignent les effets produits sur la sensibilité des promeneurs. Dans les jardins pittoresques, les rochers, les collines et les eaux, dont les combinaisons se prêtent à de multiples variations, jouaient un rôle essentiel dans la structuration et la différenciation des espaces. Le jardin anglais de Rambouillet, dans lequel furent élevées trois fabriques, ne dérogeait pas à la règle : alors qu’un kiosque chinois fut construit sur une grotte, une chaumière fut bâtie au coeur d’une île et un ermitage rustique érigé au sommet d’une colline boisée. Contrairement à de nombreux jardins anglo-chinois, aucune fabrique inspirée de l’Antiquité ne semble avoir été élevée à Rambouillet au temps de Penthièvre. Les deux tombeaux du parc de Rambouillet, considérés comme antique, qui figurent dans la « Description des nouveaux jardins de la France et de ses anciens châteaux », publiée par Alexandre de Laborde en 1808, ne furent mis en place qu’au début du Premier Empire par l’architecte Auguste Famin. Ainsi, dans le jardin anglais de Rambouillet, les styles rustique et exotique l’emportent sur l’antique et la ruine.
L’aménagement du jardin anglais de Rambouillet, en particulier la construction des fabriques, est précisément documenté par les comptes personnels du duc de Penthièvre : ceux-ci renferment notamment les mémoires des travaux exécutés jusqu’en 1780 dans les nombreuses résidences du duc. Aussi connaissons-nous les noms des artisans qui ont oeuvré dans le jardin anglais de Rambouillet, ainsi que la nature de leurs travaux et le montant des paiements. Ce chantier fut supervisé par l’architecte parisien Claude-Martin Goupy, contrôleur et directeur général des bâtiments du duc de Penthièvre. Architecte et entrepreneur de 1766 à 1792, Goupy travailla également pour le duc de Penthièvre à Sceaux et à Armainvilliers. À Rambouillet, les artisans travaillent sous la conduite de l’architecte et jardinier Jean-Baptiste Paindebled. L' »État des sommes dus aux dénommés ci après pour ouvrages par eux faits jusqu’à ce jour 20 May 1780, pour l’établissement du jardin anglais sur la rivière de Moncsouris à Rambouillet, apartenant à son Altesse Sérénissime Monseigneur le duc de Penthièvre, sous la conduite du Sieur Paindebled et direction du Sieur Goupy », révèle que l’aménagement du jardin anglais commença à l’été 1779 : en effet, le premier mémoire faisant état des « journées de terrassiers employés pour l’établissement du jardin anglais » est daté du 9 septembre 1779. Les ouvrages de maçonnerie relatifs à la « construction des pavillons, des murs en fondation au droit des vannes pour le rocher, différentes autres parties de murs dans la rivière pour le soutient des eaux », et de « l’acqueduc pour amener l’eau au roché », furent exécutés par la veuve Drouard.
Les travaux de charpenterie furent confiés à Blainvillain, qui réalisa notamment « la charpente relative à la construction des pavillons du jardin anglais, et platte forme et pieux dans la rivière », « les cintres du nouvel acqueduc » ou encore « la vanne du lavoir ». Le menuisier Becquet assura l’exécution « des portes, croisées, parquets, lambris, tant du pavillon anglais que des bâtiments accessoires ». Quant au serrurier Dablin, il fut chargé d’exécuter les « gros fers et ferures entièrement relatif aux différentes constructions faitte pour l’établissement du jardin anglais ». La livraison des matériaux fut assurée par Dupuis, qui perçut au total plus de 9 000 livres « pour quelques journées de terrassiers, tirages, voitures et transport de pierres, fournitures de ciment, de brouëttes, de rozeaux pour la couverture du lavoir » et pour « différents ports de graine de foin et de coquilles venant de Paris ». Les marchands Simon, Lefranc et Lhomme furent également sollicités pour fournir respectivement des « graines de foin », la « chaux employée par le sieur Paindebled » et le plâtre utilisé par « Mr Paindebled pour la décoration intérieure des susdits pavillons ». Enfin, si Goupy n’apparaît que modestement dans les comptes, notamment « pour trois port de caisses contenant des coquilles venant de la ville d’Eu », Paindebled fut considérablement payé en raison de « ses honoraires » et des « journées de compagnons et de terrassiers employés tant aux rocailles du pavillon qu’à la construction du roché, et aux terrasses, plantations et gazonage du dit jardin, fourniture et acquisitions de coquilles, d’écalle de marbre blanc ». Malheureusement, les mémoires concernant les travaux exécutés après 1780 n’étant pas conservés, nous ne sommes guère renseignés au sujet de leur achèvement, qui dut avoir lieu l’année suivante : l’exécution du décor peint des fabriques, ainsi que la réalisation des meubles que ces édifices renfermaient, ne sont donc pas documentées. nous savons toutefois que le mobilier des fabriques était placé sous la responsabilité de Pierre-François Deshayes, « concierge tapissier du château de Rambouillet » ayant à charge l’entretien ordinaire des meubles du duc de Penthièvre depuis 1757.
Rustique, champêtre et aquatique
L’architecture et le décor de la chaumière
Le duc de Penthièvre aurait fait élever la chaumière du jardin anglais de Rambouillet afin de distraire sa fille, Mademoiselle de Penthièvre, et surtout sa belle-fille, marie-Thérèse-Louise de Savoie-Carignan, dont il appréciait beaucoup la compagnie. Née à Turin en 1749, celle-ci était devenue princesse de Lamballe suite à son mariage avec Louis-Alexandre-Joseph-Stanislas de Bourbon, prince de Lamballe, en 1767. La mort de ce dernier, survenue l’année suivante, laissa la princesse de Lamballe veuve à seulement dix-huit ans. Considérée comme « un modèle de toutes les vertus, surtout de la pitié filiale envers le père de son malheureux mari, et d’affection dévouée envers la reine », cette « infortunée et malheureuse princesse » fut louée tant pour sa beauté que pour sa bonté.
De chaume et de meulière : une chaumière en apparence
Construite à partir de 1779, la chaumière de Rambouillet n’a été achevée qu’en 1781. Élevée sur une île au coeur du jardin anglais, elle était accessible grâce à deux ponts en bois et en pierre d’aspect pittoresque, qui ont été remplacés par les ponts actuels sous le Premier Empire. Il était également possible de s’y rendre en chaloupe, comme à Chantilly, où des embarcations voguaient sur la rivière serpentine du jardin anglais. À l’extérieur, l’édifice s’apparente à une maison paysanne couverte de chaume, en l’occurrence du roseau. Ses parois sont constituées de moellons de meulière dans lesquels sont incrustés des fémurs de boeuf, comme cela se faisait en Bretagne, pays de Lamballe, afin de drainer l’humidité des murs et de soutenir les espaliers. La présence d’un tel édifice au sein d’un jardin anglais ne doit pas surprendre. En effet, dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau avait mis à la mode le thème du « retour à la nature » en intéressant la noblesse à l’existence si attendrissante des paysans : cet intérêt nouveau contribua au développement d’une architecture pastorale dans les jardins des résidences royales et aristocratiques sous le règne de Louis XVI, et se manifesta par la construction d’édifices rustiques directement inspirés des maisons paysannes. Élevée au rang de fabrique, la chaumière renforçait ainsi le caractère pittoresque des jardins anglais. Les chaumières constituaient parfois de véritables hameaux, à l’image de celui conçu à Chantilly par Jean-François Leroy en 1774-1775, ou encore de ceux aménagés par Richard Mique à Bellevue pour Mesdames dès 1781 et à Trianon pour la reine entre 1783 et 1786, dans un style évoquant l’architecture vernaculaire normande.
Il en allait autrement à Rambouillet où la chaumière apparaît comme un édifice isolé, à l’instar de celle qui s’élevait dans le jardin anglais du comte d’Harcourt à Chaillot. Quoi qu’il en soit, les chaumières devaient surprendre le visiteur en jouant sur le contraste entre l’apparence modeste de la demeure et la richesse du décor intérieur, à la fois raffiné et exubérant. À Chantilly par exemple, une maison paysanne renfermait un salon dont les parois présentaient une luxueuse ordonnance de pilastres jumelés d’ordre corinthien, alternant avec des trumeaux de glace agrémentés de draperies de taffetas rose, le plafond étant peint d’un ciel où voltigeaient des Amours ; une autre maison renfermait une salle à manger dont les murs étaient peints d’un décor en trompe-l’oeil représentant une forêt touffue, les sièges imitant des troncs d’arbres. De même, à Rambouillet, l’apparence rustique campagnarde de la chaumière ne laisse guère présager la somptuosité du décor intérieur. Cet édifice se présente comme une construction cubique, renfermant un salon de plan circulaire, flanquée d’un petit appentis occupé par une garde-robe rectangulaire servant de cabinet de toilette : ces deux pièces, qui communiquent entre elles par une porte dérobée, sont chacune accessibles depuis le jardin anglais par quelques marches.
Entre grotte et nymphée : le salon circulaire
Le salon circulaire se caractérise par son ordonnance néoclassique. En effet, les murs sont scandés de huit pilastres à chapiteaux ioniques qui enserrent quatre niches en cul-de-four et la cheminée, ainsi que les deux fenêtres et la porte vitrée, dont les bois sont peints à l’imitation du bois de rose. Parquetée de chêne suivant un motif rayonnant, cette pièce est couverture d’une coupole reposant sur un entablement. Du sol au plafond, des milliers d’éléments multicolores formant de scintillants motifs décoratifs tapissent l’intégralité des parois. Ce décor polychrome est constitué d’une grande variété de coquillages (en particulier des moules, des coquilles Saint-Jacques, des ormeaux, des bigorneaux, des coques, des palourdes, des strombes ou encore des turritelles) provenant notamment de Dieppe, d’Eu, de Nogent-sur-Seine et des Antilles. Associés à de la nacre, de la pâte de verre et des éclats de pierre et de marbre, ces coquillages sont cloués et fixés dans un mortier de chaux teinté de poudre de brique rouge. Disposés méthodiquement et méticuleusement, ces éléments confèrent un haut degré de raffinement à ce décor, en soulignant les structures architecturales (tant la base des pilastres, les cannelures des fûts, la guirlande, les volutes, l’échine ornée d’oves et l’abaque des chapiteaux ioniques, que les fasces, le talon, l’architrave, la frise, les denticules, les oves, le larmier et la cimaise de l’entablement, ainsi que le cintre des niches surmonté d’une console ornée de guirlandes, ou encore la rosace et sa clé pendante au centre de la coupole) et en formant de véritables motifs. En effet, le centre de chacune des niches semble renfermer une corbeille en osier remplie de coquillages, à la manière d’une nature morte, posée sur une console murale et disposée dans un encadrement ovale simulant un tableau, dont le cadre est orné d’un ruban noué. En outre, dans le cul-de-four de chacune des niches prend place une cassolette à l’antique agrémentée de guirlandes. La cheminée n’a pas été négligée puisque son manteau est incrusté de pierres et de coquillages, et son miroir est suggéré par des morceaux de nacre, qui tapissent également la coupole.
Ce décor de rocaille, à la fois minéral et aquatique, évoque non seulement la charge de grand amiral de France qu’occupait le duc de Penthièvre, mais aussi les grottes qui, dans la mythologie gréco-romaine, étaient habitées par les nymphes. Divinités de la nature, en particulier des sources et des rivières, celles-ci disposaient en effet de sanctuaires, les nymphées : « les Grecs & les Romains appelloient ainsi certains bâtiments rustiques qui renfermoient des grottes, des bains, des fontaines, & d’autres édifices de cette nature, tels qu’on imaginoit qu’étoient les demeures des nymphes », peut-on lire dans l’Encyclopédie en 1765. Au Ier siècle av. J.-C., le poète latin Stace rapporte qu’une nymphe, compagne de Diane, afin d’échapper à Pan qui la poursuivait, se réfugia dans une grotte et se transforma en source. Dès lors, des grottes naturelles partiellement aménagées ou entièrement artificielles perpétuaient le souvenir des sanctuaires des nymphes dans les jardins des riches demeures urbaines et des villas romaines, offrant un cadre agréable pour se rafraichir des ardeurs du soleil. C’est seulement à partir du début du IIe siècle ap. J.-C. que la notion de nymphée a pu être appliquée à des monuments des eaux non explicitement consacrés aux nymphes, la signification architecturale prenant le pas sur la portée sacrale. À la Renaissance, la redécouverte des textes et des vestiges de l’Antiquité remit ces édifices au goût du jour. Ainsi le salon de la chaumière de Rambouillet s’inscrit dans la tradition des grottes ornées de coquillages (également appelées nymphées) qui se développa en Italie et en France à partir du XVIe siècle comme en témoigne notamment aujourd’hui la grotte du château de La Bâtie d’Urfé, aménagée pour Claude d’Urfé vers 1550.
En France, ce type d’édifice, généralement élevé dans un jardin et doté d’installations hydrauliques, prit son essor au cours du XVIIe siècle : si la grotte de Thélys, construite à Versailles en 1665-1666, n’est aujourd’hui plus visible, en revanche les nymphées élevés à Issy-les-Moulineaux vers 1610 pour Marguerite de France, à Gerbéviller vers 1620 pour charles-Emmanuel de Tornielle, au château de Wideville en 1635 pour Claude de Bullion, ainsi que la grotte des écuries de château de Maisons, élevée vers 1660 pour René de Longueil, ou encore le nymphée de Viry-Châtillon, construit dans le dernier quart du XVIIe siècle pour Michel Poncelet de La Rivière dans son domaine de Piédefer d’Aiguemont, permettant d’apprécier la virtuosité avec laquelle les artisans tapissèrent d’une grande variété de coquillages et de pierres colorées les parois de ces petits édifices destinés à l’agrément. La mode pour les grottes ornées de coquillages fut moins vivace en France au cours du siècle suivant. Aujourd’hui conservés, le nymphée élevé au début du XVIIIe siècle dans le parc du château d’Écharcon, ainsi que celui construit à Chatou par Jacques-Germain Soufflot de 1774 à 1777 pour Henri-Léonard Bertin, précèdent l’aménagement du salon de la chaumière de Rambouillet entre 1779 et 1781. Les parois de ce dernier étant scandées de pilastres enserrant quatre niches en cul-de-four, ce salon pourrait s’apparenter à la catégorie du nymphée à exèdre antique, dont les niches étaient dotées de canalisations. Toutefois, à la différence du modèle antique, le salon de la chaumière de Rambouillet ne présente aucune installation hydraulique et ne peut donc prétendre à la dénomination de nymphée. En revanche, cette pièce renfermait un somptueux mobilier. Outre « deux cordons de sonnette et leurs glands de soye et jay vert et blanc », qui servaient peut-être à appeler les domestiques, l’inventaire de 1787 signale la présence d' »une table ronde à l’anglaise à dessus de marbre », qui était très certainement placée au centre du salon et autour de laquelle étaient disposées « six chaises de canne peintes en blanc ». La cheminée était dotée d' »un feu à quatre branches grillé de laiton », et les deux fenêtres, ainsi que la porte vitrée, étaient agrémentées de « trois faux rideaux à l’italienne de gros de Tours vert et argent, le tout orné de franche de verroterie verte et blanche ainsi que les glands ».
Surtout, ce salon renfermait de somptueux meubles exécutés par le menuisier François-Toussaint Foliot, à savoir quatre canapés, huit chaises et un écran de cheminée, « le tout couvert de gros de Tours vert à étoile d’argent, les bois sculptés et réchampis de couleur naturelle ».
De fleurs et d’oiseaux : la garde-robe servant de cabinet de toilette
Une porte dérobée, à droite de la cheminée, permet d’accéder à une petite pièce au plafond surbaissé, dont le sol consiste en un parquet Versailles en chêne. Désignée comme « garde-robe » dans l’inventaire de 1787, cette pièce faisait office de cabinet de toilette. Éclairée par une porte vitrée et une fenêtre, elle est agrémentée d’un miroir, nécessaire à la toilette. De part et d’autre de celui-ci, deux niches dissimulées en cul-de-four abritaient autrefois des automates qui surgissaient en proposant aux dames des accessoires de toilette : il s’agissait de « deux mignonnes poupées, négrillons en miniature qui, lorsqu’on actionnait un mécanisme caché, sortaient d’un placard et présentaient aux dames la boîte à poudre et le flacon de parfums ». Fréquents dans les grottes maniéristes à partir du XVIe siècle et généralement associés à des jeux d’eau, les automates étaient dotés d’un mécanisme complexe, qui nécessitait une maintenance régulière. C’est ainsi que le 17 avril 1784, Marc-Antoine Thierry de Ville-d’Avray, commissaire général du Garde-Meuble de la Couronne, signalait que « la chaumière du jardin anglois renferme une garde robe cachée dont la mécanique aussi charmante qu’ingénieuse demande une réparation : Merquelin méchanicien seroit très capable de la réparer ». Le 28 avril suivant, Deshayes indiquait à Thierry de Ville-d’Avray avoir reçu « la visite de Mr Merquelin auquel j’ai fait voir l’objet de sa mission, il trouve que cette mécanique est toute prète à faire, mais que le temps ne lui permet pas de l’entreprendre ». L’année suivante, le 16 février 1785, Jean-Tobie Mercklein, mécanicien du Garde-Meuble de la Couronne, dut se rendre à Rambouillet « pour y réparer la mécanique du jardin anglais. Il fera un devis qu’il remettra à M. de Villeneuve qui le communiquera à M. le Commissaire général avant d’entreprendre ladite réparation ». Le 28 juin suivant, Mercklein affirmait avoir « reçu de M. Samboeuf, premier commis du Gardemeuble, la somme de soixante sic livres pour remboursement de mes frais de voyage occasionnés pour aller examiner la mechanique du jardin anglais de Rambouillet ». Cette attention portée au mécanisme des automates de la garde-robe suggère que ceux-ci étaient très probablement actionnés par les dames lors des séjours du roi et de la reine de Rambouillet.
Le décor de la garde-robe de la chaumière est beaucoup plus classique que celui du salon : en effet, les murs sont revêtus d’un lambris en bois dont les ornements peints sont caractéristiques du « genre arabesque », très en vogue sous le règne de Louis XVI. Les arabesques consistent en des ornements « en grande partie composés de plantes, d’arbustes, de branches légères & de fleurs ». Donnant lieu à des rinceaux et à des enroulements, « les arabesques présentent le plus souvent des objets agréables & partiellement vrais ; mais dont la réunion & l’agencement sont chimériques. Aussi ces représentations qui s’approchent de la nature par les formes, la couleur & le clair-obscur, s’en éloignent en se découpant sur des fonds arbitraires, en ne se montrant disposées la plupart que sur un même plan, & en n’offrant d’effet relatif à l’ensemble d’un tableau, que ce qu’en peuvent produire quelques branchages entrelassés avec art, qu’on auroit arrangés & attachés sur un mur ». Dans les compositions arabesques, « les arbrisseaux entrelassent & entremêlent quelquefois de la manière la plus agréable leurs branches, leurs feuillages & leurs fleurs. Le cep d’une jeune vigne, qu’on abandonne à elle-même, s’étend par des courbures, modèles de souplesse & de grâce, à plusieurs arbres voisins, & rattachée aux branches, se plie en guirlandes de l’un à l’autre. Un jeune enfant vient s’y suspendre & s’y balancer, en se souriant à lui-même ». En outre, les peintre d’arabesques, « qui ne doivent pas perdre de vue les formes naturelles & les accidents heureux », « peuplent encore leurs compositions d’animaux chimériques ou réels ; près des statues de Diane, de Vénus, de Flore ou d’Hébé, ils suspendent des guirlandes, des couronnes, des instruments de musique & des trophées ; ils dressent des autels, des trépieds chargés de cassolettes, d’où s’exhale la fumée des parfums. Les vases les plus élégans sont couronnés par des chapeaux de fleurs ; les feuillages entourent des bas-reliefs, des camées, des tableaux ». Les peintres d’arabesques devaient également respecter « la légèreté graduée, en partant des bases, ainsi que la symétrie & un balancement dans la disposition des objets qui satisfasse le regard ». Rehaussé d’or, le décor peint de la garde-robe se déploie tant sur le lambris d’appui, le lambris de hauteur et les parcloses, que sur les deux portes, les dessus-de-porte, le plafond en plâtre et dans les niches. Les ornements polychromes, peints au naturel sur un fond blanc, s’inscrivent dans des panneau dont les moulures sont peintes en vert d’eau et rehaussées de dorure. Représentant de nombreuses essences de fleurs (telles que des roses, des tulipes, des pivoines ou encore des oeillets) et diverses espèces d’oiseaux (en particulier des mésanges, des paons, des canards et des échassiers), ce décor, à la fois aérien et naturaliste, est en parfait accord avec le cadre champêtre et verdoyant dans lequel s’élève la chaumière. Sur le lambris d’appui, le gibier d’eau, posé ou en vol, se déploie dans un environnement agreste qui n’est pas sans évoquer le jardin anglais de Rambouillet. De même, les guirlandes et les chutes de fleurs peintes sur les parcloses et dans les niches, ainsi que les oiseaux qui virevoltent parmi les bouquets de fleurs, les festons et les tiges végétales fleuries qui s’entrelacent délicatement sur le haut-lambris, reflètent le caractère bucolique du jardin environnant. Sur le lambris de hauteur, les enroulements de rinceaux se déploient de manière symétrique sur les côtés du panneau, de part et d’autre d’un bouquet de fleurs et d’un trophée suspendu à un dais de draperie maintenu par un ruban noué. ces trophées, qui ornent les quatre principaux panneaux de la garde-robe, sont consacrés aux sciences, à la ferme, à la guerre et à la chasse au gibier d’eau. Cette dernière iconographie fait écho à une activité qui devait être très répandue dans le parc du château de Rambouillet.
Quant au plafond, au centre duquel est peint un paon dans une couronne de feuilles de laurier, il est orné de thyrses entre lesquels volettent six oiseaux.
Malgré l’absence de figures humaines ou chimériques, d’animaux fantastiques et d’accessoires à l’antique (à l’exception des cassolettes peintes sur les deux vantaux situés sous le miroir, le décor de la garde-robe de la chaumière de Rambouillet est caractéristique du « genre arabesque », qui s’est développé en Europe à la suite des découvertes archéologiques d’Herculanum (1738) et de Pompéi (1748). Cet intérêt pour l’Antiquité fut renforcé par l’étude approfondie des décors de la Renaissance, en particulier celui des Loges du Vatican, dont les « grotesques » peints par Raphaël et Giovanni da Udine entre 1516 et 1519 furent particulièrement admirés. En France, les premiers décors présentant des ornements arabesques apparurent à la fin des années 1760. L’architecte Charles-Louis Clérisseau contribua à répandre le « genre arabesque », également appelé « style pompéien », en France dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, comme en témoignent notamment ses décors pour les intérieurs parisiens de Laurent Grimod de La Reynière dans les années 1770. Clérisseau s’était formé en Italie entre 1749 et 1767, où il s’était lié d’amitié avec le graveur italien Piranèse. En 1771, il avait entrepris un séjour en Angleterre où il put voir les décors arabesques des intérieurs de Robert Adam, que Clérisseau avait rencontré en Italie. La diffusion du « genre arabesque » dans le décor intérieur parisien fut assurée par la publication de nombreux recueils d’ornements. Le décor des boiseries de la garde-robe de la chaumière de Rambouillet présente de nombreuses similitudes avec les dessins de l’ornemaniste Pierre Ranson, « un des maîtres les plus féconds et les plus charmants du règne de Louis XVI », qui « traitait surtout les fleurs décoratives et les trophées avec un goût parfait ».
Les archives concernant les travaux exécutés à Rambouillet en 1781 faisant défaut, le nom de cet artiste n’est malheureusement pas connu. Il s’agissait peut-être d’Augustin-Laurent Peyrotte, fils d’Alexis Peyrotte, célèbre peintre et ornemaniste du règne de Louis XV. Ayant reçu le brevet de « peintre et dessinateur au garde-meuble de la Couronne » en 1749, Alexis avait travaillé pour le roi aux châteaux de Versailles, de Choisy et de Fontainebleau, ainsi que pour le duc de Penthièvre à Crécy et à Sceaux. Le décor qu’il peignit en 1753-1754 dans le petit passage ovale et le « Brûle-Tout » de l’appartement du roi à Fontainebleau, représentant des fleurs, des paysages et des oiseaux multicolores dans une « poétique rocaille », n’est pas sans évoquer les ornements, traités dans le « genre arabesque », de la garde-robe de la chaumière de Rambouillet, peut-être peints par son fils aîné. Installé à Paris suite au décès de son père en 1769, Augustin-Laurent Peyrotte travailla lui aussi pour le duc de Penthièvre, au cours des années 1770. Établi rue Saint-Martin, face à la rue du Vert-Bois, son nom figure en effet à plusieurs reprises dans les comptes personnels du duc : il assura tant la peinture et la dorure des boiseries et des meubles, que la restauration et l’exécution de tableaux. Le décor d' »arabesque en coloris ornées de guirlandes, de fleurs, païsages et animaux, à chacune un trophée suspendu d’un ruban formant rosette, et dans le milieu un païsage camayeux bleu », qu’il peignit en 1778-1779 dans le boudoir de la princesse de Conti, belle-soeur du duc de Penthièvre, au château de Sceaux, révèle qu’Augustin-Laurent Peyrotte maîtrisait les compositions bucoliques traitées dans le « genre arabesque ». Dès lors, il fut peut-être sollicité par le duc de Penthièvre pour réaliser un décor semblable dans sa chaumière de Rambouillet. Quoi qu’il en soit, tant sur les boiseries de la garde-robe de la chaumière que dans les dessins de Ranson, « l’air circule entre les tiges fleuries. Il n’est pas jusqu’aux vases de fleurs qui ne se plient à ce scrupule de goût. La fleur les entoure, les enguirlande, les couronne, mais leur laisse toute leur importance ».
Le décor de la garde-robe présente de nombreuses similitudes avec les arabesques peintes au début des années 1770 dans le boudoir de l’hôtel de Seignelay à Paris : en effet, celles-ci se caractérisent également par l’absence d’accessoires antiques et de figures humaines ou chimériques. Le décor rambolitain est aussi très proche des ornements peints par Gérard Van Spaendonck vers 1780 dans le boudoir de l’hôtel parisien de Mlle Duthé, danseuse à l’opéra, autrefois situé dans le quartier de la Chaussée-d’Antin : le décor de cette pièce consistait en « une douzaine de panneaux blancs, sur lesquels la main habile de l’artiste a jeté discrètement quelques flèches, quelques carquois, puis une profusion de roses, de myosotis et de papillons ». S’inscrivant dans la lignée de certains prestigieux intérieurs parisiens décorés dans le « genre arabesque » au cours des années 1770, le décor de la garde-robe de la chaumière est contemporain de celui du pavillon du Belvédère (dit aussi pavillon du Rocher), élevé par Richard Mique dès 1778 dans le jardin anglais du Petit Trianon. Revêtues de stuc, les parois intérieures de ce pavillon octogonal furent peintes par Sébastien-François Leriche en 1780-1781 d’un décor arabesque dont les guirlandes de fleurs associées aux trophées champêtres évoquent les ornements de la chaumière.
En raison de son caractère bucolique et naturaliste, le décor de la garde-robe de la chaumière de Rambouillet, qui peut être rapproché des nombreux services à décor ornithologique produits par la manufacture de Sèvres dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, fait écho aux préoccupations de l’époque pour les sciences naturelles, en particulier la botanique et l’ornithologie.
Faisant office de cabinet de toilette, la garde-robe de la chaumière, dont la porte vitrée et la fenêtre étaient garnies en 1787 de « quatre parties de rideaux de mousseline brodée de deux aunes (2,38m) de haut sur un lé de large », était meublée de sièges de commodité consistant en « un bidet et une chaise d’affaire garni de leur housse en bazin et mousseline ». Elle renfermait surtout « une chaise couverte de même gros de Tours, le bois sculpté et réchampi de même » que le mobilier du salon exécuté par François-Toussaint Foliot.