Le château de Duras a vraiment été une très belle découverte. Un travail considérable de restauration et d’archéologie du bâti a été mené ces dernières décennies par les habitants et la commune, et les projets pour l’avenir ne manquent pas. Une scénographie importante et de qualité est présente tout au long de la visite, et le château regorge de surprises que je vous laisse découvrir sur place.

Un grand merci à la municipalité et aux élus pour leur accueil ainsi que pour l’intérêt porté à notre travail et à nos projets.

Le programme architectural du château médiéval

Plan du rez-de-chaussée (Hadès 2013)

  1. Ancienne basse-cour du château médiéval, cour d’honneur du château moderne
  2. Cour haute

Ni l’analyse archéologique du bâti ni les sondages réalisés en 1990 dans la cour intérieure du château ne révélèrent l’existence de vestiges antérieurs au XIIIe siècle. Il faut donc supposer que le premier château était édifié ailleurs, l’extrémité de l’éperon – l’actuelle plate-forme nord-ouest – étant une situation possible, d’autant qu’une prospection électrique y révéla la présence effective de bâti.

Malgré les transformations importantes opérées au XVIIe siècle, l’édifice actuel conserve une large part d’une forteresse de la fin du XIIIe siècle :  six tours et la base de trois courtines. Ces vestiges sont suffisants pour en comprendre le parti architectural, même si la destruction des logis médiévaux nous prive de nombre de précisions quant à l’organisation interne, la fonction des pièces et leur décor. L’iconographie ancienne ne nous est d’aucune aide pour cette période, l’enluminure qui accompagne les chroniques de Froissart étant totalement fantaisiste.

La topographie naturelle du site en forme d’éperon ne semble pas avoir été un handicap pour les bâtisseurs médiévaux, puisqu’une assiette suffisamment large a pu être aménagée, permettant l’adoption d’un plan régulier orthogonal, caractéristique des châteaux de plaine. En cela, Duras s’oppose à nombre de châteaux de hauteur qui doivent s’adapter aux contraintes imposées par un relief escarpé ou tortueux. À l’exception du cul de basse-fosse de la tour-beffroi au sud, l’intérieur de l’édifice était plein jusqu’au niveau du rez-de-chaussée avant le creusement des sous-sols à l’époque moderne. Son plan présente une organisation rationnelle en deux pôles : le château proprement dit au nord-ouest et la basse-cour qui le précède au sud-est. Ce type de plan quadrangulaire avec tours d’angles et logis organisés le long des côtés du rectangle se généralise sous Philippe-Auguste à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, à partir du Louvre (bâti dans les années 1190) et de Dourdan (dans les années 1220). Mais son principe se diffuse assez tardivement dans le Midi : parmi d’autres, on peut citer Najac en Aveyron au milieu du XIIIe siècle et Nègrepelisse en Tarn-et-Garonne à la fin XIIIe-début XIVe siècle et bien sûr Villandraut, Budos et Roquetaillade en Gironde. La construction du château de Duras est homogène, sans hiatus ni intégration d’un bâti plus ancien, ce qui caractérise un « château neuf ». Le chemisage du pied de la tour sud, limité à la hauteur de deux niveaux, est un type de renfort partiel très rare dans les constructions médiévales. Il pourrait s’agir d’un repentir en cours de chantier.

Au titre des défenses, la basse-cour fait fonction de barbacane pour la protection de l’ensemble résidentiel seigneurial, ce qui est rare dans l’architecture militaire du bas Moyen Âge. En revanche, l’entrée composée d’une tour-porte carrée à herse et assommoir, flanquée de tours aux angles, est un dispositif présent dans plusieurs exemples de la région aux XIIIe et XIVe siècles. Le front du château de Budos en Gironde est une bonne illustration de ce que pouvait être celui de Duras. La vocation défensive du château est aussi renforcée par les équipements traditionnels que sont les fossés, les murs épais, les courtines hautes, le crénelage, les archères adoptant la forme de meurtrières cruciformes à étrier.  Les escaliers en vis placés dans des massifs de maçonnerie plus épais, à la jonction entre tours et courtines, ont permis de ne pas affaiblir les défenses. À Duras, le voûtement des pièces est plus fréquent que dans la plupart des grands châteaux méridionaux de l’époque. Il participe aussi à la défense en renforçant la maçonnerie contre les projectiles venus du dessus, en limitant les incendies et, enfin, en permettant de supporter une terrasse pour l’installation d’engins de défense.

À Duras, contrairement à la plupart des forteresses médiévales, la tour orientale, qui a tout d’une tour maîtresse (importance, plan en fer à cheval et grandes pièces habitables), ne semble pas avoir eu vocation de refuge défensif. Implantée sur un angle non exposé du château et non du côté le plus vulnérable, elle ne contrôle pas la défense du château, rôle ici dévolu à la tour sud. La profonde transformation de cette tour ne permet plus toutefois d’en comprendre les fonctions. Suivant les canons de l’architecture palatiale ou des grands châteaux, il est fort probable que la aula ou salle – grande pièce d’apparat, de justice et manifeste du pouvoir – communiquait directement avec la pièce du rez-de-chaussée de cette tour maîtresse. Enfin, les tours nord et ouest, avec leurs pièces octogonales, offrent à la fois un équipement défensif, une véritable habitabilité et un certain luxe, ce qui les désignent, au moins pour celles du premier étage, comme les chambres du seigneur, de sa famille et de ses proches – à l’image de la chambre du pape Clément V qui se trouvait dans la tour ouest du château de Villandraut. La cuisine médiévale, souvent liée à la aula, ne peut plus être localisée à Duras.

Au bilan, Duras présente les conditions nécessaires et suffisantes à la mise en oeuvre d’une architecture de son temps, puisée dans les principes en cours du milieu du XIIIe siècle au milieu du XIVe siècle. Elle est le reflet de son commanditaire : un puissant seigneur placé à la tête d’un grand territoire, dont l’importance stratégique dans les relations anglo-françaises est indéniable. C’est durant cette période qu’ont été bâtis ou rebâtis en Gascogne un certain nombre de grands châteaux suivant des principes nouveaux venus d’Angleterre ou initiés par le roi de France. Malgré tout, le château de Duras est de taille moyenne par rapport aux forteresses de son temps et nettement inférieure aux châteaux édifiés par les Got au début du XIVe siècle (voir la rubrique des châteaux Clémentins).

Par ses rapports avec l’architecture clémentine, mais aussi par ses différences, le château de Duras offre un compromis entre tradition et modernité. Malgré leur rareté et leur sobriété, les décors peints et sculptés qui nous sont parvenus – dont les clefs à décor feuillagé naturaliste des voûtes d’ogives des tours nord et ouest – et la présence de vestiges de baies géminées de qualité indiquent qu’il existait une hiérarchie dans le statut des pièces. À côté de celles à croisées d’ogives, éclairées par une belle baie géminée des tours nord et ouest, on trouve les deux pièces superposées des premier et deuxième étages de la tour sud d’un dépouillement extrême. Cette remarque était très probablement applicable à l’ensemble des pièces du château, marquant ainsi la différence entre le logis et les pièces d’apparat du seigneur et les lieux du commun. Enfin, aucun revêtement de sol médiéval n’est conservé.

La date de construction du château de Duras et le nom de son commanditaire ne peuvent être précisés, mais une utilisation du château par les Got dès 1308, puis en 1314, pour y conserver deux importants trésors peut être un indice. Un tel dépôt n’a pu se faire que dans un édifice sûr et puissant. Or, la plus ancienne mention d’un Got seigneur de Duras remontant au début du XIVe siècle, il est peu probable qu’ils aient pu édifier une forteresse de cette dimension en si peu de temps. Il faudrait donc attribuer sa construction aux Bouville dans les dernières décennies du XIIIe siècle.

Durant les deux siècles qui suivirent, le château ne fut probablement pas modifié, tout au moins de façon suffisamment importante pour que nous en ayons conservé des traces dans le bâti.

Restitution axonométrique schématique du château médiéval de Duras (Hadès 2013)

De ce puits on alimentait les abreuvoirs et on remplissait les seaux, par les ouvertures que l’on aperçoit encore dans la voûte.

D’une profondeur voisine de trente mètres, il se situe au-dessous des escaliers de la cour d’honneur. Creusé au Moyen Âge, il alimentait les éviers du sous-sol et les abreuvoirs de surface.

On peut y observer des « trous de boulin » qui accueillaient les éléments des échafaudages requis pour la construction et l’empierrement des parois du puits.

Dans la voûte, des bouches arrondies donnant directement accès à la cour d’honneur permettaient de faire passer des seaux.

Des Got aux Durfort : une succession conflictuelle


L’empire foncier attribué aux Got – qui s’étendait du Bazadais au Périgord, de l’Agenais à la Lomagne, et jusque dans le Comtat Venaissin, en Provence – traduit la puissance de cette famille. Si le plus ancien membre cité dans les textes semble remonter au début du XIIe siècle, le plus connu est incontestablement Bertrand de Got. D’abord évêque de Saint-Bertrand de Comminges en 1295, il poursuivit sa carrière ecclésiastique en tant qu’archevêque de Bordeaux en 1299, avant d’être élu au siège pontifical en 1305 sous le nom de Clément V. Il devint ainsi le premier des papes avignonnais. Il est célèbre aussi pour avoir soutenu le roi Philippe le Bel lors du procès des Templiers. D’autres membres de la famille connurent une carrière religieuse remarquable : son frère, Bérard de Got, fut nommé archevêque de Lyon en 1289 avant d’être élevé à la dignité de cardinal par le pape Boniface VIII ; leur neveu, Raymond de Got, devint également cardinal. Un autre frère du pape, Gaillard, aurait été le premier Got à posséder la seigneurie de Duras.

Le Pape Clément V et Philippe Le Bel

Gaillard de Got épousa Alpaïs du Bugat, veuve d’Arnaud de Durfort, duquel elle avait eu deux fils : Raimond-Bernard et Arnaud II de Durfort. Lorsque Gaillard décéda en 1305, il légua Duras à son neveu Bertrand, fils de son frère aîné Arnaud-Garcie de Got. D’après une clause du testament, dans le cas où Bertrand décéderait sans postérité mâle, les biens de Gaillard devaient revenir à ses beaux-fils. L’alliance entre les deux familles était renforcée par d’autres mariages. La soeur de Bertrand, Marquise Got, épousa Arnaud II de Durfort en 1306. De leur union naît Aymerie de Durfort. Une autre des soeurs de Bertrand, Régine, se maria avec Bernard de Durfort, seigneur de Flamarens en 1289. Dans son testament, Bertrand désigna comme héritière sa fille, Régine de Got, qui avait épousé Jean Ier comte d’Armagnac. Lorsque Bertrand de Got décéda en 1324, c’est donc Régine qui devint propriétaire de Duras. Elle décéda à son tour l’année suivante. Un conflit successoral opposa alors la maison d’Armagnac aux deux branches des Durfort alliées aux Got.

Le testament de Bertrand est assez complexe. Il fait de sa fille, la comtesse d’Armagnac, son héritière universelle. D’après une clause, si celle-ci meurt sans héritier, les biens devaient être légués aux enfants de ses soeurs : le fils de Marquise, Aymeric de Durfort, devait recevoir Duras, Puyguilhem et Allemans ; et le fils de Régine, Jean de Durfort, les vicomtés de Lomagne et Auvillar. Mais la comtesse d’Armagnac signa également un testament dans lequel elle légua les biens qu’elle avait eu de son père à son mari. Une clause précise que, si ce dernier mourait à son tour sans postérité, les biens issus de Bertrand de Got seraient légués à différentes personnes dont Aymeric de Durfort. Au décès de sa femme, le comte d’Armagnac réclama donc l’héritage en accord avec le testament de Régine. Les Durfort, eux, le réclamèrent au nom du testament de Bertrand de Got.

La situation fut arbitrée en 1331 par le roi de France, Philippe le Bel, qui attribua à Aymeric de Durfort Duras, Montgaillard et d’autres lieux, et à Jean de Durfort de Flamarens et au comte d’Armagnac la vicomté de Lomagne et d’Auvillars. À partir de cette date, les Durfort furent, sans contestation possible, les seigneurs de Duras.

Duras : son histoire

1137 : la fondation du castelnau

Duras voit le jour en 1137, l’année même du mariage du roi de France Louis VII avec Aliénor, duchesse d’Aquitaine. Guillaume Amanieu, vicomte de Besaume, de Benauges et de Gabardan, décide la construction d’un castrum, un petit château, sur la colline dominant le bourg de Saint-Eyrard, situé dans la vallée, dont le prieuré relevait de l’abbaye bénédictine de La Réole.

La fondation de Duras s’inscrit dans le mouvement général des castelnaux. En effet, en Aquitaine, à partir de 1075, ce phénomène connu sous le nom d’incastellamento traduit une nouvelle forme d’occupation du sol, un regroupement de la population en augmentation et de nouvelles relations économiques et sociales entre le seigneur et ses tenanciers. La vue dégagée sur les quatre points cardinaux, le contrôle de deux vallées, la surveillance des vignes, des principales routes et des ponts sur le Dropt, rendaient le site particulièrement remarquable. Le premier château de Duras devait être un petit fort construit en bois et en pierre, entouré de douves. S’agissait-il d’une motte castrale ? Les différents plans de l’époque moderne montrent la structure du castelnau. Le château se situe à l’ouest d’un promontoire au talus assez abrupt. La ville se greffe sur ce noyau existant, retranchée derrière ses murailles depuis au moins le milieu du XIIIe siècle.

Les renseignements sur les premiers seigneurs de Duras sont peu nombreux. Jusqu’aux années 1290, le château est la propriété de la famille de Bouville, alliée à celle de Guillaume Amanieu, dont les immenses possessions s’étendaient entre Garonne et Dordogne. En 1190, Bernard de Bouville part à la Croisade avec Richard Coeur de Lion. En 1252, Arnaud de Bouville mène une farouche résistance contre l’énergique gouverneur d’Aquitaine Simon de Montfort, comte de Leicester et beau-frère du roi d’Angleterre Henri III.

1306 : une forteresse financée par un pape

Après l’anéantissement des Bouville par Henri III vers la fin du XIIIe siècle, pour se venger d’une rébellion féodale en Aquitaine, la terre de Duras passe entre les mains de la famille de Got, originaire du Bazadais. En 1305, Gaillard de Got est seigneur de Duras. Il est le frère de Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, élu pape la même année sous le nom de Clément V, à qui on doit le transfert de la Papauté en Avignon en 1308 et la suppression de l’ordre du Temple. Puisant dans les revenus de l’église et comblant de faveurs les membres de sa famille, Clément V aurait financé la construction du deuxième château qui devient une redoutable forteresse de 100 mètres de long sur 30 de large, flanquée de huit tours massives. Cependant, au gré des vicissitudes familiales, la nièce de Clément V, Marquèse de Got, épouse en 1306 Arnaud II de Durfort, fils d’Arnaud 1er et d’Alpaïs du Bugat, coseigneur de Clermont-Dessus, au nord d’Agen, et lui apporte en dot la terre de Duras. C’est seulement à partir de 1325, à la suite de longues querelles d’héritages, que les Durfort entrent réellement en sa possession.

En ces temps qui s’annoncent difficiles, les Durfort-Lacour bénéficient d’une incroyable fortune. Depuis le XIIIe siècle, avec le renouveau du commerce, les revenus du péage de Clermont-Dessus sur la Garonne sont certes lucratifs. Des mariages bien négociés et de fructueux héritages consolident les positions de cette famille. Entre Quercy et Gironde, elle possède de nombreuses seigneuries et plusieurs forteresses dont Duras et Villandraut. Il s’agit d’un atout capital lorsque éclate la guerre de Cent Ans. Comme beaucoup d’autres seigneurs, les Durfort-Lacour, devenus les Durfort-Duras, seront bientôt courtisés par les rois de France et d’Angleterre.

Siège de Duras (1377) (cliché Bibliothèque Nationale)

1337-1453 : « Si ell dur, yo fort » : une devise à défendre et un château mis à l’épreuve

À la différence des autres branches de la famille des Durfort, les Durfort-Duras, aînés par le sang, vont se montrer plutôt fidèles à la cause anglaise pendant la guerre de Cent Ans (1337-1453). Toutes leurs possessions sont en position de frontière entre les domaines français et anglais. Ils peuvent donc les monnayer, se donnant au plus offrant. Le roi de France promet beaucoup mais l’argent n’arrive pas forcément, alors que le roi d’Angleterre donne les revenus de certaines bastides de la région à ceux qui le servent. Un temps du côté des Anglais, Gaillard Ier de Durfort (1309-1356), d’abord chanoine et universitaire puis redoutable homme de guerre, passe du côté des Français en 1350. Puis, déçu des compensations du roi de France, il revient à l’Anglais en 1356, avant de mourir peut-être à la bataille de Poitiers. Si les autres branches des Durfort connaissent des destins plus ou moins heureux, la guerre de Cent Ans, paradoxalement, permet aux Durfort-Duras de continuer leur ascension ou plutôt leur insertion dans la noblesse du Sud-Ouest de la France, aux côtés des Albret ou des comtes de Foix pendant les périodes de trêve.

Mais la guerre reprend vite le dessus. Le chroniqueur Froissard raconte l’épisode du terrible siège de Duras par Du Guesclin et le duc d’Anjou, en octobre 1377. Le siège dure six jours. La ville est pillée, ses habitants sont massacrés. L’ordre d’incendier et de raser le château n’a pas été accompli. D’abord confisqué, puis rendu à Gaillard II, fils de Gaillard Ier, par le roi de France Charles VI, en 1424, le château de Duras subit un nouvel assaut, anglais, celui d’Arnaud de Bourdeilles sénéchal du Périgord. Après la bataille de Castillon, en 1453, Gaillard IV (1444-1481), petit-fils de Gaillard II, condamné par contumace en 1462, voit ses biens confisqués à nouveau par le roi de France. Duras appartient à des propriétaires successifs : Antoine de Castelnau, grand sénéchal de Guyenne, Jean de Ségur et Antoine de Monfaucon. Pendant ce temps, Gaillard IV s’exile et vit d’expédients en Angleterre et en Bourgogne où il devient chambellan de Charles le Téméraire. En 1476, Louis XI le gracie et lui permet, enfin, de regagner l’Aquitaine et de retrouver ses biens.

Nouveaux horizons politiques et religieux

En cette fin du XVe siècle, le pays de Duras est ravagé, comme une grande partie de l’Aquitaine : villages abandonnés, terres en friche, commerce désorganisé. L’objectif qui anime les seigneurs est de remettre en valeur les terres, de repeupler les campagnes. Cependant, pour attirer de nouvelles populations, ils ont dû concéder des baux favorisant les tenanciers. De nombreuses familles venues du Poitou, du Béarn, du Quercy, d’Auvergne, voire de la Savoie, s’installent dans le Duraquois et l’Entre-deux-Mers : on les surnomme les Gavaches (mot gascon qui désigne péjorativement l’étranger). Avec eux, ils amènent leurs traditions, leurs dialectes et leur savoir-faire en matière agricole.

Habitués aux voyages entre l’Aquitaine et l’Angleterre pendant la guerre de Cent-Ans, les Durfort continuent le périple au service du roi de France qui se bat maintenant en Italie. En 1481, Jean de Durfort, fils de Gaillard IV et maire de Bordeaux, participe à la conquête de Milan aux côtés de Louis XII. Son fils François, quant à lui, sert vaillamment François Ier mais meurt deux jours avant le désastre de Pavie en 1525. Il avait notamment obtenu du roi de France le privilège de tenir des foires et des marchés dans ses seigneuries. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, en professionnels de la guerre et de la stratégie militaire, formés par la science de Turenne, ils sont sur tous les champs de bataille européens. En combattant pour les rois de France, on aurait pu penser qu’ils leur restent fidèles, mais ils embrassent très tôt le protestantisme.

Un nouveau siècle, une nouvelle religion

À la tête de son armée huguenote de la Basse-Guyenne, Symphorien de Durfort sillonne l’Agenais et le Bazadais, incendie, pille les églises et massacre les catholiques récalcitrants. Il se heurte plusieurs fois à Blaise de Monluc, le « boucher du roi », envoyé par Charles IX et Catherine de Médicis pour éliminer les protestants du Sud-Ouest. La Réforme s’était solidement implantée dans la région et de nombreux temples y avaient été érigés. Pour quelques mois, le château de Duras devient le centre névralgique de la stratégie protestante en accueillant Jeanne d’Albret, reine de Navarre et mère du futur Henri IV. Entre temps, l’église paroissiale est incendiée par les huguenots. Le 2 août 1562, après avoir pris Monségur, Monluc décide de faire le siège de Duras, d’abord de la ville puis du château. Mais les habitants capitulent sans opposer de résistance et le château est trouvé vide, tous ses hôtes ayant fui. Symphorien meurt l’année suivante pendant le siège d’Orléans.

Pour autant, les Durfort n’attendent pas la révocation de l’Édit de Nantes pour abjurer le protestantisme, car ils savent désormais que leur destin est entre les mains du Roi Très Chrétien. Seule Élisabeth de la Tour d’Auvergne (1606-1685), épouse de Guy-Aldonce de Durfort (1605-1665), marquis de Duras, soeur du Grand Turenne et mère de douze enfants, meurt quelques semaines après la Révocation, sans avoir renié sa foi protestante.

Après les ravages de la guerre de Cent Ans, ceux des guerres de Religion et de la Fronde, le pays de Duras a du mal à se reconstruire économiquement, sans compter les révoltes fiscales et les épidémies qui ajoutent leur lot de victimes. Les dernières familles gavaches, fuyant les troubles du Poitou, se fixent dans la région, espérant trouver « une terre promise ». Mais à peine remis de la peste des années 1629-1631, les paysans excédés se rassemblent, s’arment, dénoncent le poids des redevances, trouvent des gentilshommes pour les commander comme le sieur de Madaillan. En 1636-1637, la révolte des Croquants n’en finit pas de secouer les campagnes du Haut-Agenais et du Périgord méridional. Guy-Aldonce de Durfort est appelé comme médiateur entre les chefs des insurgés et le duc de La Valette, à Bergerac, après le massacre des Croquants dans la ville de La Sauvetat-du-Dropt, le Ier juin 1637. Les derniers paysans se dispersent en échange de la vie sauve.

Avant de revenir au catholicisme, les Durfort, à leur tour, se trouvent plongés au coeur de la Fronde quand le prince de Condé soulève la Guyenne et le Poitou, en 1651, contre le duc d’Épernon, serviteur du roi. C’est véritablement le dernier fait d’éclat de leur indépendance face à la monarchie française.

En 1657, le jeune Louis XIV donne son pardon à l’ancien frondeur Jacques-Henri Ier (1625-1704). Il a besoin de savoir autour de lui ces nobles provinciaux quelque peu remuants et comploteurs. Tel sera l’objectif de la « prison dorée » de Versailles et des charges dispensées à la cour. Élevé au marquisat en 1609, Duras devient un duché en 1689, puis duché-pairie en 1755. À partir du règne personnel de Louis XIV, les ducs de Duras sont tout à la fois militaires, administrateurs, diplomates et courtisans du « premier cercle » du roi. Jacques-Henri Ier a suivi son oncle Turenne sur les champs de bataille de la guerre de Trente Ans. En 1672, il devient capitaine des gardes du corps du roi, puis maréchal de France en 1675, gouverneur militaire de la Franche-Comté. Les carrières des autres maréchaux au XVIIIe siècle, Jean-Baptiste (1684-1770) et Emmanuel-Félicité (1715-1789), sont quasiment identiques. Ils participent aux guerres de Succession d’Espagne et d’Autriche, conservent le gouvernement de Franche-Comté auquel s’ajoutent ceux de Bretagne et du Château-Trompette à Bordeaux. Emmanuel-Félicité se voit attribuer l’ambassade de France à Madrid pour s’assurer des liens de solidité entre les Bourbons avant le début de la guerre de Sept ans. Son art de la négociation, comme sa passion pour les idées nouvelles, lui a valu de devenir membre de l’Académie française. Il écrit dans l’Encyclopédie des articles sur la science militaire. Ne s’adonne-t-il pas aussi aux idées physiocratiques en obtenant une pépinière royale de mûriers à Duras ? À la cour, il est premier gentilhomme de la chambre du Roi, grand maître des cérémonies, directeur de la Comédie française et de la Comédie italienne. Les Durfort-Duras, qui ont la confiance pleine et entière du souverain, ont un tabouret à sa table de jeu, peuvent « rouler carrosse » dans la cour du château de Versailles, tout en respectant l’obligation de tenir leur rang et d’avoir un train de vie fastueux qu’alimente leur immense fortune.

Cette famille se trouve à la tête de revenus considérables amassés au cours des siècles, provenant de politiques matrimoniales bien négociées, de multiples seigneuries aux quatre coins du royaume, de nombreuses charges civiles et militaires, sans oublier celles obtenues à la cour. Emmanuel-Félicité est celui qui a su diversifier le patrimoine familial. En effet, en 1736, il épouse en deuxièmes noces la fille unique du marquis de Coëtquen, Louise-Françoise, qui lui apporte en dot le marquisat de Coëtquen et le comté de Combourg, en Bretagne. Le 14 avril 1765, par une donation entre vifs, il hérite de l’ensemble des biens de sa famille, qui se composent entre autres d’un hôtel particulier à Versailles, d’un autre à Paris, rue d’Aguesseau, de la principauté de Bournonville et de nombreuses seigneuries. En l’occurrence, celle de Duras couvrait plus de sept mille hectares pour un revenu évalué à 30 000 livres en 1789. Il possédait, outre le château et ses dépendances, six métairies, trois moulins à eau, des terres et des bois disséminés dans plusieurs paroisses. Quelques années auparavant, en 1761, il avait vendu une partie de la dot de son épouse, à savoir le comté de Combourg, pour 370 000 livres, au père de Chateaubriand, dans le but d’acheter trois seigneuries viticoles dans le médoc (Listrac, Cussac et Castelnau-de-Médoc). Enfin, sa seule charge d’ambassadeur en Espagne de 1752 à 1755 lui a rapporté 200 000 livres par an. Le XVIIIe siècle correspond donc à l’apogée des Durfort.

Leur vie se déroule loin du Sud-Ouest ; pour autant, Duras n’est pas oublié. À partir de 1680 et jusqu’aux années 1750, le vieux château féodal perd son caractère austère et défensif pour devenir un château de plaisance des plus accueillants. Le duc de Saint-Simon, qui a épousé la nièce de Jacques-Henri Ier, Marie-Gabrielle de Lorges, parle dans ses célèbres Mémoires des « beautés » que le duc de Duras a fait faire toute sa vie sans jamais les avoir vues. À partir du milieu du XVIIIe siècle, on constate qu’il n’y a plus de grands travaux d’embellissement. L’argent part ailleurs, à Paris et à Versailles.

Emmanuel-Félicité meurt à Paris le 6 septembre 1789. Quelques semaines auparavant, son fils Emmanuel-Céleste (1741-1800), marié à Henriette de Noailles, nièce du marquis de La Fayette, se trouve à Duras au mois de juillet. L’annonce de la prise de la Bastille est connue vers le 20. Dix jours plus tard, la Grande Peur venue de Sainte-Foy-la-Grande parcourt les villages et les campagnes. Les Duraquois cherchent des armes, se rendent au château mais n’en trouvent pas. Le duc est parti dans ses terres du Médoc. Il sera nommé généralissime des Gardes nationales de la Gironde jusqu’à son départ pour l’Angleterre en 1791 où il meurt.

Que faire des biens de l’émigré Durfort ? La Révolution n’épargne pas Duras. Comme partout ailleurs, il faut faire allégeance à la Nation, à la Loi, à la République. Avec quelques années de retard, les Duraquois prennent d’assaut le château lors de la foire de la Saint-Martin, les 11 et 12 novembre 1792. Le château est pillé : meubles, tableaux, archives sont vendus ou brûlés en place publique. À partir de 1793, le château, les métairies, les moulins et les terres sont déclarés bien nationaux et divisés en petits lots. Les jardins à la française deviennent des potagers. On aurait pu en rester là, mais le 20 novembre 1793, la Convention départementale exige que « la commune de Duras doit se hâter de faire disparaître tous les signes extérieurs de féodalité qui sont encore empreints sur le château de Duras ». Les tours doivent être ramenées au niveau des combles du logis. Les Duraquois n’en eurent pas vu la nécessité si le conventionnel Lakanal n’était venu les relancer sur un vieux projet de canalisation du Dropt, réclamé depuis au moins le début du XVIIIe siècle. Les pierres recueillies serviraient à la construction des écluses ; faute d’argent et peut-être aussi de volonté, la canalisation n’a jamais été réalisée. Seule la tour sud est épargnée ; on y a placé un télégraphe pour relier Duras à la poste de La Réole. En 1795, les dépendances, c’est-à-dire les écuries, l’orangerie et la chapelle Sainte-Madeleine, sont détruites sur ordre du révolutionnaire Ysabeau, et l’avant-cour du château devient une place ombragée.

Pendant la Révolution, le dernier duc de Duras, Amédée-Bretagne-Malo (1771-1838), vit à Londres auprès de son père. Il épouse en 1798 Claire de Kersaint (1778-1828), romancière et amie de Chateaubriand. Deux filles naissent de cette union. Revenu d’exil sous Napoléon Ier, il rachète le 20 juin 1807 le château pour 4575 francs-or, peut-être pour ressusciter les fastes d’antan ou pour prendre sa revanche sur l’histoire. Néanmoins, c’est dans son château d’Ussé, en Indre-et-Loire, plus proche de Paris, qu’il réside. À sa mort, les liens qui unissaient sa famille à Duras se trouvaient défaits après plus de cinq siècles d’histoire.

Jusqu’en 1883, le château est la propriété des comtes de Chastellux, descendants des Durfort par les femmes, qui le vendent au chanoine Aureille, curé de Duras. Ce dernier nourrit l’idée audacieuse de transformer la salle d’honneur en église paroissiale et les corps de logis en presbytère et en écoles. Du projet, seule une crypte, aujourd’hui disparue, greffée sur le flanc nord, avait été construite. Entre 1900 et 1929, il est possédé en copropriété par l’abbé Laplagne, curé de Moirax, Jean-Jules Éloi Sounalet, curé de Saint-Pierre de Lévignac et Jeanne-Élisabeth Berbineau. En 1929, il est vendu à un riche Américain d’origine tchèque, Victor Hugo Duras, juriste et diplomate qui prétendait être apparenté aux Durfort ; il meurt en 1943 sans avoir entretenu le château. Après une longue et difficile succession, les Domaines le vendent aux enchères dès 1961 à des sociétés parisiennes qui font faillite les unes après les autres pendant que l’édifice menace ruine. Toutes les toitures ont pratiquement disparu et, indignés par l’inaction des propriétaires successifs et le délabrement du bâtiment, quelques Duraquois constituent une association en vue de sa réhabilitation. Grâce à leurs efforts, la commune de Duras l’achète aux enchères en mars 1969, pour 49 000 nouveaux francs. Classé monument historique en 1970, il a fait l’objet de nombreuses restaurations tant intérieures qu’extérieures, devenant un des pôles touristiques majeurs d’Aquitaine.

Anonyme. Portrait de Jacques-Henri de Durfort Musée du Louvre.

Le plus célèbre des Durfort


Jacques-Henri de Durfort (1625-1704)

Jacques-Henri de Durfort, né à Duras le 9 octobre 1625, conduisit la maison de Durfort au sommet de sa gloire. Du vivant de son père, il fit avec son frère, Guy-Aldonce, le futur duc de Lorges, ses premières armes sous les ordres de son oncle, le maréchal de Turenne, d’abord avec le titre de capitaine puis de maître de camp. En 1672, il devint capitaine des gardes du corps du Roi, charge ô combien prestigieuse comme le rappelle Madame de Sévigné dans une lettre envoyée à Mme de Grignan :

« Cette place est d’une telle beauté, par la confiance qu’elle marque et par l’honneur d’être proche de Sa Majesté, qu’elle n’a point de prix. M. de Duras, pendant son quartier, suivra le roi à l’armée, et commandera à toute la maison de Sa Majesté ».

De plus en plus en faveur auprès du Roi, Jacques-Henri de Durfort fut fait lieutenant général, puis maréchal de France en 1675, avant d’être reçu chevalier des ordres du roi en 1688. Cette ascension spectaculaire aboutit l’année suivante à l’érection de la terre de Duras en duché.

Saint-Simon, dans ses Mémoires, lui consacre plusieurs pages, presque toutes – ce qui est suffisamment rare chez lui pour le souligner – très élogieuses, vantant ses qualités militaires, son heureux caractère, son désintéressement et son grand talent de cavalier, tout en énumérant les éminents services rendus à la couronne.

« M. de Duras était sur le pied d’une considération et d’une liberté de dire au Roi tout ce qu’il lui plaisoit. C’étoit un grand homme maigre, d’un visage majestueux et d’une taille parfaite, le maître de tous en sa jeunesse, et longtemps depuis, dans tous les exercices, de l’esprit beaucoup, et un esprit libre et à traits perçants, dont il ne se refusa jamais aucun ; vif, mais poli, et avec une considération, choix et dignité ; magnifique en table et en équipages ; beaucoup de hauteur sans aucune bassesse, même sans complaisance ; toujours en garde contre les favoris et les ministres, toujours tirant sur eux, et toujours les faisant compter avec lui. Avec ces qualités, je n’ai jamais compris comment il a pu faire une si grande fortune. Jusqu’aux princes de sang et aux filles du Roi, il ne contraignoit aucun de ses dits, et le Roi-même, et parlant à lui, en éprouva plus d’une fois, et devant tout le monde, puis rioit et regardoit la compagnie qui baissoit les yeux ».

Saint-Simon évoque également le soin accordé par Jacques-Henri de Durfort au château de Duras, avec toutes « les beautés qu’il y avoit fait faire toute sa vie avec attache, sans jamais les avoir été voir ».

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