Le château en 3D ?

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Travaux de Christopher Long, d’Edward Impey, conservateur de la Tour Blanche, à Londres, Daniel Levalet, François Saint-James, de la Société des antiquaires de Normandie. Voir.

Le donjon

Depuis le XIXe siècle les historiens normands ont toujours pensé que le donjon d’Avranches était une modeste construction carrée de 10 mètres de côté.
Depuis de nouvelles recherches ont été effectuées par David Nicolas-Méry. Des documents inédits sont sortis de l’oubli. Aujourd’hui le donjon, grâce à ces importantes découvertes, à retrouvé sa grandeur originelle et apporte un témoignage unique sur l’importance de la cité d’Avranches vers l’an mil.
Le donjon d’Avranches est vraisemblablement un prototype qui servira de modèle à beaucoup d’autres constructions en Angleterre, après la conquête de 1066, comme la tour de Londres, le donjon de Rochester ou bien encore celui de Cantorbéry.

Redécouverte d’un monument médiéval

Le donjon médiéval d’Avranches a disparu sans laisser de souvenir très précis dans les esprits. Aussi les questions liées à son aspect originel, à son emplacement ou à son existence même sont bien souvent restées sans réponse. D’autre part l’édifice décrit par les historiens et les archéologues ne semble pas toujours correspondre à l’acception générale du terme « donjon ». Par conséquent, il était important de faire la lumière sur ce secteur de la vieille ville, espace de vie supposé des vicomtes normands d’Avranches.

Après l’examen de toute la littérature concernant le donjon, puis l’observation du site, je me suis aperçu que les vestiges semblaient beaucoup plus nombreux que ce que l’on imaginait jusqu’à maintenant. Ensuite le hasard est venu révéler de nouveaux indices contenus dans des documents inédits. Tout cela m’a permis d’élaborer une restitution du bâtiment médiéval. C’est ce que je vais tenter d’exposer à présent.

Dans un premier temps je replacerai l’édifice dans son contexte géographique et historique, avant d’aborder une partie plus descriptive. Puis les sources écrites et iconographiques, parfois totalement inédites, seront passées en revue et confrontées aux vestiges. Ceci permettra de proposer des hypothèses quant à l’allure générale de l’édifice et l’époque de sa construction, d’établir une esquisse capable de lever le voile sur cette construction énigmatique et parfaitement ignorée.

Le site

La ville d’Avranches, perchée à une centaine de mètres d’altitude, est située à l’extrémité d’une barrière granitique orientée est-ouest. Ce rempart naturel, anticlinal spectaculaire du massif armoricain, culmine à l’est dans le Mortainais pour s’achever à l’ouest face à la baie du Mont-Saint-Michel. Au pied des flancs nord et sud de ce massif, coulent respectivement les deux rivières, la Sée et la Sélune, qui se jettent dans la mer. Avranches surplombe les deux estuaires et occupe par conséquent une position stratégique indéniable.

Avranches se divise assez nettement en deux secteurs. D’un côté, à l’extrémité occidentale de la cité, on trouve la « vieille ville », fortifiée depuis le Moyen Âge et peut-être dès l’époque gallo-romaine. à l’est, la « ville basse » s’organise autour des places Saint-Gervais et du Marché. Le site du donjon est à la jonction des deux quartiers. Cette zone possède une très faible déclivité. L’édifice commandait l’endroit le plus fragile du système défensif de la vieille ville, là où l’escarpement naturel est le moins prononcé. Il surplombait vers l’est le quartier populaire des artisans et des marchands.

Du début du Moyen Âge jusqu’au rattachement de la Normandie à la couronne de France en 1204, deux personnages se divisent l’espace clos de la ville fortifiée: d’un côté l’évêque, dont le palais et la cathédrale se situent à l’extrémité occidentale de l’éperon; et de l’autre un chef laïc, dont le lieu de résidence présumé n’est autre que le site qui nous préoccupe.

Si le donjon n’est pas installé à l’extrémité de l’éperon rocheux, comme il aurait pu être judicieux de le faire pour des questions de surveillance du littoral, c’est que cet emplacement fut occupé bien avant sa construction. Après la christianisation, un « complexe religieux », palais épiscopal et cathédrale, se substitue à un ensemble de constructions antiques. Le premier édifice religieux à cet emplacement est daté par Daniel Levalet du IVe ou Ve siècle. Un mur plus ancien, construit directement sur la roche mère, pourrait quant à lui faire penser à un fanum, mais d’époque gauloise. L’occupation de ce site est continue jusqu’à l’effondrement puis la destruction de la cathédrale romane au début du XIXe siècle.

Le donjon est traditionnellement placé dans ce que l’on appelle « la première enceinte du château ». En fait, on suppose que les instances militaires occupaient un vaste secteur, limité à l’est par le rempart de l’actuelle place d’Estouteville et à l’ouest par les rues de Geôle et Chevrel. Ce périmètre de forme plutôt oblongue s’étire du nord au sud. à chacune des extrémités se trouvaient les deux principales entrées de la ville fortifiée, les portes Baudange et de Ponts. La première enceinte se trouvait à l’extrémité sud de cette zone, la seconde au nord.

Rappel historique

Sans faire un récapitulatif complet de l’histoire d’Avranches, il est utile de faire l’inventaire des données en notre possession pouvant apporter quelques renseignements sur les évolutions du donjon à travers les siè cles.

Avranches entre dans l’histoire en 56 avant J.C. Jules César, dans la Guerre des Gaules, mentionne l’existence d’une tribu celte, les Ambibarii, dans le sud de l’actuel département de la Manche. Au premier siè cle, Pline l’Ancien nomme ce même peuple les Abrincatui.

La capitale de ce groupe humain semble bien être Avranches, cependant aucun site fortifié n’est évoqué à cette époque, si ce n’est l’oppidum du Petit-Celland, à 10 km de la cité en direction de l’est. D’ailleurs les Abrincates semblent disséminés dans tout leur territoire.

Avranches est l’un des sept chefs-lieux de cité de la seconde Lyonnaise. Au Ve siècle après J.C., Avranches devient le siège d’un évêché qui s’étend sur tout l’ancien territoire des Abrincates. à l’intérieur de ce diocèse deux entités administratives distinctes pourraient avoir existé: les pagi de Mortain et d’Avranches. Mais ceci est bien hypothétique. Le pagus neustrien d’Avranches est dirigé par un représentant des pouvoirs mérovingien et carolingien.

Au Xe siècle, on ne sait absolument rien de la cité. A-t-elle été victime des incursions scandinaves? A-t-elle été détruite? La seule chose dont on soit sûr, c’est de la longue période de vacance du siège de l’évêché, environ un siècle et demi, ce qui laisse présumer l’état d’abandon de l’Avranchin à cette époque.

Vers l’an mil, Avranches est prise en main par le pouvoir normand. Robert d’Avranches puis Guillaume Werlenc en sont les premiers comtes placés par les ducs. Le comté d’Avranches se superpose alors complètement au diocèse. Avranches est à la fois une des sept cités épiscopales qui composent désormais la Normandie, et une capitale militaire forte, face à la Bretagne et au Maine. Les ducs, pour protéger leur domaine, vont établir toute une série de forteresses sur les limites méridionales du pays: Pontorson, Saint-James, Les Biards, Les Loges-Marchis, Saint-Hilaire, Le Teilleul, Mortain.

Vers 1050, Guillaume Werlenc est banni de Normandie par le duc Guillaume et s’enfuit en Italie. On observe alors une partition du comté. Robert, demi-frère de Guillaume le Conquérant, devient comte de Mortain tandis que Richard Goz, vers 1055, est placé à la tête de la vicomté d’Avranches. Richard Goz est le fils de Toustain Goz, vicomte de Hiesmois dès les années 1020. Il est intéressant de noter qu’il y a sans doute, à cette époque, une répartition géographique des pouvoirs au sein de ce « pays ». Avranches conserve son statut de capitale épiscopale, mais c’est Mortain qui devient la capitale comtale.

La conquête de l’Angleterre…

En 1066, Hugues, fils de Richard Goz, apporte sa contribution à la conquête de l’Angleterre en fournissant soixante navires au duc Guillaume. Hugues Goz, dit le Loup ou d’Avranches, devient comte de Chester en 1071, sans que l’on soit vraiment certain de sa présence à Hastings. Hugues d’Avranches fonde l’abbaye de Saint-Sever vers 1065.

Ce personnage haut en couleurs est assez bien connu pour avoir attiré sur lui l’attention des chroniqueurs. Orderic Vital, moine de Saint-Evroult, fait mention du faste déployé à sa cour. Guillaume le Conquérant l’a doté de nombreux territoires en Angleterre ; sa fortune le place au sommet de l’aristocratie anglo-normande ; il est décrit comme « un soldat, capable et dur », « plus chasseur qu’ami des moines », « adonné à la gloutonnerie et énormément gras », « père de nombreux bâtards ».

Cependant ce personnage est avant tout un fidèle du Conquérant, ce dernier l’a fait gardien de la frontière galloise et le vicomte d’Avranches, comte de Chester, semble remplir son rôle à merveille. Son expérience militaire lui permet de maintenir les frontières du nord-ouest du royaume, voire de les étendre. Sa rudesse au combat, pour ne pas dire sa cruauté, explique sans doute qu’on l’ait surnommé le Loup. On sait aujourd’hui que les seigneurs normands profiteront des « retombées économiques de la conquête » pour alimenter, accroître leur patrimoine continental. Hugues utilisera sans doute ses revenus anglais pour enrichir sa vicomté natale.

Dans la seconde moitié du XIe siècle, après la mort de Guillaume le Conquérant en 1087, nous savons qu’Henri Ier Beauclerc, son fils, reçoit une grosse somme d’argent. Il l’utilise pour racheter à son frère Robert une bonne partie du Cotentin. Henri devient maître d’un vaste territoire constitué des diocèses d’Avranches et Coutances. Il fait d’Avranches un de ses lieux de résidence. Hugues le Loup, fidèle ami du futur roi, fut sûrement un hôte admirable. Toutefois quelques accrocs entre les deux amis sont à noter, comme en 1091 où Henri Ier Beauclerc, assiégé pendant quinze jours au Mont-Saint-Michel par ses frères, fut abandonné par ses plus proches amis ; le Loup était de ceux-là.

Hugues d’Avranches meurt en 1101, dans son comté de Chester. Son fils Richard II Goz prend sa suite. Preuve de l’importance des vicomtes d’Avranches, il épouse Mathilde, la seconde fille d’Étienne de Blois. Richard, digne successeur de son père, est promis à une grande carrière. Mais, en novembre 1120, Richard disparaît dans le naufrage de La Blanche Nef. Il périt sans laisser de descendance, aux côtés des forces vives de l’aristocratie anglo-normande. Cette catastrophe est un véritable coup dur pour le royaume; beaucoup de fiefs importants se trouvent alors sans héritiers. Les possessions des Goz passent aux mains de leurs cousins de Bayeux, les Briquessart.

Dès lors Avranches perd son rôle de « capitale historique » du domaine bicéphale qu’elle constituait avec Chester. Le domaine des Goz, annexé à celui des cousins du Bessin, n’est plus qu’une simple composante d’un ensemble beaucoup plus vaste.

Au XIIe siècle, Avranches reste une cité importante, certes, mais au même titre que des dizaines d’autres réparties dans le vaste empire des Plantagenêts. L’événement marquant de cette époque reste, sans conteste, la pénitence du duc-roi Henri II, sur le parvis de la cathédrale d’Avranches, le 21 mai 1172 ; le puissant monarque est accusé d’avoir commandité ou suggéré le meurtre de Thomas Becket, l’archevêque de Cantorbery. Afin de réparer sa faute, Henri II fait amende honorable et implore le pardon de l’Église, face aux émissaires pontificaux dépêchés pour l’occasion.

En 1204 le roi occupe le duché. Cette mainmise royale ne se fait pas sans heurts pour Avranches. Philippe Auguste charge le breton Guy de Thouars de prendre l’Avranchin ; ce dernier en profite pour saccager la cathédrale et démanteler les murs de la ville. Le Mont-Saint-Michel subira le même sort. Cependant le XIIIe siècle va être bénéfique à la ville. Le roi saint Louis rachè te la vicomté en 1236. Il séjourne à deux reprises dans la cité, en 1256 et 1269, et s’attache à la reconstruire. Il la dote de nouveaux remparts, fait creuser des fossés. Avranches semble connaître un nouvel essor.

La fin du Moyen Age n’est qu’une succession de sièges pour la ville. En 1354, les troupes du roi de France la ceinturent. De 1418 jusqu’à 1450, elle vit à l’heure anglaise, subissant régulièrement les assauts libérateurs, mais sans aucun doute destructeurs.

Les guerres de religion seront aussi néfastes. En mars 1562, les huguenots de Gabriel Montgomery mettent à sac la cathédrale et l’évêché. En 1587 et 1589, leurs attaques sont repoussées. En plein hiver 1590-1591, les bourgeois, ralliés à la « sainte Ligue » et retranchés derrière les remparts, doivent subir un siège de soixante jours. L’artillerie royale obtient la capitulation de la ville au prix de terribles dégâ ts.

Jusqu’au début du XVIIIe siècle, Avranches reste une place forte, une garnison y réside, dirigée par un gouverneur. Le château est déclassé sous le règne de Louis XV. Les remparts sont alors vendus en parcelles. De nombreux nouveaux acquéreurs construisent leurs propriétés en modifiant, dans la plupart des cas, l’aspect originel de la vieille ville fortifiée. Des sections complètes de murailles sont abattues. Les tours sont mutilées, voire proprement rasées.

Tout au long du XIXe siècle, les pouvoirs publics s’attachent à moderniser la ville, les pertes architecturales sont lourdes, malgré les efforts des membres de la Société d’archéologie d’Avranches.

Comme nous le verrons plus loin, les bombardements de juin 1944 apporteront leur lot de déboires, pour la cité en général, mais aussi, plus particulièrement, pour le donjon d’Avranches.

Les origines du donjon d’Avranches

Très tôt les historiens identifient la vieille ville comme l’oppidum gaulois de l’Antiquité, « l’acropole » des Abrincates, que l’on aurait fortifié après les premières invasions du IIIe siècle.

En admettant qu’une fortification de la vieille ville soit intervenue à cette époque, il est tentant de penser que le site du donjon médiéval fit l’objet d’un aménagement particulier. Les découvertes faites au XIXe siècle révélèrent la présence, dans les substructions de l’édifice, de nombreux vestiges antiques. Des bases et des fragments de colonnes furent notamment retrouvés lors du percement de la rue Neuve d’Office, aujourd’hui rue de la Belle-Andrine, en 1848.

D’autre part, des réemplois gallo-romains sont encore visibles dans les fondations d’un mur situé non loin, à une vingtaine de mètres au sud du site présumé du donjon.

Ces indices pourraient indiquer la construction d’un castrum, à cet endroit, accompagnant le repli de la population sur l’oppidum plus facile à défendre. Cependant rien ne permet de dire à quelle époque ces aménagements furent faits.

À ce jour on n’a trouvé aucune preuve de l’existence d’une muraille ou palissade pour la défense de l’oppidum, ni la certitude que les réemplois soient contemporains des invasions germaniques.

À l’époque franque, le chef du pagus possède probablement une résidence à Avranches. Edouard Le Héricher, au XIXe siècle, évoque la construction d' »une espèce de château » à Avranches en 460, par le monarque franc Chilpéric. L’auteur avoue qu’il tient cette information de M. Cousin, ce dernier n’ayant pas cité ses sources. Pour cette époque les sources écrites et l’archéologie ne livrent aucun élément sérieux sur l’existence et encore moins sur la localisation d’un tel édifice.

Lorsque l’on évoque le donjon d’Avranches aujourd’hui, l’immense majorité des Avranchais croit qu’il s’agit de cette tour aux créneaux garnis d’armoiries où flottent, aux beaux jours, de nombreux drapeaux. En fait, ce « pseudo donjon » est une courtine, qui, comme nous le verrons plus loin, a sans doute été bâtie au XIIIe siècle. La confusion est née peut-être de l’effondrement du véritable donjon, en 1883, et de la proximité de ce dernier, dont l’angle nord-est venait se raccrocher à cette courtine. Jean Mesqui lui-même a commis une erreur en rangeant ce simple mur de courtine dans la catégorie des tours maîtresses de forme rectangulaire et aux angles arrondis.

Cependant cette méprise fut évitée par la plupart des historiens. Le vide laissé par la disparition du véritable donjon, en 1883, au pied de la courtine, fut toujours considéré comme son emplacement. Cet espace désert fait de la forteresse normande un édifice au dimensions réduites. M. Levalet indique à ce sujet qu’il n’a jamais dû avoir de fonction résidentielle. Il est vrai que le socle supposé ne permet pas d’envisager un édifice de plus de 100 m2 au sol.

Dans ses notes, le chanoine Pigeon précise que la terrasse sommitale du donjon forme un carré d’environ neuf mètres de côté, puis il se contredit en annonçant, dans son ouvrage sur le diocè se d’Avranches, que l’édifice mesurait neuf mètres de large sur seize de longueur. C’est à y perdre son latin !

Quant à sa date de construction, ces auteurs sont la plupart du temps très évasifs, même s’ils s’accordent à le faire remonter à l’époque ducale. Il est vrai que le contexte historique, évoqué précédemment, est propice à une installation du donjon entre le XIe et le XIIe siècle. Cependant, ses modestes dimensions, évoquées par Monique Levalet et relevées par le chanoine Pigeon, semblent atypiques pour un donjon anglo-normand de cette époque. D’autre part nous sommes en droit de nous interroger sur l’efficacité militaire et la fonction résidentielle d’une si petite construction, compte tenu de l’importance des puissants vicomtes d’Avranches.

En 1204, le rattachement de la Normandie à la France voit sans doute la destruction d’une partie du château par Guy de Thouars. Le donjon est-il touché à cette époque? Nul ne le sait. Fait-il l’objet de restaurations, en 1236, lorsque saint Louis rachète la vicomté et fait reconstruire les murs de la ville? M. Levalet pense que la courtine, notre fameux pseudo-donjon aujourd’hui crénelé, fut édifiée à cette époque. Pour l’archéologue, cette construction aurait pu dissimuler un passage entre la premiè re enceinte du château et la seconde. Nous pourrions alors parler de « courtine à gaine ».

Au XVe siècle, suite à la guerre de Cent Ans, les fortifications sont à nouveau refaites. Un second mur d’enceinte est construit autour de la ville, des fossés sont creusés au pied de cette nouvelle ceinture. En 1476, sur la place Baudange, en avant de la porte du même nom, un boulevard d’artillerie est bâti. à cette époque, malgré des sources plus nombreuses, le donjon n’est jamais évoqué dans le cadre des renforcements militaires. Est-ce parce qu’il n’a pas eu à souffrir de destructions? Ou tout simplement parce qu’il perd alors toute utilité défensive et résidentielle pour ne plus être qu’une simple tour ?

L’ensemble du château d’Avranches est déclassé au XVIIIe siècle. Les remparts, comme nous l’avons vu, sont vendus en parcelles. à la Révolution, le donjon n’est plus entretenu du tout. Un plan très précieux, conservé au fonds ancien de la bibliothèque d’Avranches et qui représente la ville au milieu du XVIIIe siècle, mentionne clairement le « château ruiné ». M. Levalet prétend qu’à cette époque l’édifice possède encore une toiture. Rien n’est moins sûr !

Le télégraphe Chappe prend place, en 1810, sur le donjon; une « cabane » est installée à son sommet: elle sert à abriter les préposés au télégraphe et supporte le mécanisme articulé. La terrasse est totalement inaccessible de l’intérieur. Le personnel doit emprunter l’escalier, toujours existant aujourd’hui, du mur de courtine voisin pour accéder au sommet de l’édifice ; aujourd’hui cet escalier est, d’une certaine manière, le seul élément qui subsiste du dispositif du télégraphe.

Le haut de la courtine constitue une plate-forme au même niveau que la terrasse. Un schéma, réalisé par le chanoine Pigeon, montre de quelle manière donjon et courtine étaient reliés. Ceci est également vérifiable dans un document conservé aux Archives du Calvados.

Un autre détail est à noter: il est impossible d’accéder à la terrasse depuis l’intérieur du bâtiment. Des passages ont probablement été obstrués après un premier affaissement du niveau supérieur de l’édifice, à une époque indéterminée.

Le donjon d'Avranches suite à son effondrement

Notre édifice, au début du XIXe siècle, est dans un bien curieux état. Beaucoup de conditions sont déjà réunies pour qu’en 1883 il s’effondre: l’installation du télégraphe Chappe et l’infiltration des eaux de pluie dans les maçonneries sont sans doute les causes majeures de cette catastrophe. En 1848, le percement de la rue Neuve d’Office provoque des dégâts irréparables.

Enfin des habitations sont venues s’adosser aux murailles médiévales; le propriétaire de l’une d’elle annexe une modeste salle voûtée interne au donjon; ce voisin a dû utiliser une ouverture médiévale, dans la paroi, pour s’arroger cet espace. Cependant il n’a aucune idée de l’incroyable volume de remblai compris, au-dessus de lui, entre « son réduit » et les télégraphistes.

Le 23 février 1883, c’est la rupture de cette voûte qui est à l’origine de la destruction de l’édifice. La presse relate longuement l’évèment.

Quoi qu’il en soit, le donjon est à terre. Cependant, et c’est paradoxal, les riverains ont eu à ce moment précis, sous leurs yeux malheureusement non avertis, un véritable « écorché » du bâtiment. En fait, seuls deux pans de murs se sont détachés et les entrailles de l’édifice sont alors visibles. Un photographe avisé, nommé Hodiesne, va immortaliser les ruines. Aujourd’hui, la bibliothèque d’Avranches conserve, par chance, trois clichés essentiels, dont deux véritablement inédits, qui nous permettent de mieux comprendre le donjon d’Avranches.

Les photographies de l’effondrement par Hodiesne

Ces trois photographies furent retrouvées, en 1998, lors du rangement de cartons non traités des Archives municipales d’Avranches. Et je reconnais qu’elles sont, en partie, à l’origine de cette étude du donjon. Ces clichés ont été pris peu après l’effondrement et sont signés par un photographe exerçant à Avranches à l’époque. Le chanoine Pigeon connaissait ces clichés, peut-être même en était-il le commanditaire. Ils présentent un grand intérêt pour la compréhension des vestiges qui subsistent et restituent une partie de l’espace intérieur du donjon. Chacune de ces images est prise sous un angle différent et apporte des renseignements complémentaires. Pour plus de clarté j’ai cru bon de les nommer respectivement PH1, PH2 et PH3.

L’image PH1 est sans doute prise depuis la fenêtre d’une maison de la rue des Fossés, en plongée vers le bas de la rue Neuve d’Office percée en 1848. On devine assez bien la hauteur du bâtiment et le muret qui entourait la terrasse du télégraphe. Il est, à mon avis, assez pertinent de comparer cette image à un dessin réalisé par le chanoine Pigeon.

Le point de vue choisi par ce dernier est quasi similaire à celui de Hodiesne, mais son exécution remonte avant l’effondrement. Ce croquis montre de quelle manière les maisons voisines venaient s’adosser au donjon. D’autre part le chanoine a représenté, telle qu’il l’a vue, la face est du bâtiment. C’est cette face qui est en ruine sur la photographie. Il mentionne, dans les maçonneries figurées, une ouverture cintrée comportant de la brique, ainsi qu’un contrefort circulaire. Quoi qu’il en soit, sur l’image PH1, cette façade orientale n’existe plus! Par contre son absence révèle un autre mur, également orienté nord-sud. Ce mur est traversé par une ouverture; c’est sans aucun doute le passage utilisé par le propriétaire de la maison voisine pour accéder à la fameuse salle voûtée, interne au bâtiment.

L’image PH2 est la seule à avoir été publiée et utilisée par Monique Levalet. La photographie est prise du haut de la tour Saint-Louis, le matin de l’effondrement ou très peu de temps après l’événement. Le photographe est tourné vers le nord. La masse des gravats est considérable.

Rien n’a encore été déblayé. Une voûte « émerge » des décombres. Cette image est essentielle car le mur de courtine, visible sur la droite, nous donne une échelle assez précise du site. Dans l’épaisseur du mur est, au même niveau que la voûte, le sommet d’une galerie est parfaitement identifiable.

Cette galerie ressemble à une « gaine », qui aurait permis, jadis, de circuler à l’intérieur du mur; et cette gaine aurait pu également communiquer avec la courtine qui prolonge le donjon au nord-est. Grâce à cette image PH2, je dois bien avouer que la confrontation avec le site actuel est édifiante.

Pour réaliser l’image PH3 le photographe s’est installé, cette fois-ci, au pied des ruines; c’est une vue en contre plongée depuis le bas de la rue Neuve d’Office. Un certain temps s’est écoulé depuis la réalisation de PH1 et PH2, une quantité considérable de gravats a été dégagée. On aperçoit maintenant, grâce à un plan serré, les deux faces intérieures découvertes par l’effondrement.

La terrasse du télégraphe, ou ce qu’il en reste, est parfaitement visible. En dessous de ce niveau extérieur, une salle se distingue nettement. Il s’agit du niveau comblé à une époque inconnue, suite à un premier affaissement.

Il est aisé de mesurer l’importance du remblai reposant sur la modeste pièce voûtée à présent découverte. Ce local n’est autre que celui évoqué par la presse locale peu avant sa destruction. Le mur massif, destiné à renforcer le voûtement, témoigne des efforts consentis par les occupants afin d’éviter sa ruine.

L’autre élément tout à fait remarquable est la galerie qui court dans le mur nord de l’édifice, au niveau supérieur. Cette gaine semble elle aussi communiquer avec la courtine. La paroi extérieure du mur nord semble s’évaser comme pour mieux s’y raccrocher. La gaine, observée sur PH2 dans l’épaisseur du mur est, était sans doute identique à celle-ci. Je suis également convaincu, devant ces indices, que la courtine du XIIIe était bien pourvue de gaines de circulation, et que ces dernières communiquaient avec le donjon. Je suggère également qu’il devrait être assez aisé d’accéder à l’intérieur de cette courtine en procédant à quelques percements.

Sur cette image, le mur qui clôturait le bâtiment à l’ouest, parallèlement au mur est, est lui aussi dégagé. Il comporte trois importantes ouvertures, ici plus ou moins obturées. Deux sont au niveau supérieur, une au niveau inférieur.

Étant donné l’appareil fort ancien, en opus spicatum, dans lequel elles sont comprises, ces ouvertures doivent être contemporaines de la construction du donjon. D’autre part ces percements ne ressemblent pas à de simples fenêtres donnant vers l’extérieur, à l’ouest, mais font franchement penser à de véritables « passages », à travers un mur de refend. Bien entendu, aucun espace n’existe plus derrière notre mur lorsque sont prises ces photographies.

Toutefois, si d’autres éléments venaient étayer cette ‘hypothèse d’un mur de refend interne’, l’édifice verrait son volume originel considérablement accru, au regard de ce qui était convenu jusqu’alors. Aussi, dès à présent, puisque ces indices existent bien, je décide d’appeler et de considérer ce mur comme « de refend ». Aujourd’hui, ce dernier est presque totalement détruit; toutefois, on voit assez bien, au centre de la fig 18, la façon dont il se prolongeait vers le sud.

L’analyse des vestiges et des photographies

Que reste-t-il du donjon à proprement parler? En fait, très peu de choses. Cependant le hasard a voulu que les aménagements réalisés suite à l’effondrement de 1883 aient préservé plusieurs mètres carrés d’appareil ancien, ainsi qu’un volume non négligeable de maçonneries. Il semble que jamais personne n’ait vraiment pris tout cela en considération.

Les pouvoirs municipaux de l’époque n’avaient bien évidemment pas de « conscience archéologique ». Après la catastrophe, ils veulent avant tout sécuriser le site. Un gigantesque mur de soutien va être plaqué contre la paroi interne du mur nord. Son but est de contenir l’important remblai de la propriété Bergevin, qui exerce une pression colossale sur la face extérieure du même mur.

Cette muraille imposante, toujours en place aujourd’hui (fig. 19), masque malheureusement beaucoup de détails sans doute très intéressants. La galerie de ce mur nord, visible sur PH3, a disparu. Le mur qui l’abritait a été arasé au niveau des jardins Bergevin.

Cependant, tout un ensemble de maçonnerie ancienne, passé totalement inaperçu, subsiste. Il se situe dans ces mêmes jardins Bergevin et surplombe le vide laissé par la disparition du donjon.

Ce « bloc » est composé de deux murs (fig. 20). L’un part en direction de l’ouest, dans le prolongement du mur nord arasé. L’autre, semblant appartenir au mur de refend, s’engage vers le sud, possède une ouverture aux jambages et au cintre de briques. Cette niche traverse ce mur de part en part et paraît bien être un ancien passage; du moins c’est ce que semble indiquer l’aspect tardif du muret qui l’obstrue (fig. 21).

à droite dans le passage, et dans l’épaisseur du mur, une autre galerie est ici intacte (fig. 22). Les claveaux de sa voûte ainsi que ses jambages comportent également de la brique. Ses parois semblent très anciennes au vu du mortier et de l’appareil très bien conservés. Ce couloir, étant donnée la proximité de la façade extérieure, devait mener à une ouverture face au nord.

Grâce à l’image PH3, tout cet ensemble très complexe a pu être identifié. Le mur partant vers le sud est bien ce qui reste de ce mur supposé « de refend ». Le passage voûté qui le traverse correspond sans ambiguïté à l’ouverture visible, dans l’angle supérieur à gauche, sur la photographie de 1883. L’hypothèse du mur de refend trouve ici, avec ce passage menant sur le vide, un argument en sa faveur. Lorsque nous sommes dans les jardins Bergevin, face à cette porte, il nous faut faire un effort d’imagination et admettre que nous nous situons en fait à l’intérieur du donjon disparu.

Si l’on quitte la propriété Bergevin pour se rendre au revers des maçonneries observées dans les jardins (fig. 23 et 24), nous nous retrouvons alors au pied de vestiges beaucoup plus évocateurs. Arrivés impasse du Télégraphe, environ 6 m en contrebas, nous découvrons l’angle formé par les deux murs fuyant respectivement vers l’ouest et le sud. Des traces de rubéfaction sont visibles sur les deux parois, les appareils semblent forts anciens.

Une photographie (fig. 25) prise en 1944 depuis le haut de la rue Neuve d’Office, à l’endroit de sa jonction avec la rue Chevrel, nous renseigne encore. On se rend compte que, après les bombardements américains du mois de juin, le mur de refend conservait une bonne partie de son élévation. Cette image réalisée par M. Le Noan, photographe à Avranches, présente la face occidentale du mur. Le passage, pas encore obstrué, y est parfaitement visible. Ce document apporte la preuve que les dommages de la libération n’ont pas épargné le donjon. Les bombes ne firent pas tomber directement ces vestiges essentiels, portant sans doute les traces des ouvertures observées sur PH3, mais le fragilisèrent, obligeant ainsi les autorités à le faire disparaître.

Les images de Hodiesne nous livrent un élément fort intéressant: les parois internes de l’édifice étaient appareillées en opus spicatum. Or, en 1827, deux « antiquaires » font quelques observations qui corroborent ce détail architectural: Arcisse de Caumont et le dessinateur Charles de Vauquelin. Celui ci réalise un dessin (fig. 9), ensuite lithographié par N. Périaux, à Rouen, et intitulé « Les ruines du château d’Avranches ». Cette œuvre, assez souvent reproduite, représente la portion de fortification comprise entre la tour Saint-Louis et le mur de courtine. Le rempart, même s’il est bien endommagé, se prolonge sans interruption entre ces deux ensembles. La rue Neuve d’Office n’est pas encore percée. Le point de vue est assez similaire à celui choisi par le chanoine Pigeon (fig. 13), à ceci près que la rue en question n’est pas encore percée lorsque de Caumont et de Vauquelin viennent à Avranches.

La perspective de ce dessin est assez perturbante. Elle semble faussée; la façon dont le mur oriental du donjon est figuré laisse perplexe. Il se divise en plusieurs pans. Deux sont convexes et se raccordent à un contrefort circulaire. En fait on ne comprend pas si ce dernier est adossé au mur ou s’il se trouve dans un angle. La portion de mur se raccrochant à la tour Saint-Louis est, à mon avis, à l’arrière-plan. Il s’agit probablement du mur de refend dégagé par la chute d’un partie de la façade orientale.

Dans sa notice explicative du dessin, très succincte il faut l’avouer, Arcisse de Caumont ne fait que noter les appareils en place. C’est sans doute ce qu’il y a d’essentiel à retenir ici.

Deux appareils bien distincts sont clairement relevés par l’auteur. L’un, en arêtes de poisson, est présent sur toutes les parois comprises entre la tour Saint-Louis et le mur de courtine. L’autre appareil, fait de moellons horizontaux, est justement celui de ces deux constructions. Cette différence d’appareil permet d’envisager deux phases de construction successives. Les maçonneries présentant de l’opus spicatum sont vraisemblablement les plus anciennes.

Le chanoine Pigeon mentionne lui aussi l’opus spicatum qu’il observe sur la face orientale du donjon, avant l’effondrement. Aujourd’hui, à plusieurs endroits, des traces de cet appareil ont été conservées. De ce fait, bien que l’édifice ait disparu, les observations faites par les deux antiquaires et par le chanoine restent en partie possibles: les moellons horizontaux de la tour Saint-Louis et du mur de courtine, toujours en place, contrastent avec plusieurs parties plus anciennes épargnées par le temps et éparpillées sur le site.

Il reste notamment, in situ, des pans importants du mur hypothétique de refend où subsistent des arêtes de poisson sur ses deux faces et sur presque toute sa hauteur (fig. 26 et 27). Des témoignages similaires des façades extérieures orientale et septentrionale du donjon sont également en place. Il en va de même pour les parois du passage et de la galerie murale identifiés précédemment.

Un mur très spectaculaire, aux caractéristiques similaires, peut également être observé au sud de la zone (fig. 28). C’est dans ce même mur, à sa base, que l’on trouve les réemplois gallo-romains. Cette construction, jugée trop éloignée de l’emplacement présumé du donjon, a toujours été déconsidérée.

La grande homogénéité de ces vestiges est véritablement étonnante. D’autre part, tous ces indices, une fois positionnés sur un relevé actuel du site, révèlent l’ampleur du secteur où sont localisés les vestiges anciens. Ce secteur dépasse largement la stricte emprise au sol de l’édifice écroulé en 1883.

En 1988, Alain Legrand, géomètre à Avranches, a effectué des relevés précis du site pour la Société d’archéologie d’Avranches. C’est sur ces relevés que je m’appuierai afin de proposer, après mes observations sur le terrain, une restitution du plan du donjon et des hypothèses quant à ses dimensions.

Une première remarque évidente porte sur les mesures données par le chanoine Pigeon dans ses notes, puis reprises par M. Levalet. Ils proposent une largeur de 8 m 60; cela nous semble inexact.

D’après mes observations reportées sur le plan, ce que les deux historiens considèrent comme la largeur de l’édifice, c’est-à-dire la distance entre la façade est et le mur lui faisant face à l’ouest, mesure 11 mètres hors tout. Pigeon a établi sa mesure depuis la terrasse du télégraphe, or la mienne est prise aux pieds des deux murs, sans doute inaccessibles au XIXe siècle; ceci explique sans doute une telle différence.

Cependant mon avis diverge de ceux du chanoine et de M. Levalet pour une autre raison fondamentale: grâce au positionnement des vestiges sur le plan de A. Legrand, je suis convaincu que leur mur occidental est bien un mur de refend: le donjon n’était pas de forme carrée et il ne s’étendait pas sur une dizaine de mètres seulement, vers le sud.

Je suggère que les deux murs, mur est et mur de refend, se prolongeaient jusqu’au mur, situé environ 30 mètres plus au sud, considéré depuis toujours comme la limite de la première enceinte. Si l’on admet que l’espace, à l’ouest du mur de refend, était au moins égal à son jumeau situé à l’est, nous multiplions par six les dimensions du donjon d’Avranches!

Ce fameux mur sud est particulièrement « riche ». Ses deux faces présentent de l’opus spicatum. C’est dans ses fondations, au pied de sa face interne, au nord, que d’impressionnants réemplois gallo-romain sont visibles. On peut donc bien affirmer que de tels réemplois existent dans les fondations du donjon.

Au revers de ce mur, c’est-à-dire sur la face extérieure du mur sud, on observe encore le même appareil (fig. 30)! Et cette fois-ci on constate la présence de moellons aux tailles sensiblement différentes: des rangées identiques à toutes les autres pour l’ensemble de la maçonnerie, puis des modules nettement plus gros à la base du mur. De ce côté du mur, exactement dans l’alignement et le prolongement du mur de refend qui aboutissait sur l’autre face, un bloc maçonné, visiblement ancien, fait saillie: un contrefort extérieur au milieu du mur sud (fig. 31)!

Notre bâtiment prend alors la forme d’un quadrilatère irrégulier. Il possède une vingtaine de mètres en largeur. La longueur de sa face orientale est d’environ 35 m, celle du mur de refend de 30 m, sa face occidentale, dont il ne subsiste rien, est un peu plus courte.

De la chance… un plan… la preuve

Cette étude sur le donjon d’Avranches aurait pu s’arrêter ici. Seulement, parfois, le hasard vient bouleverser les choses. En effet, un document conservé depuis des décennies par des particuliers est sorti opportunément de l’oubli!

Le mardi 13 novembre 2001, un habitant de la vieille ville, souhaitant connaître l’intérêt d’un plan qu’il venait de redécouvrir parmi des cartons, est venu me rencontrer au fonds ancien de la Bibliothèque municipale. Je fus bien surpris de constater que ce monsieur détenait vraisemblablement le plan original dessiné et aquarellé en 1775 par l’ingénieur Lefebvre. Ce document exceptionnel n’était connu, jusqu’alors, que par des copies.

Les copies du plan de 1775. – Plusieurs historiens et érudits locaux ont utilisé des reproductions de ce plan, à toutes époques. D’ailleurs, une nouvelle fois, c’est vers le chanoine Pigeon qu’il faut nous tourner. Ce dernier, dans son Histoire du diocèse d’Avranches, mentionne un plan d’Avranches réalisé par le nommé Lefebvre.

Le chanoine Pigeon copie, à une date inconnue, ce plan de la vieille ville, où figurent toutes les fortifications médiévales; cette reproduction appartient aujourd’hui aux collections du Musée municipal.

La Société d’archéologie, après avoir fait redessiner la copie du chanoine, l’imprime et la publie. Jacques Fauchon réutilise ce document imprimé ainsi que des détails du plan du chanoine Pigeon manuscrit. M. Levalet l’emploie aussi dans son étude des fortifications d’Avranches. La version imprimée du document lui sert de base pour sa reconstitution.

Le plan de 1775. – Autant dire qu’à première vue ce plan, même s’il est ancien et peut-être original, ne semble pas avoir grand chose à nous apprendre. Pourtant après l’examen rapide que j’ai pu en faire, quel ne fut pas mon étonnement de découvrir la présence, dans le secteur de la première enceinte, de murs jamais figurés dans les copies connues.

Sur ce document, deux longs murs quadrillent cette zone et se croisent perpendiculairement. L’un de ces deux murs n’est autre que le mur de refend. L’autre est une construction jamais envisagée jusqu’à maintenant: un mur parallèle au mur nord, qui se raccorde à l’est à la face orientale du donjon et s’interrompt à l’ouest, tout en semblant se poursuivre beaucoup plus loin. Autre surprise: la façade orientale n’est pas rectiligne; dans son extrémité sud, à peu prè s au deux tiers de sa longueur, une série de décrochements rappellent une succession de contreforts.

Dans ces deux documents évoqués précédemment, l’enceinte du château, comprise entre la porte Baudange, la tour Saint-Louis et le mur de courtine, forme un vaste secteur visiblement dépourvu de toute construction. Le chanoine Pigeon et M. Levalet mentionnent timidement, par un léger grisé ou quelques hachures, l’emplacement qu’ils supposent du donjon.

Ce plan retrouvé, qui est avant tout un relevé en vue d’aménagements importants dans ce secteur, prouve que le percement de la rue Neuve d’Office, en 1848, est la cause principale de la destruction du donjon. En effet, cette rue, seule réalisation concrète de ce qui était projeté par Lefebvre, ne passe pas simplement « au pied » du donjon médiéval, mais le traverse de part en part, et d’ouest en est. Le mur de refend a été écourté lors des travaux. Les ingénieurs ne le détruisent pas complètement. Cela s’explique sans doute par la construction d’une habitation contre sa face occidentale, entre le dessin du plan et 1848. Cette maison, à mon avis celle de monsieur Briens, me permet d’expliquer la préservation « accidentelle » d’importants vestiges, comme ce moignon de mur de refend. L’existence de maisons collées aux murailles explique qu’un arasement complet du donjon n’ait pas pu avoir lieu.

En fusionnant à présent les données exposées précédemment avec les renseignements livrés par ce document, le donjon d’Avranches commence à se dessiner. Après la conversion des mesures en toises et leur report sur le relevé de A. Legrand, le quadrilatère envisagé après relecture des vestiges se trouve ici confirmé de façon irréfutable. Ses dimensions deviennent plus précises: sa largeur est d’environ 26 m, tandis que ses flancs ouest et est mesurent respectivement 34 m et 36 m de long.

Quatre grands « compartiments » le composent. Le plus grand, dans l’angle nord-ouest, mesure 14 m x 21 m tandis que son voisin, de l’autre côté du mur de refend, a une largeur de 7 m. Au sud de l’édifice, au delà du nouveau mur découvert sur le plan de Lefebvre, deux autres volumes se dessinent. Le premier, à l’ouest, fait approximativement 7 m x 14 m. Le second, de forme plus curieuse, mérite que l’on s’y attarde.

La série de contreforts, envisagée plus haut, constitue la partie extérieure de cet espace, au sud-est. Cet enchaînement rompt la rectitude de la façade est du donjon et forme une saillie. Je suis tenté de voir, à l’endroit de ce dernier compartiment, l’emplacement d’une chapelle.

Ses nouveaux contours, ainsi que sa structure interne, donnent soudain à ce donjon un véritable « air anglo-normand ». Je pense ici en particulier à la Tour de Londres et à celle d’Ivry-la-Bataille. Ivry est d’ailleurs considéré comme le modèle ayant inspiré les architectes londoniens. Si l’on compare les plans de ces deux édifices avec celui d’Avranches, les ressemblances sont nettes. Les orientations, les structures internes et les proportions sont similaires dans les deux cas. Toutefois c’est bien avec la Tour de Londres que tout s’éclaire !

Le donjon d’Avranches, reconstitué par mes soins, devient une sorte de réplique de la tour du Conquérant. Les volumes divisés par le mur de refend et leur disposition sont identiques. La chapelle évoquée à l’instant dans ma restitution est bien au même endroit dans la Tour de Londres. Enfin, les dimensions sont étonnamment proches. Notre édifice pourrait donc être une copie du donjon de Guillaume; à moins que ce ne soit l’inverse. La Tour Blanche fut bâtie après 1066, qu’en est-il du donjon d’Avranches ?

Au sujet de l’élévation originelle du bâtiment il est bien difficile de se prononcer précisément. Grâce aux documents divers dont je viens de faire la présentation, deux niveaux intérieurs sont parfaitement identifiables. La salle voûtée reposait sur le rocher et constituait, avec trois autres compartiments, le rez-de-chaussée du donjon. Lors du percement de la rue Neuve d’Office le rocher a été arasé d’environ deux mètres en dessous de son affleurement naturel. Les réemplois gallo-romains, visibles dans les fondations du mur sud, étaient par conséquent enterrés et parfaitement invisibles. On imagine facilement l’ampleur des couches archéologiques internes au donjon détruites au cours de ces travaux.

Au-dessus du rez-de-chaussée plusieurs salles, dont sans doute une chapelle, communiquaient avec l’espace visible sur PH3. Il pourrait y avoir eu, au niveau de la terrasse, un étage supplémentaire. Les dimensions au sol de l’édifice permettent largement d’imaginer l’existence d’un troisième étage. Le remblaiement du second niveau s’expliquerait ainsi par la ruine de cette partie supérieure.

D’autre part il ne faudrait pas omettre à présent une curiosité propre à ce donjon: il comporte dans ses fondations des réemplois gallo-romains. Voilà la vieille idée de l’ascendance antique du donjon d’Avranches qui resurgit! La réutilisation d’une muraille antique pourrait expliquer la fuite du mur sud vers l’angle sud-est du bâtiment.

Une étude archéologique approfondie du bâti devrait faciliter la lecture des divisions internes du donjon et permettre d’établir des emplacements de planchers. Il est certain que, avec quelques fouilles bien choisies sur le site, on y verrait plus clair.

Hypothèses de datation au vu des particularités techniques et architecturales du donjon

L’utilisation de l’opus spicatum est fort ancien, puisqu’utilisé depuis l’époque carolingienne. Elle perdure dans l’architecture castrale, semble-t-il, jusqu’à la fin du XIIe siècle. Dans l’Avranchin son utilisation paraît relativement tardive et semble remonter à la fin du XIe siècle et au XIIe siècle. Ce type d’appareil apparaît dans quelques édifices religieux n’ayant pas fait l’objet d’étude, aussi je ne peux pas le considérer comme un élément de datation fiable et précis. Toutefois je me permets d’en citer quelques-uns pour mémoire. Dans le cas d’Avranches, ce type d’appareil m’aura surtout permis d’identifier et d’associer des vestiges contemporains.

à quelques kilomètres d’Avranches, le prieuré de Saint-Léonard présente un appareil en opus spicatum. La construction est datée généralement du XIIe siècle, même si sa donation à l’Abbaye aux Hommes de Caen est attribuée traditionnellement à Guillaume le Conquérant au moment de sa mort, en 1087. Les moellons de schiste ainsi que leur disposition dans les maçonneries sont sensiblement différents de ce que l’on observe à Avranches pour le donjon.

L’église du Tanu, prè s de la Haye-Pesnel, à une vingtaine de kilomètres d’Avranches, est un édifice roman parfaitement ignoré. Les parois extérieures du vaisseau unique comportent eux aussi de beaux exemples d’opus spicatum. L’église de Saint-Planchers, proche de Granville, conserve, elle aussi, quelques traces moins spectaculaires d’opus spicatum.

Le chanoine Pigeon a dessiné dans ses carnets l’église d’Ardevon avant qu’elle ne soit reconstruite, comme beaucoup d’autres, au XIXe siè cle; ces esquisses constituent un témoignage très précieux. Le chanoine a en effet observé sur l’ensemble des maçonneries un appareil en arêtes de poisson ainsi que de minces ouvertures faites de briques. Ce type d’association, brique et arêtes de poisson, est tout à fait intéressant puisqu’on le rencontre, comme nous l’avons vu, au donjon.

Les deux seuls édifices, proches d’Avranches et toujours debouts, à présenter de telles particularités sont les églises de Saint-Jean-le-Thomas et de La Godefroy. à Saint-Jean-le-Thomas c’est surtout un magnifique appareil réticulé qui domine. Cette église classée est considérée comme la plus ancienne du département. Sa construction pourrait remonter aux environs de l’an mil. Mais aucune datation véritable n’a été effectuée. à La Godefroy l’opus spicatum est repérable sur plusieurs murs extérieurs. Une ouverture aux claveaux de brique est parfaitement conservée dans la paroi septentrionale de la construction.

La brique. – J’ai relevé, pour le donjon, au moins 5 modules différents de brique, entre les jambages des deux arches et les claveaux de leurs voûtes (26 x 24 x 4,5 cm; 24 x 22 x 4,5 cm; 24 x 19 x 4,5/5 cm; 24 x 16 x 5 cm et 22 x 16 x 5/6 cm). Il est également possible de faire une différence au niveau de leur textures. Les briques utilisées pour les jambages des ouvertures sont d’un rouge plus foncé, presque pourpre, tandis que celles des claveaux sont beaucoup plus orangées.

Si l’utilisation de la brique est attestée à l’époque carolingienne, on continue de la rencontrer dans des édifices plus tardifs comme le château de Mayenne. Ce matériau est aussi utilisé, plus près d’Avranches, au Mont-Saint-Michel dans l’église Notre-Dame sous terre, datée peut-être de la fin du Xe siècle, ou bien encore, comme nous venons de le voir, à Saint-Jean-le-Thomas et à La Godefroy. Mais, une nouvelle fois, il faut rester très prudent avec de tels emplois. La brique a-t-elle été fabriquée à cette époque? S’agit-il ici d’un réemploi? Il est bien difficile de s’avancer. Le mortier utilisé dans les maçonneries de ces vestiges semble lui aussi fort ancien.

Une étude approfondie de l’utilisation de la brique dans l’Avranchin aux XIe, XIIe et XIIIe siècles serait du plus grand intérêt. Etant donné les nouvelles techniques de datation consistant à l’analyse des briques et des mortiers anciens, on peut espérer voir bientôt l’étude d’échantillons prélevés sur le site.

Les galeries murales. – Les galeries murales nous rappellent de nombreux donjons ayant fait l’objet d’étude. Je pense ici notamment aux deux édifices anglo-normands que sont la Tour de Londres et le donjon de Rochester situé entre Cantorbury et Londres.

L’édifice construit par Guillaume, peu de temps aprè s la Conquête, présente un ensemble de galeries murales qui entourent complètement les espaces de vie du bâtiment. Voilà encore un détail qui le rapproche de notre donjon. Le donjon de Rochester, bien que plus tardif puisqu’il date du XIIe siècle, est tout de même un bel exemple d’édifice à galerie murale. Il est vraisemblablement très inspiré de la Tour de Londres.

Enfin, pour prendre un exemple français de donjon à galeries, faisons référence à Loches en Touraine, dont la construction remonte au début du XIe siècle. Jean Mesqui, dans son étude de la tour maîtresse du donjon de Loches, fait la description de quatre galeries internes aux murs du bâtiment. Sur ces quatre galeries, trois sont pour lui des espaces de retrait des occupants, « affectés à des usages intimes, liés à l’hygiène ». La quatrième mène à un escalier conduisant aux étages.

La galerie visible sur les clichés de 1883, dissimulée dans le mur nord, aurait pu aboutir à un escalier menant au niveau inférieur, ou bien, à partir du XIIIe siècle, à une gaine interne au mur de courtine. à moins que ce ne soit, comme à Loches, une impasse ayant une fonction domestique. En ce qui concerne la petite galerie évoquée précédemment on pourrait très bien être en présence d’une issue vers l’extérieur ou bien d’un espace privé à usage de latrines.

Les contreforts. – La dernière particularité architecturale du donjon d’Avranches réside dans le renforcement de sa façade orientale par, au moins, un contrefort circulaire. Hélas, aujourd’hui rien ne subsiste de cet élément, connu uniquement grâce aux dessins de Vauquelin et de Pigeon. On peut supposer qu’il n’était pas le seul de ce type à flanquer le donjon et que les contreforts mentionnés par Lefebvre étaient eux aussi circulaires mais sur une base « carrée », d’où leur forme sur le plan.

Le chanoine parle de « colonne contrefort » et de « contrefort en forme de colonne élégante », dont « la base plus saillante présentait des débris antiques » et dont « le fût était orné de deux anneaux en brique rouge ». Ces descriptions sont intéressantes car la mention de vestiges antiques pourrait permettre de voir dans une partie de la courtine, à l’endroit de sa jonction avec le donjon, l’encastrement d’un second contrefort. Ce contrefort, aujourd’hui peu lisible, l’est un peu plus sur les images de Hodiesne. Il présente à sa base des réemplois gallo-romains et notamment un fût de colonne qui pourrait aussi être antique.

Quoiqu’il en soit, les contreforts circulaires sont plutôt absents du vocabulaire architectural des donjons normands. Ces éléments de raidissement des murs se rencontrent surtout dans la région Poitou-Vendée, comme à Civaux dans la Vienne ou bien Châteaumur, Pouzauges et Tiffauges en Vendée. Peut-on une nouvelle fois établir un rapprochement formel avec la tour maîtresse de Loches? Faute d’indices archéologiques plus précis il est bien délicat de se prononcer.

En conclusion

Ivry-la-Bataille, la Tour de Londres, le donjon de Loches, voilà des éléments de comparaison prestigieux pour le donjon d’Avranches! On pourra me reprocher d’avoir occulté beaucoup d’autres édifices majeurs: Domfront, Falaise, Chambois ou encore Caen auraient bien pu, eux aussi, illustrer ma présentation. Cette mise à l’écart de ma part s’explique par le manque de similitudes flagrantes avec ces derniers édifices. En outre, je suis convaincu, au regard des particularités architecturales et techniques, de la grande précocité du donjon d’Avranches.

Les dimensions du donjon d’Avranches, reconsidérées et accrues grâce à la découverte de nouveaux éléments, en font enfin un lieu de résidence digne des puissants vicomtes d’Avranches; un palais à la mesure du faste décrit par Orderic Vital et du rôle important joué par ces puissants barons, aussi bien avant qu’après la conquête.

La redécouverte de ce « monstre » nous renvoie également à ce que Jean-Victor Tesnière de Brémesnil écrivait dans son manuscrit, au sujet du bâtiment qu’il pouvait encore observer en 1810: « Dans l’intérieur et au sud de le ville était construit le château qui servait en même temps de résidence aux gouverneurs: l’artillerie était placée sur ses remparts, il renfermait une salle immense voûtée dont on aperçoit encore les restes et qui servait, soit de garnison, soit de caserne à la garnison, soit de dépôt pour les prisonniers, ou de magasin d’armes et de machines de guerre ».

Cette « salle immense voûtée » vue par de Brémesnil pourrait bien correspondre à l’un de ces espaces internes que je viens d’envisager.

Les liens avec l’Angleterre…

Dominique Pitte voit en la tour d’Ivry un chaînon de l’évolution entre Doué-la-Fontaine et la Tour de Londres.

Il faut maintenant compter avec le donjon d’Avranches qui semble participer, lui aussi, à cette évolution.

Nous avons retrouvé au coeur de la ville, un exemple de donjon quadrangulaire du début du XIe siècle.

Ses dimensions impressionnantes, son système d’espaces internes complexe et ses galeries murales font de lui un prototype spectaculaire de donjon anglo-normand.

Les comtes d’Avranches…

La fondation précoce de cette forteresse se justifierait par la prise en main militaire des parties occidentales de la Neustrie, au début du XIe siècle. Cassandra Potts a démontré de façon fort convaincante comment les premiers comtes d’Avranches et de Mortain se succédèrent.

Le premier d’entre eux fut installé à Avranches par le duc de Normandie, Richard Ier (+996), peu avant l’an mil. Des chartes originales du XIe siècle révèlent la présence d’un comte Robert à Avranches, fils illégitime du duc. Par la suite il semble que le fils de ce Robert, nommé Richard, lui succède pour une durée assez courte. Ce dernier est banni pour avoir usurpé des terres de l’abbaye de Fleury et ensuite participé à la conspiration contre son oncle le duc Richard II (+1026).

à cette époque, c’est-à-dire avant 1026, Guillaume Werlenc se voit attribuer l’Avranchin et le Mortainais. Guillaume Werlenc est lui aussi un membre de la famille ducale; comme son cousin Richard, le félon, il est un des neveux du duc Richard II.

Mais Guillaume Werlenc sera contraint, lui aussi, de quitter Avranches, chassé par le duc Guillaume pour trahison… Werlenc s’enfuit visiblememt, avec beaucoup d’autres barons rebellés, en Italie du sud.

A cette époque, le comté d’Avranches est coupé en deux ensembles : le comté de Mortain et la vicomté d’Avranches. Notre cité perd son titre comtal et dépend désormais de Mortain dirigée par Robert, demi-frère du duc.

Un autre personnage entre alors en scène : Richard Goz, vicomte d’Avranches, prend possession du donjon vers 1055.

Son fils Hugues, dit le Loup, sera propulsé aprè la Conquète au sommet de la hiérarchie aristocratique normande…

Les ducs de Normandie…

Il apparaît clairement que les ducs, siégeant alors à Rouen, se sentent éloignés de cette partie du duché. Ils choisissent de confier à de proches parents cette région hautement stratégique. L’Avranchin, situé aux confins occidentaux de leur territoire, est exposé à des rivalités politiques incessantes face à la Bretagne et au Maine. Il est aisé de comprendre la démarche de Richard Ier et de Richard II: ils souhaitent s’appuyer sur des membres de leur famille, en théorie fidèles, plutôt que de faire confiance à de quelconques barons faisant passer leur fortune personnelle avant les intérêts ducaux! Dans ce contexte très précis, Avranches devient une capitale militaire primordiale pour la stabilité du jeune duché. Cette importance politique est renforcée par la présence, au sein des murs de la cité, de l’un des sept sièges épiscopaux normands.

Au vu des données historiques exposées par C. Potts, je suis convaincu que Robert d’Avranches, puis son neveu Guillaume Werlenc, sont les véritables instigateurs du donjon d’Avranches. La construction de cette forteresse se conçoit parfaitement dans le contexte frontalier du pays mais aussi du fait des liens privilégiés qui unissent alors Avranches au pouvoir ducal. Edward Impey avance à ce sujet qu’une telle construction, au côté de celles de Rouen et d’Ivry-la-Bataille, devait posséder un statut particulier: ces « tours maîtresses » construites au commencement de la période ducale étaient sans doute étroitement associées, ainsi que les comtés eux-mêmes, au pouvoir des ducs. D’autre part, E. Impey signale très justement l’importante valeur symbolique de cet édifice au cÏur d’une nouvelle capitale comtale au début du XIe siècle.

Une interrogation reste soulevée quant à la longévité de l’édifice dans sa fonction résidentielle première. à quelle époque remonte son véritable démantèlement, puisque l’effondrement de 1883 n’est que la conclusion fâcheuse de toute une série de destructions préliminaires? Cette question pourrait peut-être trouver des éléments de réponse si nous considérons un vaste édifice, également situé dans la vieille ville fortifiée, non loin du pôle épiscopal. Il s’agit du Grand Doyenné.

Ce bâtiment énigmatique, dont plusieurs parties portent la marque des XIIe et XIIIe siècles, mériterait une étude approfondie. Cette vaste construction, mesurant plus de 20 mètres de longueur sur près de 10 mètres de largeur, est un grand hall sur cellier voûté d’arêtes dans un état de conservation spectaculaire. Un chamber bloc devait être attenant, à l’est dans l’axe. Devant une telle « résidence », le scénario d’un déplacement de l’habitat seigneurial, au sein de la vieille ville, se dessine.

Suite aux destructions de 1204, je pense que le donjon perd son rôle de résidence; il s’agit alors de tirer un trait sur ce symbole du pouvoir normand. Les fortifications sont réparées par le pouvoir royal, mais il est fort probable que l’édifice ne conserve qu’une fonction défensive. Ceci expliquerait notamment l’adjonction, à cette époque, de la courtine à gaine. C’est peut-être pour remplacer le donjon dans sa fonction résidentielle que l’on construisit alors l’immense logis, dit du doyenné, afin d’y recevoir les hôtes de marque.

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