L'abbaye en 3D ?
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Fondation
Saint-Sauveur de Charroux est une abbaye suivant la règle de l’ordre de Saint-Benoît. Elle a été fondée en 784 ou 785 par le comte Roger de Limoges et sa femme Euphrasie d’Auvergne, sous la protection de Charlemagne. Le comte donna à la toute nouvelle abbaye des biens se trouvant dans le Poitou, le Limousin, le Périgord et en Auvergne.
La nouvelle abbaye a, de plus, très vite bénéficié des libéralités des souverains carolingiens à l’instar des abbayes de Saint-Maixent, Nouaillé, Saint-Jean-d’Angély, Saint-Cyprien de Poitiers ou Saint-Cybard d’Angoulême. Son abbé exerçait, par ailleurs, un réel pouvoir politique.
Dotée de livres, objets rares et luxueux, elle devint aussi et surtout un centre de foi et de culture important. En deux siècles, l’abbaye Saint-Sauveur devint un centre religieux principal de la chrétienté accueillant quatre conciles, dont le premier en 989, le concile de Charroux, réuni sous le patronage du duc d’Aquitaine et comte de Poitiers Guillaume IV instaura la paix de Dieu.
La présence importante de reliques en fit, aussi, un haut lieu de pèlerinage. Les plus illustres étant une relique dite de la Vraie Croix, don attribué à l’empereur Charlemagne, et l’un des nombreux saint Prépuce conservés de par le monde, évoquant la circoncision de Jésus, qui aurait été acquis de façon miraculeuse. En Poitou, l’abbaye Sainte-Croix de Poitiers avait déjà acquis une relique de la Vraie Croix remise à sa fondatrice, sainte Radegonde en 567 par l’empereur de Constantinople.
L’abbaye a accueilli dès 830 plus de 80 moines.
Des premiers bâtiments, il ne reste quasiment rien. Deux chapiteaux sont conservés à Charroux et, au musée Sainte-Croix de Poitiers, un fragment de l’inscription funéraire de Juste, abbé de Charroux vers 817. Ces deux chapiteaux ont un décor sculpté en triangle. Le motif d’entrelacs suggère une comparaison avec l’enluminure carolingienne. Il est l’une des composantes du courant artistique franco-saxon du IXe siècle.
Le concile de Charroux (ou concile de la Paix de Dieu)
Le concile convoqué à Charroux en 989 aura, de loin, le plus grand impact. Il lance des anathèmes contre les violateurs d’églises, les pilleurs des pauvres et ceux qui brutalisent les clercs : bannir ces coupables de la communauté catholique équivaut alors à les exclure de la société.
Le concile inaugure donc un redressement social par l’Église, au moment où, parallèlement, se développent les grands ordres monastiques et apparaissent les papes réformateurs. Le concile de Charroux marque la naissance d’un mouvement spirituel et social, resté sous le nom de « Paix de Dieu » et définit les principes moraux de la société médiévale, en définissant les droits et devoirs des trois ordres : le clergé, la noblesse d’armes et la paysannerie.
Par la suite, l’Église définira des périodes de paix, du mercredi soir au lundi matin et pendant le Carême pour contenir les guerres privées et protéger les populations.
Signe de l’importance spirituelle de Charroux, trois autres conciles seront par la suite réunis dans l’abbaye au cours des Xe et XIe siècles.
L'église abbatiale du XIe siècle
Son plan exceptionnel s’inspirait du Saint-Sépulcre à Jérusalem, sanctuaire élevé sur le tombeau du Christ. La tour se trouvait à la croisée du transept et au centre de la rotonde. La surface en herbe montre l’emprise au sol de la partie est de l’église.
Les murs (I), sur la gauche, révèlent la forme des absidioles qui se rattachaient respectivement au choeur, à la rotonde et au transept sud. Les cheminées sont des vestiges de maisons du XIXe siècle.
La rotonde (2) à triple déambulatoire permettait de canaliser le flux des pèlerins.
La tour octogonale (3). L’autel majeur était placé au centre, juste au-dessus de la crypte où étaient exposées les reliques. L’élévation montre deux premiers niveaux d’arcades qui se trouvaient à l’origine à l’intérieur de l’église. Les chapiteaux des piliers quadrilobés sont ornés de feuillages gras et d’animaux. Le bandeau de moellons signale l’appui de la voûte. La lumière entrait par les fenêtres hautes et éclairait l’autel, d’où son nom de tour lanterne.
Les bâtiments conventuels
Un élégant portail conduit vers l’ancien cloître dont il subsiste le plan général, souligné par des piliers et des arcs gothiques.
La salle capitulaire, reconstruite à la fin du XVe siècle, est voûtée de six croisées d’ogives gothiques. C’est le lieu où les moines organisaient la vie quotidienne de l’abbaye, après avoir lu un chapitre de la règle de saint Benoit.
Les éléments sculptés proviennent du triple portail gothique, ajouté au XIIIe siècle sur la façade romane. Le réalisme des visages et des drapés révèle l’habileté de sculpteurs ayant oeuvré sur le chantier de la Sainte-Chapelle à Paris. Le Christ du Jugement Dernier, assis sur un banc ouvragé, ornait le centre du tympan de l’entrée de l’église. Des religieux portant la mitre et des rois couronnés sont exposés sur les murs, ainsi que deux clefs de voûte : ils constituaient le décor des deux voussures supérieures du portail. La plaque au sol indique l’emplacement des 13 tombeaux de religieux découverts lors des fouilles archéologiques de 1949.
La salle dite « du trésor » présente d’autres éléments de voussures : apôtres, évangélistes, vierges folles et vierges sages. Le chapiteau tétramorphe provient probablement de l’ancien cloître roman, et les chapiteaux du IXe siècle, de l’église carolingienne. Le cercueil de plomb a été découvert dans le transept sud de l’église, en 1989. Les reliquaires exposés dans une vitrine composent le trésor de Charroux. La plus belle pièce, le reliquaire aux anges, est une boîte carrée en argent doré, portée par un pied. Sur le revers des volets, sont représentés le christ et deux moines en prière. Au dos se trouvent des fleurs de lys et des petits châteaux : il s’agit peut-être de l’emblème de Blanche de Castille, ce qui signalerait une commande royale. Les reliquaires sont portés en procession dans les rues du village, lors des ostensions, tous les sept ans.
Le chauffoir aux belles croisées d’ogives a aussi servi de chapelle au XIXe siècle, d’où la présence de l’autel. Cette pièce, la seule qui soit chauffée, servait de salle pour les travaux d’écriture des moines, en l’absence de scriptorium. Sur un des murs, une petite sculpture figure deux oiseaux posés de chaque côté d’un feuillage.
Le Moyen-Âge : splendeur et rayonnement
À partir de 1017, l’abbé Geoffroy ordonna d’importants travaux. En effet, autour de l’an 1000, les guerres entre les seigneurs poitevins, les pillages et les incendies ont chassé les moines à plusieurs reprises.
Toutefois, une fatalité néfaste s’abattit sur l’abbaye : plusieurs incendies détruisirent les constructions neuves. Une première consécration a lieu en 1028 et une autre en 1047. En 1048, un nouvel incendie ravagea le sanctuaire.
En 1082, l’abbaye est reconstruite. Centre de création artistique, l’édifice adopte de nouveaux modes de construction : piles quadrilobées, nef à collatéraux percés de hautes fenêtres, voûtes en pierre, tout en conservant certains archaïsmes issus de l’architecture carolingienne : clocher-porche, absides à pans coupés. Ce fut l’une des plus grandes églises de la chrétienté (114 mètres de long).
En 1096, Charroux accueillera le pape Urbain II qui consacra un nouvel autel, appelé autel majeur. Cet autel est situé au-dessus de la crypte, au centre de la rotonde. Il est éclairé par la tour-lanterne. Urbain II a garanti aussi les droits de propriété de l’abbaye contre ceux des comtes et des évêques. L’abbaye de Charroux obtint aussi l’immunité, le libre choix de son abbé, l’inviolabilité de ses propriétés, la libre administration de l’abbaye et de ses biens.
C’est à la fin du XIe siècle et au début du XIIe siècle que l’abbaye Saint-Sauveur connait l’apogée de sa puissance. Elle possède 96 églises dans 16 diocèses en France, en Angleterre et dans les Flandres. Des ducs et des comtes viennent rendre visite ou laissent leurs enfants pour y être élevés. Les rois de France comme Philippe Ier (1052-1108) ou d’Angleterre comme Henri Ier (1068-1135) viendront y séjourner.
La richesse de l’abbaye provient à la fois de sa position sur la route du pèlerinage vers Saint-Jaques de Compostelle, mais aussi de ses reliques qui étaient elles-mêmes l’objet d’un pèlerinage.
Le XIIIe siècle voit l’abbaye continuer à s’agrandir. En 1269, un portail gothique est construit sur la façade ouest de l’abbatiale. C’est un triple portail qui correspond à la triple nef. Un porche surmonté d’un clocher et de deux clochetons le protège.
Le déclin
Dès le début de la guerre de Cent Ans, l’abbaye rencontre des difficultés. Les chapes, les calices, les livres et les archives sont mis à l’abri à Poitiers pour échapper aux destructions des Anglo-Gascons. Mais Poitiers est prise en 1345. En 1385, il ne reste plus que 40 moines. La désertification de l’abbaye continue au cours de cette période trouble. Les revenus de l’ensemble des possessions étant au plus bas, les 20 derniers moines sont contraints de se retirer chez leurs parents ou amis. L’abbaye est incendiée en 1422.
En 1444, Jean Chaperon est nommé abbé et va relever l’abbaye pendant son abbatiat qui dura 30 ans. Le château Mauprévoir devient la résidence habituelle de l’abbé.
À la mort de Jean Chaperon en 1474, la situation de l’abbaye apparaît restaurée. À la mémoire de Charlemagne, Louis XI confirma sa protection royale et les privilèges de l’abbaye par ses lettres patentes en 1476. Toutefois, avec l’instauration de la commende au XVIe siècle, l’abbaye va entrer dans une longue agonie.
Malgré des revenus encore importants, l’abbaye sombre dans la déchéance comme tant d’autres abbayes poitevines à la même époque. Des vols dont celui du trésor ont lieu. Les mauvaises gestions des abbés commendataires se succèdent, qui ne vivent plus dans l’abbaye mais à la cour de France. Les cloches sont fondues, le mobilier liturgique luxueux est vendu, les réparations sont négligées.
À partir de 1561, à cause des guerres de religion, les moines ne se réunissent plus en chapitre. Trois fois (1562, 1569 et 1587), dont une fois par Roger de Carbonnières, l’abbaye est pillée et saccagée. Après 1580, les moines ne sont plus qu’une dizaine et ne peuvent plus se loger dans l’abbaye.
Mort et Renaissance
Le brevet du roi Louis XV en 1760 annonce la fin de l’abbaye. Le , une bulle de pape Clément XIII officialise la fermeture de l’abbaye et le rattachement de ses biens à Saint-Julien de Brioude. Le parlement du royaume de France enregistre cette fermeture définitive en 1780.
Quand elle est vendue comme bien national en 1790 la nef et l’église sont en ruine. Elle est vendue en cinq lots et utilisée comme carrière. L’un des lots, comprenant la tour octogonale et le cloître, est racheté par l’abbé Charles Loiseau de Grandmaison (1740-1797) alors curé de Surin.
Si, au cours de ce début du XIXe siècle, le reste des bâtiments a été transformé en carrière à pierre (on retrouve des pierres taillées dans tous les hameaux autour de Charroux), la famille de Loiseau de Grandmaison résista aux menaces des municipalités qui entendaient démolir le monument, soit pour agrandir le champ de foire, soit parce qu’il constituait, disait-on, un danger public.
La Société des antiquaires de l’Ouest créée en 1834, Charles de Chergé son président et Prosper Mérimée intervinrent pour la conservation du monument. La tour-lanterne est classée aux monuments historiques en 1846, des fragments du portail gothique (37 statues) sont rapatriés et sont toujours en place dans la salle capitulaire.
Les restes de la chapelle sud du chœur de l’église abbatiale sont classés comme monument historique depuis 1945. Les immeubles bâtis et non bâtis situés sur le territoire de l’ancienne abbaye sont inscrits comme monuments historiques depuis 1950 et l’ensemble des vestiges est classé depuis la même année.