Le château en 3D ?
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C’est sur ces falaises de calcaire abruptes, ventre tendre et plat des Causses que notre regard accroche cette curieuse forme rocheuse. Dressé en bordure du Causse de Sauveterre, un immense monolithe de calcaire (bajocien inférieur) joue les funambules, en équilibre sur la pointe effilée du puech de Fontaneilles, quelques 300m au-dessus des eaux du Tarn.
Sa forme, admirablement sculptée depuis des millions d’années par l’eau et le vent, est fine, élancée et affutée comme la proue d’un gigantesque navire. Mais sa stature lourde et massive lui impose l’immobilité. Il reste là à veiller sur la vallée, invulnérable et fier… tel un sphinx, la tête ceinte d’une couronne de pierre.
Car bien évidemment, ce site extraordinaire avait depuis longtemps attiré l’oeil de nos aïeux. Son rocher, haut d’une cinquantaine de mètres, sans autre moyen d’accès qu’une bonne échelle, devint rapidement une place forte, puis le donjon d’un rustique château fort qui, au cours des siècles, se transformera en cette incroyable forteresse de Peyrelade, la plus grande du Rouergue et l’une des plus remarquables de France.
Sur ce site extraordinaire, aussi vertigineux qu’accidenté, il fut en effet impossible d’implanter un château fort classique, quadrilatère parfait d’épaisses murailles tirées au cordeau. Non, ici, les fortifications courent, légères (tout est relatif !) et crénelées comme de la dentelle, en épousant intimement les moindres ressauts de calcaire. Il en sera de même pour les habitations : point de lourds et austères bâtiments aux coins carrés, tout juste percés de quelques meurtrières, mais des belles maisons seigneuriales installées sur les dalles rocheuses, à l’abri de notre majestueux rocher et d’une seconde enceinte. Tout contre cette muraille, le petit village de Peyrelade tente d’y trouver calme et protection, agrippé sur le versant du causse.
Le Pierre large
Peyrelade tient son nom du latin « Petra lata », la pierre large qui fait sans doute référence à la partie large et plate du rocher. Aux nombreux éclats et fragments de silex, débris de lamelles et pierres taillées (dont un grattoir de chaille, utilisé pour les peaux). Marcel Portalier en déduit que cet étonnant site fut fréquenté dès la préhistoire. Il ne devait servir alors que de refuge aux habitants qui préféraient probablement vivre sur les bords du Tarn, plus confortables et giboyeux.
Cette présence s’est maintenue puis renforcée au fil des siècles. De nombreux tessons de poteries attestent d’une fréquentation à l’âge du fer (VIe au IIe siècle avant J.C.), puis durant la période Gallo-Romaine (bouts de tuiles, fragments de poterie sigillée). Quant à la période médiévale, il est probable que l’on y édifia tout d’abord un village de cabanes au pied même du rocher, ce qui permettait en ces temps farouches de s’y réfugier très rapidement. Vers la fin du haut Moyen-Âge, un petit château fort sera construit à cet endroit hautement stratégique d’où l’on peut aisément contrôler les moindres allées et venues dans la vallée.
Au fil des siècles, la forteresse ne cessera de s’agrandir et occupera toute la pointe effilée du plateau de Fontaneilles. Au XVe siècle, une troisième enceinte de plus de 250 m viendra protéger le village.
La partie la plus ancienne, le château fort lui-même, situé à l’intérieur de la seconde enceinte, doit remonter aux alentours de l’an mille. Nous n’avons aucune date précise concernant sa construction, mais la première trace écrite de sa présence remonte à 1147.
Photo : Richard ANDRÉ
Cette seconde enceinte protégeait le donjon, les maisons des seigneurs et notables ainsi qu’une basse-cour où les villageois menaient leurs bêtes lors des conflits. Cette partie était d’ailleurs le seul point critique du système de défense car on pouvait l’attaquer aisément par le plateau de Fontaneilles. Pour tenter de contenir tout débordement de ce côté, une impressionnante muraille de 2,10 m d’épaisseur et de 10 m de hauteur fut érigée et bordée d’un profond fossé taillé à la main dans la roche. Elle était équipée d’un chemin de ronde et percée d’une porte protégée par une poterne munie d’archères.
On accédait à notre spectaculaire rocher/donjon grâce à une tour dont l’entrée (défendue depuis le XVIe siècle par un pont-levis), se trouve à 6 m de hauteur. Le sommet, entouré d’un épais muret (la troisième enceinte), était absolument imprenable… Tout comme la vue d’ailleurs !
Château fort stratégique
Outre la vue magnifique et imprenable, le château de Peyrelade jouissait d’une position stratégique exceptionnelle. Il était situé au coeur même de son mandement, c’est-à-dire de toutes les seigneuries qui en étaient responsables mais surtout, il se trouvait au centre de la vallée, aux abords des principales routes médiévales et exerçait, de ce fait, une véritable mainmise sur tout le commerce qui transitait par la vallée du Tarn.
Il faut savoir que les causses étaient, au Moyen-Âge, les greniers à blé de toute la région, des endroits riches et donc fréquentés. Mais pour s’y rendre, il fallait impérativement traverser ou remonter des vallées comme la Dourbie, le Tarn ou la Jonte. Pas moyen de les éviter. Il n’y avait pas d’autre solution que d’emprunter les rares passages aux pentes suffisamment douces pour les mules et traverser les gués aménagés sur le Tarn… surveillés et dûment exploités par des châteaux comme Peyrelade.
Les causses étaient aussi appréciés pour la sécurité et la fiabilité qu’ils procuraient. Car, une fois sur ces larges plateaux, il était plus facile, d’échapper à une embuscade de brigands. De plus, on circulait sur un sol pierreux, certes inconfortable mais praticable toute l’année : pas de boue l’hiver, peu de poussière l’été, un rêve !
Au Moyen-Âge, on n’empruntait pas encore la vallée du Lumansonesque, suivie par l’actuelle N9, pour gagner le nord ou en venir, mais on passait par le Causse de Sauveterre que l’on atteignait soit par Fontaneilles (au dessus de l’actuelle Rivière-sur-Tarn), soit par Boye et le Massegros. Il en est ainsi depuis la nuit des temps et l’homme n’a fait que suivre le chemin pris par ses bêtes : les drailles.
Ces pistes de troupeaux semblent avoir fixé de bonne heure les itinéraires des marchands et des troupes jusqu’à la fin du IIIe siècle. Les voies romaines ou les chemins muletiers les doublent ou se confondent avec elles ». (Paul Marres, Les Grands Causses, Arnault et Cies, Tours, 1935)
Il ne faut pas oublier bien sûr, les voies de commerce interne à la vallée. Elles étaient autrefois tracées à mi-pente, sur le flanc sud de la vallée (l’adret), bien exposé au soleil, ce qui les rendait plus praticables car plus vite sèches. Par exemple, pour traverser la vallée de Boyne à Compeyre, on empruntait de Boyne à Peyrelade le « Cami public » puis le « Cami del Cantagrel » entre Peyrelade, le château de Fontaneilles et ainsi de suite jusqu’à Compeyre.
Peyrelade était donc à la croisée des chemins et des grandes voies, véritables autoroutes du Moyen-Âge. En 1297, il est déjà fait mention d’une grande voie médiévale, la Strata de Malavieilha, « l’estrade de Malavieille ».
Histoires au château
L’histoire de Peyrelade s’étale sur près de huit siècles. Elle est d’autant plus compliquée qu’elle est jalonnée de conflits entre familles.
En effet, ce prestigieux domaine ne sera pas géré par une seule et même famille mais, suite à de nombreux mariages, héritages, hommages ou mises en fief, nous trouverons plusieurs seigneurs (on parle alors d’une co-seigneurie) à partager ce vaste mandement (terre seigneuriale).
La cohabitation était donc déjà à la mode en ces temps là. Elle se passe assez bien entre tous ces co-seigneurs, sauf entre la famille de Sévérac et les comtes de Rodez qui tenteront tout, au cours des siècles, pour obtenir la suprématie du lieu. Cela prouve en tout cas, à quel point Peyrelade était puissant et hautement stratégique.
Tout commence donc vers 1132, date à laquelle on retrouve la toute première trace écrite de Peyrelade. Oh, pas grand chose mais, au cours de la signature d’un traité passé entre Bérenger-Raymond, comte de Provence et Guillaume, seigneur de Montpellier, apparaît le nom de témoins prestigieux : Etienne et « Henri » de Peyrelade. Ce dernier semble être de la souche des Ahenric. Or, au XIIe siècle, les Ahenric possèdent Peyrelade « en alleu et sans partage » (alleu : terre libre exempte de toute redevance, ne relevant d’aucun seigneur). Cela ne nous en dit pas plus sur la réelle nature de leur propriété mais nous voilà au moins sûrs de son existence à cette date.
Il faudra attendre 1147 pour apprendre qu’il s’agit d’un château et de son mandement. Il n’est par contre, plus l’entière possession des Ahenric car, Raymond de Sévérac en est le copropriétaire (probablement de moitié), suite à un héritage qu’il tient de sa mère. Sa mère qui ne peut être qu’une Ahenric. Tout est donc simple : les Sévérac partagent Peyrelade avec les Ahenric sans en savoir plus sur les parts exactes de chacun.
Au XIIIe siècle, Hugues IV, comte de Rodez, devient baron de Roquefeuil, suite à son mariage avec Elisabeth de Roquefeuil. Il reçoit en dot, une partie du château de Peyrelade.
Dès lors, les comtes de Rodez ne vont cesser, pendant près de deux siècles, de s’opposer à la famille de Sévérac pour faire respecter ou s’arroger leur part du château. Tous les coups seront permis : procès, mariages, mises en fief, hommages et même… prise d’otage comme l’atteste un document écrit en 1243 où Déodat de Caylus et P. Jourdain assistés de Guige du Tournel et R. d’Anduze proposent un traité afin d’arranger tout le monde.
Trois mois au château
Peine perdue ! Les querelles reprirent de plus belle. D’autres arrangements leur furent proposés comme se partager le château à tour de rôle par des séjours de trois mois !
En 1247, une sentence arbitrale prononcée par le prévôt du Puy et par Bernard de Cénaret met fin à une nouvelle controverse entre Hugues, comte de Rodez et Guy de Sévérac au sujet du château de Peyrelade. Chacun des dits seigneurs tiendra le dit château trois mois à tour de rôle.
De guerre lasse, on en viendra aux armes ! En 1402, Bernard VII, comte d’Armagnac et de Rodez voulant dépouiller de ses biens une branche cadette de sa maison (les Fezenzaguet), se voit contraint d’assiéger les trois châteaux de Compeyre, Caylus et Peyrelade. Si le premier capitule rapidement, les deux autres soutiennent un siège de deux mois avant d’être pris, pillés et brûlés.
Vives protestations de la famille des Sévérac. Le château sera reconstruit mais en 1471, les troupes du Sénéchal du Rouergue prennent, sur ordre du Roi, possession de Peyrelade et de Caylus en expulsant manu militari, les troupes de Charles d’Armagnac, vicomte de Creissels, opposé au royaume. C’est l’une des premières tentatives de Louis XI pour maîtriser la féodalité.
Veyssi les Engleys
En 1360, Jean le Bon signe le traité de Brétigny et le Rouergue bascule dans la guerre de Cent-ans. Il fait en effet partie des provinces (un quart du royaume) cédées aux Anglais. Une grande partie de la population se soulève contre l’occupant, le Prince de Galles, fils d’Edouard III d’Angleterre, plus connu sous le nom de Prince Noir.
Le 17 septembre 1367, le Prince Noir ordonne au Sénéchal du Rouergue de laisser Guy de Sévérac, jouir de sa part au château de Peyrelade dans le cas où la forteresse serait enlevée à ceux qui l’occupent. Or, on sait que Peyrelade est à cette époque occupé par des routiers.
En 1369, le Rouergue se soulève et le 23 juin de cette même année, Guy de Sévérac libère Compeyre. En janvier 1370, Jean d’Armagnac, vicomte de Creissels participe à la libération de la vallée du Tarn à la tête d’une armée de 300 hommes. Dès l’année suivante les Anglais abandonnent les derniers châteaux. Le Rouergue à peine libéré doit hélas faire face aux routiers. En 1390, une compagnie de ces pillards s’installe à Peyrelade et organise des razzias sur les troupeaux des alentours. Il faudra plus d’un an pour les déloger.
Guerres de religion
Les guerres de religion en Rouergue furent acharnées, et Peyrelade comme toute la vallée du Tarn en a beaucoup souffert. Elles appauvrirent considérablement les populations déjà misérables. En 1565, de nombreux habitants de la vallée du Tarn se plaignent des dévastations causées par les Protestants (Calvinistes) de Millau. Sous la pression des seigneurs catholiques de la région, le conseil du roi décide d’abattre les fortifications de Millau (protestante) afin de l’affaiblir. Ce sera fait le 6 avril 1565. Quant à Peyrelade, le château tombe entre les mains des Catholiques (aussi appelés « Papistes ») dès 1568.
Après avoir pris Peyrelade, les Catholiques se mettent eux aussi à rançonner les paysans des environs. Ils s’attaquent à leur bétail, leurs meubles, etc. En 1569, les places fortes de la vallée (Lugagnac, Caylus et Peyrelade) sont sous contrôle de Pierre Pélamourgue, capitaine catholique fidèle au Roi de France, Charles IX. La vallée connaît alors quelques années de calme tandis qu’à Paris, a lieu, le 22 août 1572, le massacre de la St Barthélémy et l’assassinat de dix mille Protestants (dont l’amiral de Coligny).
En mai 1577, des Etats généraux catholiques tentent de lever une armée de 1400 hommes pour venir à bout des Protestants mais ils ne purent équiper que 80 soldats, installés à Compeyre.
Cela n’empêche pas les Calvinistes de Millau de reprendre Peyrelade dès 1580 grâce à l’action héroïque d’un certain Genieis et de son « pétard ». Il fut probablement l’un des tout premiers poseurs de bombe de l’histoire.
Prise de Peyrelade par les Catholiques
Le 22 février 1568, Peyrelade fut pris par les Papistes (catholiques), trahis par les habitants mêmes et un prêtre qui gardait le fort ; car Monsieur de Claus y était parce qu’il avait ses biens là et les avait fait fructifier. Ce prêtre gouvernait entièrement tous les biens dudit de Claus.
Ils tuèrent trois soldats, les autres prirent la fuite. M. de Claus fut fait prisonnier et un M. de Luguans qui était avec lui. Si bien que tous ses biens furent pris et pillés, les armes aussi et ils emmenèrent M. de Claus et M. de Luguans en prison à Rodez. De fait, on ne voulut point les recevoir comme prisonniers, disant qu’ils étaient dans leur droit et n’avaient agressé personne, mais gardant le fort estant dans sa maison. De sorte qu’ils furent relâchés moyennant la somme de 1000 écus chacun. Aussi, ils firent prisonnier un ministre (pasteur) lequel ils retinrent quelques temps dans une citerne avant de la relâcher contre une petite rançon.
Tous ces événements nous ont éloigné des luttes intestines entre certains coseigneurs de Peyrelade, les comtes de Rodez et les Sévérac notamment. En 1422, la situation est figée, chacun campe sur ses terres et s’occupe de les faire fructifier au mieux : le comte de Rodez, vicomte de Creissels, le baron Amaury de Sévérac, Pierre Guitard, seigneur de Lugagnac et Jean de Ricard possèdent chacun un quart du mandement. Cela perdurera jusqu’à ce que la vicomté de Creissels rejoigne le domaine royal en 1589, lorsque le comte de Rodez qui est aussi Henri de Bourbon, roi de Navarre, duc de Vendôme, accède au trône de France sous le nom de Henri IV. Il sera aussi le dernier vicomte de Creissels.
En 1607, ce sera au tour de la part des Sévérac de rejoindre le royaume de France.
Le roi partage donc la moitié de Peyrelade avec Jean Pourquery et les Puel. Cette situation n’évoluera plus jusqu’à la Révolution.
Peyrelade et sa région devront encore faire face à de longues années de luttes et de sacrifices avant de venir à bout des nombreuses bandes de brigands qui sillonneront longtemps encore le Rouergue.