La saline en 3D ?

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L'or blanc

Il paraît aujourd’hui difficile d’imaginer que le sel, cette denrée de consommation courante et si peu coûteuse, ait été durant des siècles un produit précieux et hautement rentable pour les gouvernements. La fiscalité sur le sel qui a tant pesé sur la France de l’Ancien Régime, la fameuse « gabelle » à l’origine de tant d’injustices et de révoltes, n’est pourtant en rien une invention nationale. Dans l’Antiquité déjà les États centralisés s’étaient avisés que cette denrée indispensable, sans substitut possible, pouvait constituer une source de revenus très importante compte tenu du commerce intense qu’elle suscitait : ce fut le cas de l’ancienne Égypte ou du vaste Empire romain, tissé d’un réseau de voies du sel, les viae salariae, contrôlées par des fonctionnaires impériaux.

En France, au début du Moyen Âge, ce sont d’abord les autorités locales qui prélèvent dans leur juridiction des taxes sur le commerce du sel, souvent par l’appropriation d’une partie de la production. La centralisation progressive du royaume permettra aux souverains d’en faire un impôt, la gabelle : un terme emprunté à l’arabe kabala, qui signifie taxe. Sous Saint Louis, cet impôt est encore prélevé à titre exceptionnel, mais sous le prétexte de lutter contre les spéculations marchandes, le pouvoir finit par mettre en place un véritable système fiscal : le 20 mars 1340, une première ordonnance de Philippe VI de Valois instaure le monopole royal de la vente sur le sel.

Malgré les protestations, voire les révoltes armées, la gabelle s’impose au cours des siècles suivants et pèse lourdement sur la population.

Propriétaire du sous-sol de son territoire, le roi pouvait en contrôler les matières premières, y compris les eaux salées, et exercer son monopole. La vente du sel, également taxée, s’est en outre accompagnée d’une obligation d’achat, le « sel du devoir », particulièrement impopulaire dans le royaume. Quelques privilégiés, les « francs-salés » en étaient exemptés, comme certains membres du clergé et de la noblesse, les officiers royaux et les membres de l’université. Au XVIIIe siècle, la gabelle est le plus important des impôts indirects, et en 1789, selon le rapport de Necker, elle représente 0,5% des rentrées fiscales.

Chaque province du royaume possède plusieurs « greniers », à la fois entités territoriales, juridictions et magasins de stockage, où chacun a obligation de s’approvisionner. Le sel est vendu par les « grenetiers », officiers du gouvernement qui achètent aux producteurs et reversent au roi la recette de la vente.

Mais les particularités de chaque province et la diversité des régimes en font un système administratif très lourd. Dès la fin du XVIe siècle s’instaure le fermage, qui permet au roi de céder ses droits sur le sel en échange d’une somme versée par le « fermier » lors de la signature du bail. Sully perfectionne le système, et à sa suite Colbert, qui crée la Compagnie de la Ferme générale en 1681 : dès lors ce sont quarante, puis bientôt soixante « fermiers généraux » qui se chargent de prélever l’impôt pour le compte du roi en signant un bail de six ans. Toutefois, en raison de privilèges hérités de leur histoire, les provinces ne sont pas taxées de façon identique. De l’une à l’autre des juridictions, le prix du sel varie donc considérablement, parfois dans un rapport de un à vingt. Cette disparité explique l’intense contrebande du sel, le faux-saunage, dès l’instauration de la gabelle. De nombreuses chroniques relatent la guerre permanente menée par les gabelous, agents officiels de l’administration, contre les faux-sauniers, constitués parfois en redoutables bandes armées.

Abolie en 1791, la gabelle est de retour sous l’Empire, mais n’est plus assortie d’obligation d’achat et s’aligne sur les autres impôts indirects. Ce n’est qu’en 1945 que le mot gabelle a disparu des textes réglementaires français.

À la fin de l’Ancien Régime, les provinces du royaume sont réparties en quatre grandes zones, très diversement imposées sur le sel, et certaines bénéficient même d’une exemption. Dans les provinces de grande gabelle (Bassins de la Seine et de la Loire), la taxe est maximale et les populations tenues au « sel du devoir ». Il n’y a pas, en revanche, d’obligation d’achat dans les provinces de petite gabelle (Couloir rhodanien, Provence, Languedoc), car l’impôt est prélevé à la source, dans les marais salants. Les provinces de gabelle des salines et de « quart-bouillon » recouvrent la Lorraine et la Franche-Comté où le sel est « ignigène », c’est-à-dire issu de la cuisson des saumures, ainsi que la Basse-Normandie où les Bouillons d’eau de mer sont taxés au quart du prix du sel. Trois provinces, dites libres de gabelle ou rédimées, échappent totalement à l’impôt : la Bretagne et la Flandre, qui imposent leur franchise lors de leur rattachement à la France, et l’Aquitaine qui achète son exemption après la guerre de Cent Ans.

Plans et projets pour une saline royale

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Premier projet pour la saline, pl. 12 de l’Architecture…

Né en 1736 à Dormans (Marne), Claude Nicolas Ledoux est donc âgé de 37 ans quand lui est confiée la mission de bâtir la nouvelle saline franc-comtoise. L’architecte peut s’enorgueillir d’une carrière déjà brillante, avec la construction de nombreux édifices privés, notamment le pavillon de Louveciennes, près de Paris, pour Mme du Barry, maîtresse de Louis XV. C’est d’ailleurs en partie grâce à sa protection que Ledoux est nommé en 1771 « commissaire des salines » pour la Franche-Comté, la Lorraine et les Trois-Évêchés. Cette nomination n’est toutefois pas étrangère aux divers travaux que l’architecte réalisa au début de sa carrière pour le service des Eaux et Forêts, notamment la construction de ponts au nord de la Franche-Comté. Ces premiers contacts avec le génie civil qui l’ont formé aux nécessités fonctionnelles lui seront précieuses dans la conception de la Saline. C’est aussi au cours de cette période qu’il s’est lié avec l’ingénieur Rodolphe Perronet, Inspecteur des Salines de Franche-Comté et de Lorraine, qui l’introduit dans le monde de la Ferme générale, et dont il sera l’adjoint.

Le premier projet de Ledoux, présenté en avril 1774, proposait un plan carré avec des bâtiments en structure continue reliés par des portiques autour d’une cour centrale. Afin « d’accélérer tous les services », des galeries couvertes découpaient la cour en diagonale. L’innovation de Ledoux tenait surtout dans l’ambition esthétique qui accompagnait son projet : outre les nombreuses colonnes prévues pour la plupart des bâtiments, les galeries couvertes s’appuyaient sur cent quarante colonnes doriques.

Cette vision architecturale grandiose appliquée à un bâtiment industriel surprit les contemporains de Ledoux et jusqu’au roi Louis XV qui eut cette réflexion : « Pourquoi tant de colonnes, elles ne conviennent qu’aux temples et aux palais des rois ».

Mais avant tout le projet fut refusé car on jugea qu’il ne répondait pas aux contraintes techniques du programme et aux réalités géophysiques du site. Ledoux, qui s’en est expliqué, ne se prive pas d’incriminer les fonctionnaires : « Un prospectus dicté par des agents subalternes, qui préparent l’obscurité des décisions, avait circonscrit le travail. Tel est le despotisme des délégués de Plutus, ils passent une partie du jour à tailler leurs plumes, l’autre à neutraliser l’encre qu’elles contiennent ».

Quelques mois plus tard, en octobre 1774, l’ingénieur Claude le Pin reçut le second projet de l’architecte, et l’édification proprement dite de la Saline fut confiée à un entrepreneur privé parisien, ami de Ledoux, Jean Roux Monclar. Ledoux a pour consigne de concevoir une distribution par pavillons séparés les uns des autres afin d’éviter la propagation des incendies que pouvaient provoquer les fours, et pour faciliter la circulation de l’air. Respectueux du programme technique dans son second projet, Ledoux y ajoute cependant son génie esthétique : il adopte une disposition en demi-cercle, souhaitant « que la forme de la saline soit aussi pure que celle que le soleil décrit dans sa course ». Inspirée des villes idéales de la Renaissance, la Saline est conçue comme une sorte de vaste théâtre, avec son pavillon d’entrée flanquée de deux ailes incurvées, les deux bâtiments carrés, au terme de la courbure, qui assurent le lien avec le diamètre constitué des deux bâtiments des sels, de part et d’autre de l’imposante maison du Directeur. Unité de production qui se veut rationnelle, la Saline est aussi, de par sa forme, un théâtre industriel, une métaphore solaire et un lieu de travail placé sous surveillance.

Le saumoduc et le bâtiment de graduation

Deux avantages majeurs ont déterminé le choix du site, entre les deux hameaux d’Arc et de Senans : le vaste espace, vierge de toute construction, et la proximité immédiate de la forêt de Chaux. Les vingt-deux mille hectares de ce domaine royal offraient en effet une réserve de bois très abondante, résolvant ainsi le problème capital de l’énergie nécessaire à la cuisson des « petites eaux » très faiblement salées des sources de Salins. Dix-sept kilomètres séparaient la manufacture d’Arc-et-Senans, destinée à leur transformation, du lieu d’extraction de la matière première. Cependant, comme l’a écrit l’architecte de la nouvelle saline, Claude Nicolas Ledoux, « il était plus facile de faire voyager l’eau que de voiturer une forêt en détail » : ce fut fait avec le « saumoduc », sorte de pipe-line qui conduisait les eaux salées de Salins vers Arc-et-Senans.

Constitué de deux canalisations souterraines parallèles, le saumoduc fut donc construit sur 21 kilomètres, traversant les collines et passant sous les routes, suivant le cours de deux rivières, la Furieuse et la Loue.

Le site d’Arc-et-Senans, gravure aquarellée. Bibliothèque nationale de France, Paris

La pente naturelle de ces cours d’eau, avec leur dénivellation de 143 mètres, permettait l’écoulement de la saumure. L’enfouissement des canalisations dans le sol devait assurer une meilleure conservation du bois et une protection contre le gel, mais évitait aussi le vol. Parvenues au pied du bâtiment de Graduation long de 500 mètres, les saumures s’élevaient au sommet du bâtiment, haut de 7 mètres, grâce à des pompes actionnées par des roues à aubes. Conduites dans des gouttières perforées, elles ruisselaient ensuite sur des empilements de fagots, destinés à éliminer les dépôts de terre.

Itinéraire du saumoduc


Tout au long du parcours furent établis sept postes destinés au contrôle : grâce à des cuvettes de jauge, les employés mesuraient l’écoulement et la teneur en sel de l’eau. Les compteurs étaient relevés chaque samedi et leurs résultats portés à la saline. Surveillé de jour comme de nuit, ce parcours a été appelé le « chemin des gabelous ». Un seul de ces postes est encore visible aujourd’hui, celui de la Petite Chaumière, le deuxième après Salins-les-Bains.

Recueillies sur un madrier en bois de sapin rainé, les eaux étaient remontées pour un nouveau cycle d’évaporation.

L’édifice était conçu comme une vaste charpente entièrement en bois et couverte de tuiles de chêne. Le vent y circulait librement en actionnant des volets de ventilation mobiles disposés de chaque côté. Selon les conditions météorologiques, la concentration de la saumure pouvait varier considérablement, parfois du simple au double. Arrivées de Salins avec 2 à 3 degrés de salure, ces « petites eaux » atteignaient par ce procédé en moyenne 12 à 13 degrés de saturation. Au terme de trois cycles dans le bâtiment de graduation, les eaux étaient dirigées vers un vaste réservoir de 200 000 litres creusé dans le sol, à 5 mètres de profondeur. Une pompe mue par la traction animale expédiait ensuite ces saumures dans des canalisations souterraines, directement raccordées aux deux bâtiments de fabrication des sels de la manufacture.

Les derniers vestiges du bâtiment de graduation de Ledoux, situé à 800 mètres de l’usine, ont été abattus en 1920.

Plan du canal de graduation et des réservoirs, planche 8 de l’Architecture considérée sous le rapport de l’art, des moeurs et de la législation de Claude Nicolas Ledoux, 1804. Au terme de leur trajet dans le saumoduc, les eaux salées parvenaient dans un canal maçonné dérivé de la Loue avant d’être recueillies dans des réservoirs.

Le bâtiment de graduation d’Arc-et-Senans, pl. 9 de l’Architecture…

Informations utiles

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Tel: 03 81 54 45 00

https://www.salineroyale.com/accueil/

Grande Rue, 25610 Arc-et-Senans