L'abbaye en 3D ?

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Des civilisations successives ont laissé, ici, de nombreux vestiges attestant la permanence d’une tradition religieuse sans doute aussi vieille que l’Homme.

De cette tradition, tout naturellement, apparaît au Moyen-Âge une floraison de monastères dont la Fédération des Abbayes du Languedoc fait ressurgir la mémoire des plus marquants.

C’est, offert à un public chaque jour plus nombreux et plus sensible, un ensemble remarquable de hauts lieux de paix, d’harmonie, de ressourcement et de renaissance d’une spiritualité profonde dont notre époque a tant besoin, et dont les plus connus sont Saint-Guilhem-le-Désert près de Gignac, l’abbaye de Sylvanès dans les montagnes aveyronnaises de Camarès, Saint-Michel-de-Grandmont au-dessus de Lodève, Fontfroide et Lagrasse sur la route des Corbières, Fontcaude près de Nissan-lès-Ensérune, et l’abbaye Saint-Marie-de-Valmagne sur la commune de Villeveyrac, près de Mèze et de l’étang de Thau.

Valmagne depuis 1838 dans la même famille

À la mort de M.Garnier, l’abbaye et le domaine furent revendus par sa veuve et ses héritiers, à la barre du tribunal de Montpellier en juillet 1838.

Le bénéficiaire de cette adjudication dut Henri-Amédée-Mercure, comte de Turenne, marquis d’Aynac, pair de France, maréchal de camp, il sera grand officier de la Légion d’honneur en 1852, demeurant à Paris, rue « Royale-Saint-Honoré » au n°6 et au château de Pignan près de Montpellier. Cette acquisition fut faite avec la permission de l’évêché. D’ailleurs, par le Concordat de 1801, l’Église s’était interdit de revendiquer les biens nationalisés par les lois révolutionnaires.
Issu de la quatrième lignée des vicomtes de Turenne qui, par le mariage, s’étaient installés dans le Languedoc, il était le fils de la comtesse de Turenne née Pauline Baschi du Cayla, qui descendait à la fois de Louis VI par sa fille Constance de France, et de Saint Louis par son fils Robert de France, comte de Clermont.
Complètement restaurée dans la seconde moitié du siècle dernier, l’abbaye ne fut jamais revendue, et se trouve actuellement dans la descendance du comte de Turenne, mais les difficultés que pose de nos jours l’entretien d’un tel édifice sont toujours croissantes, aussi la responsabilité en est-elle à la fois merveilleuse et angoissante.
On visite le magnifique vaisseau gothique, et au sud, le cloître inondé de lumière et scintillant de couleurs. Il n’a certes pas cette rigueur voulue par saint Bernard, mais le charme exquis des jardins de Toscane, apporté par les abbés d’origine florentine dans ce Languedoc où les lignes, les formes, la lumière rappellent les paysages de Giotto.

LA FONDATION


Le rattachement à Cîteaux et une extraordinaire expansion

Dans des temps très anciens, il existait au diocèse d’Albi un monastère bénédictin du nom d’Ardorel Il était rattaché à Fontevraud. Les moines y étaient fort nombreux. Mais au printemps de l’année 1139, à la suite de Foulques, abbé, un assez grand nombre de religieux quittèrent le monastère, et à travers les monts de Lacaune et ceux de l’Espinouse, gagnèrent les rivages lumineux de la Méditerranée.

Ils s’arrêtèrent non loin de Thau, dans l’immense territoire de « Tortoriera », la « Tourtourière », couvert de garrigues, refuge des bêtes sauvages et dont la circonférence était d’environ six lieues.
Dans cette enceinte se trouvait un tènement appelé depuis des siècles Vallis Magna ou Villa Magna, près d’une source abondante, et abrité des vents du nord par des rochers s’élevant comme une muraille et découpés comme des dentelles, à proximité de l’ancienne Via Domitia qui reliait, à l’aube de notre ère, la Gaule narbonnaise à l’Empire romain.
Les puissants seigneurs de Cabrières avaient appelé ces religieux pour fonder, dans le diocèse d’Agde, un monastère. Aussitôt Raymond Trencavel, fils de Bernard Aton IV, fondateur d’Ardorel, confirma cette donation dans ses droits. La règle austère de ces moines l’avait édifié, et cette nouvelle fondation permettait de placer ceux des moines que leur monastère ne pouvait plus contenir tant ils étaient nombreux.

Le 25 août 1139, Raymond, évêque d’Agde, sanctionna la donation de Trencavel, ainsi que celles de Guilhem Frézol, Guilhem de Montpellier , Guilhem de Montbazin, Adelaïd de Sainte-Eulalie, Pierre Pradines et Pierre Guilhem, seigneur de Montferrier, et qui, avec le vicomte de Béziers, avaient participé à cette pieuse fondation placée sous l’autorité de Cadouin en Périgord, et suivant la règle de saint Benoît.
Mais le deuxième abbé de Valmagne, Pierre, voulut dès 1144, l’incorporer à Cîteaux qui avait grande audience en ce temps.
Depuis qu’en 1098, Robert de Molesme avait fondé le «  Novum Monasterium » qui devait devenir Cîteaux, où le but était le retour à la règle originelle de saint Benoît par la pauvreté, la pénitence et la solitude, le développement de l’Ordre avait suivi une progression stupéfiante.
Les cinq fondations principales, La Ferté, Pontigny, Clairvaux et Morimond donnèrent, avec Cîteaux, naissance à des filiales qui s’épanouirent dans toute la chrétienté, pour atteindre à la fin du Moyen-Âge le chiffre de 749. La plus importante de ces abbayes cisterciennes, après Cîteaux, chef de l’Ordre, c’est Clairvaux, et Clairvaux c’est saint Bernard, que l’on considère « comme le deuxième Père des Cisterciens, tant sa personnalité, son ascendant et sa doctrine ont marqué l’Ordre tout entier ».
Sorte de génie universel, à l’époque de Frédéric Barberousse, Philippe Ier, Louis VI et Louis VII, des rois de Léon  et de Castille, de l’abbé Suger et des papes Innocent II  et Innocent III, il eut une autorité que nul ne pouvait ignorer. Il prêcha la deuxième croisade à Vézelay, fut le plus grand écrivain de son temps, combattant de tous ceux qui cherchaient querelle à l’Église, arbitre entre les nations, les évêques et le pape désunis.

Reçu à Cîteaux à 23 ans, Bernard, né en 1092, en était ressorti pour fonder sa propre solitude, où il entendait renouer avec la tradition monastique la plus ancienne et pousser le renoncement jusque dans le domaine de l’art, où, dans son Apologie, il ne veut voir qu’une source de dépenses superflues et de distractions néfastes à la méditation, dénonçant ainsi le luxe de Cluny. C’est pourquoi  l’architecture cistercienne devait répondre à une disposition traditionnelle peu différente à quelques détails près, de celle des monastères bénédictins, mais par sa simplicité, sa pauvreté, son dépouillement, créer le milieu propice à la prière et au recueillement.
Le rattachement de Valmagne à Cîteaux ne se fit pas sans difficultés. Pierre, muni du consentement des religieux, écrivit au pape Eugène III pour obtenir une dispense d’obéissance envers les abbés de Cadouin et d’Ardorel. Celle-ci lui fut accordée en 1145 par un bref du pape qui donnait à Valmagne pour chef immédiat l’abbé cistercien de Bona Vallis, Bonnevaux, en Dauphiné au diocèse de Vienne. Mais les abbés de Cadouin et d’Ardorel, bien qu’encouragés par Raymond Trencavel à se rattacher à Cîteaux, opposèrent des difficultés. D’autre part Cécile, la mère de Trencavel, n’admettait point de quitter l’ordre de Fontevrault auquel elle était très attachée et voyait avec peine cette abbaye perdre une fondation à laquelle, avec son mari, Bernard Aton, elle avait contribué.
Cependant, Valmagne sera définitivement rattachée à l’Ordre en 1159, par une décision du pape Hadrien IV.  Comme il s’agit d’une affiliation, quelques moines de Bonnevaux viendront à Valmagne initier les religieux aux coutumes de l’Ordre, vérifier les chartes de donation, constater si le choix du lieu requiert toutes les conditions : solitude absolue, eau, importance du terroir. Selon les Constitutions de Cîteaux promulguées en 1119 au Chapitre Général présidé par Hugues de Mâcon, Saint Bernard et dix religieux tous décidés à renouer avec la plus pure tradition originelle :

« Le monastère sera construit de telle façon qu’il réunisse dans son enceinte toutes les choses nécessaires, à savoir : l’eau, un moulin, un jardin, des ateliers pour divers métiers, afin d’éviter que les moines n’aillent au-dehors. »
Les religieux ont lu et médité la Charte de charité d’Etienne Harding troisième abbé de Cîteaux, sorte de constitution et de législation de l’Ordre, où tous les membres sont unis dans la charité :
« Séparés par le corps dans toutes les parties du monde , demeurons indissolublement liés par nos âmes… afin que dans toutes nos actions il n’y ait aucune discordance, mais que nous vivions selon la même charité, la même règle et les mêmes coutumes. »
L’église dont le site a été choisi avec soin, sur le point le plus élevé, sera bâtie selon la coutume, pour quatre-vingts moines, et l’unité de mesure sera le moine lui-même, revêtu de sa coule blanche.
Comme Cîteaux impose le travail manuel, les moines profès, ceux qui ont fait profession de foi, qui ont prononcé des vœux définitifs de pauvreté, chasteté et obéissance, deviendront forgerons, tisserands. Beaucoup se réuniront dans le scriptorium ou salle des moines, où ils se livreront à l’écriture, car le manuscrit est indispensable pour réciter l’office, et petit à petit la bibliothèque tant conventuelle que chorale devra être créée.
D’autres seront les copistes de textes anciens, et permettront ainsi à l’Histoire de se perpétuer au cours des siècles. Les cisterciens vivent dans le silence ; la contemplation est la fin première de la stricte observance. Ils y seront poussés par la pénitence, le jeûne et l’abstinence. Leur vie dans le monastère sera rythmée par le son de la cloche. Elle sonnera dès deux heures en été, dès trois heures en hiver, pour l’Ave Maria, puis pour l’oraison, suivi de l’office des matines. À quatre heures ce sera la messe de Beata, et de là, les moines se rendront au chapitre. La cloche sonnera à nouveau pour la grand-messe, pour Sexte, None, puis Vêpres qui prolongeront l’action de grâce. La soirée se terminera par la lecture de Complies et le Salve.
Les frères convers, religieux et non pas moines, au sens propre du terme, paysans illettrés entrés en religion à l’âge mûr après avoir changé de vie, d’où leur nom de convers, du latin conversus, converti , peuvent séjourner hors de l’abbaye à la différence des profès. Ils vont donc mettre le domaine agricole en valeur. Ils sont dans la garrigue qu’ils ont défrichée pour semer le froment, l’orge, l’avoine des chevaux, et la vigne qu’ils planteront dans toutes les fondations où la terre peut la porter.
Aussi pour travailler au chantier de construction fera-t-on appel à la main-d’œuvre avoisinante, et cherchera-t-on un maître tailleur de pierre.
Autour de l’église toute simple, en forme de croix latine, s’élève le cloître, où suivant le plan s’organisent à l’est l’armarium  ou bibliothèque, la sacristie, la salle capitulaire, l’auditorium qui communique avec l’infirmerie, et enfin le scriptorium. À l’étage, le dortoir des profès occupera toute cette aile est.
Au sud, on bâtit le chauffoir, la cuisine et le réfectoire, tandis que, selon l’usage, l’aile ouest sera réservée aux frères convers qui seront ainsi près de la « basse-cour » pour tous les travaux agricoles.
Pendant que le monastère sort de terre, les donations et acquisitions se succèdent : fiefs de Marcouïne, Fondouce, Valautre et Veirac ; privilèges à Cabrials, Mèze, Paulhan, Canvern et Loupian ; droits consentis, par le comte de Roussillon, d’avoir une barque sur l’étang de Mèze, par Pierre de Pézenas, de moudre dans ses moulins ; exemption de Guillhem de Montpellier accordée à tous les religieux de l’Ordre et à Valmagne en particulier, dans la ville ; exemption, également, sur les terres de Raymond de Toulouse, reçue en 1175 par Jean Abbé, lequel recevra Gui Guerrejat ses quatre moulins de Paulhan sur l’Hérault.
Il est impossible de signaler toutes les donations tant elles se multiplient, enrichissent l’abbaye, et dont Amédée songe à consigner la glorieuse histoire en un cartulaire qu’il charge un moine du nom d’Adhémar de rédiger.
Le cartulaire de Valmagne se compose de deux gros volumes in-folio, reliés en bois recouvert de cuir. Il semble avoir été commencé en 1185 et ne va pas au-delà de l’année 1225, mais contient près de 900 chartes.
Toutes ces abbayes possédaient également ce qu’on appelait des « granges ». Ces granges étaient des exploitations agricoles, souvent éloignées de plusieurs lieues de la maison mère, où les frères convers se rendaient au printemps pour y faire les semailles, puis la moisson terminée, ils s’en retournaient à leur abbaye pour l’hiver. Ainsi Valmagne possédait des granges à Fraisse et à Murat et plus près, celles du Mas Del Novi, Saint-Martin-de-la-Garrigue, Valjoyeuse. Mais Valmagne était encore plus solidement implantée aux portes de Béziers avec la très importante grange d’Ortes.

Enfin, outre la protection du Saint-Siège, ces abbayes étaient protégées soit par le roi, soit par le suzerain du comté auquel elles appartenaient.
La complexité de la structure médiévale faisait que Raymond Trencavel rendait hommage au comte de Toulouse pour la majeure partie de ses terres, mais au roi d’Aragon pour quelques autres.
Car en 1204, Montpellier était passé dans la famille d’Aragon, par le mariage de Pierre II avec Marie avec Marie de Montpellier. Puis la seigneurie de Montpellier passa dans le royaume de Majorque avec Perpignan et les Baléares , le Roussillon et la Cerdagne. Ce royaume éphémère (1276-1343) avait été détaché du royaume d’Aragon en faveur du fils cadet Jacques. En 1349, le roi de Majorque, Jacques III, vendit Montpellier à Philippe VI de Valois. Aussi, pendant toute cette période, l’abbaye sera protégée par la famille Trencavel et par les rois d’Aragon.

Abbaye Sainte-Marie de Valmagne - Association French Baroudeur

Le rôle des abbés réguliers dans la croisade des Albigeois et dans la construction de la nouvelle église

Mais l’histoire de Valmagne est liée à l’Histoire elle-même, et si sa fondation remonte au « Siècle d’Or », expression qui désigne le XIIème siècle comme siècle cistercien par excellence , son ensemble architectural actuel va nous fournir des indices et même des preuves de cette histoire, là où les archives feront défaut.

La première période de l’Histoire de Valmagne est une période de grande richesse et d’expansion, pendant laquelle l’abbaye est dirigée par des abbés réguliers, c’est-à-dire élus par le vote des moines eux-mêmes. Certains furent obscurs, d’autres se rendirent célèbres.
Ainsi, Pierre d’Autun participa en 1206 à Villeneuve-lès-Avignon à l’assemblée présidée par le légat du pape, Pierre de Castelnau, dont l’assassinat à Saint-Gilles le 14 janvier 1208 déclencha la croisade des Albigeois. De nombreux chevaliers passèrent ainsi non loin de Valmagne, en empruntant l’ancienne Voie Dimitienne, pour aller franchir l’Hérault à Saint-Thibéry par le pont romain encore en usage au Moyen-Âge , avant de gagner Béziers  où le massacre commença, et de poursuivre vers Carcassonne. Là, du haut des remparts de la porte Narbonnaise, le vicomte Raymond II Trencavel observait la progression de cet ost redoutable. Il était le petit-fils de celui qui avait participé à la fondation de Valmagne, et mourut dans un cul-de-basse-fosse, officiellement de dysenterie.
Bernard de la Costa est animé de la même ardeur à combattre l’hérésie. Il est présent au concile de Narbonne, mais c’est surtout à la bataille de Muret qu’on le trouve, contre Pierre d’Aragon et Raymond de Toulouse. Pierre II, le roi d’Aragon, vainqueurs des Sarrasins à la bataille de Las Navas de Tolosa, le roi très chrétien qui cette fois a choisi de défendre son beau-frère Raymond IV, en repassant dans le camp des hérétiques. Ce grand seigneur y fut tué, tandis que Raymond IV s’enfuyait avec sa milice toulousaine.
À la suite de cette bataille de Muret, la mort de Pierre II, l’écrasement de son armée, de celle du comte de Toulouse et le massacre de 15 000 Méridionaux, d’après la chronique de Pierre des Vaux de Cernay, l’abbé de Valmagne et quelques autres prélats firent à l’adresse du pape un récit détaillé, où ils racontèrent « qu’avec 3 000 hommes, ils en défirent 10 000 qui s’enfuirent devant Montfort, comme la poussière dans le vent. »
Bertrand d’Auriac fur nommé abbé en 1245. Il sera chargé par un mandat apostolique de surveiller les religieuses de l’abbaye Saint-Félix-de-Montceau et les bénédictines du Vignogoul.
Il assistera en 1247 à la cession que fit le dernier des Trencavel au roi Saint Louis, et recevra du roi d’Aragon, seigneur de Majorque et de Montpellier, l’ancien cimetière des juifs pour y fonder le collège de Valmagne, qui brilla pendant un certain temps d’un vif éclat dans cette ville universitaire de grande renommée. 
Mais en 1257, Bertrand d’Auriac obtient de Raymond Fabri, évêque d’Agde, la permission de construire une nouvelle église. En fait, les cisterciens ne dépendaient que du pape, mais saint Bernard estimait que la hiérarchie primant tout, l’abbé devait obéir à l’évêque, l’évêque à l’archevêque, et l’archevêque au pape, même si la Charte de charité exigeait de l’évêque le respect de la liberté des moines à l’intérieur de leur abbaye.

En effet, depuis quelques temps déjà, les moines songeaient à s’agrandir et 5 000 sols melgoriens avaient déjà été recueillis à cet effet.  On n’hésitera pas à démolir l’église primitive romane, construite cent ans plus tôt, pour rebâtir sur ses fondations mêmes.
L’abbé fera appel pour cette nouvelle construction à des maîtres d’œuvre du nord de la France, et cette fois Valmagne va atteindre cette « démesure » qui se généralise dans l’Ordre tout entier.
« Le Cîteaux des XIIIe et XIVe siècles n’est plus celui du XIIe. » La voix de saint Bernard s’est tue en 1153, et cent quatre ans ont passé avant que l’on entreprenne la construction de la nouvelle église de Valmagne. Les moines sont gens qui vivent avec leur temps, et ils inspirés par ces grandes cathédrales du nord de la France et de l’Europe septentrionale. Ils vont apporter en Languedoc, avec cet art nouveau, un des premiers exemples de gothique rayonnant qui allie l’idée de hauteur vers la lumière à la recherche de l’effet esthétique , vingt ans avant les nefs de Saint-Just de Narbonne, de Saint-Étienne de Toulouse et de la cathédrale de Rodez.
Leur église abbatiale aura 83 m de long et 23 m de haut, 10 m seulement de moins que Notre-Dame de Paris, construite sur un plan basilical, en forme de croix latine. Les bas-côtés se poursuivent par un déambulatoire sur lequel s’ouvrent sept chapelles rayonnantes. La nef principale est couverte de sept travées sur croisées d’ogives. Ces travées sont séparées par des piles d’une grande élégance, doublées d’un faisceau de trois colonnettes engagées qui reçoivent les nervures de la voûte.
Quatre piliers composés reçoivent les nervures de la croisée du transept. L’abside est couverte par un ensemble de huit voûtains portés par huit branches d’ogives. Dans de belles couleurs de bleu, la clef de voûte représente le couronnement de la Vierge, tandis que la clef de voûte de la travée du chœur représente saint Bernard et saint Benoît, ces sculptures remarquables sont, hélas, trop souvent ignorées.

L’espace qui sépare les piles du chœur va en diminuant  vers le chevet, ainsi les arcs qu’elles soutiennent se brisent de plus en plus, accentuant par ce subtil procédé l’effet de perspective.

La construction de cette majestueuse église est onéreuse, les moines se sont lancés dans une entreprise de grande envergure, et cet énorme chantier nécessite un personnel important qu’il faut loger, nourrir et rétribuer tant soit peu. En 1274, Jean III, abbé qui succède à Bertrand d’Auriac, reçoit du même bienfaiteur, Jacques d’Aragon, le pont de Lunel. C’est une aubaine pour l’abbaye, qui va désormais toucher le péage de ce pont sur le « cami salinié » qui court de Frontignan à Nîmes par Auroux, Mudaison, Candiargue, et par lequel se fait le transport du sel.


La décadence et la guerre de Cent Ans

Dans l’église abbatiale va se dessiner l’histoire de Valmagne. Elle se lit dans les modifications apportées au cours des siècles. Elle se lit dans chaque piler, dans chaque ogive, dans chaque pierre.

Au-dessus des grandes arcades, les fenêtres hautes sont murées, murées également les fenêtres hautes de l’abside, la grande prose au-dessus du portail de l’entrée, les roses dans chacun des bras du transept. Quel vaisseau de lumière était l’église de Valmagne avant que ne soient fermées ces ouvertures ! Quelle somptuosité à l’égal des grandes cathédrales du Nord, dans ce Languedoc où les églises se ferment sous l’ardeur du soleil. Six fenêtres hautes ont été rouvertes entre 1995 et 1996 !
Ces oblitérations datent de 1635, mais, entre-temps, que d’événements vont affecter Valmagne, et l’Ordre tout entier, qui vont être en butte aux terribles crises économiques, politiques et sociales qui secouent le pays.

Au début du XIVe siècle, une terrible famine sévit sur l’Europe, et un demi-siècle plus tard, le Languedoc aussi est affamé. La mise en valeur des terres est arrêtée a cause des intempéries. En 1348, la peste noire venue de Crimée répand la mort avec une rapidité foudroyante. Le nombre de moines diminue, certains s’enfuient de leur monastère de peur du fléau, et supportent mal, s’ils reviennent, l’austérité de la règle.
Les opérations militaires de la guerre Cent Ans ravagent les campagnes, mais les périodes d’accalmie sont aussi redoutables, car les routiers torturent, massacrent et tuent pour voler. Un certain Seguin de Badafol qui terrorise la région, obligera l’abbé de Valmagne a faire des fortifications dans son abbaye.
Cette période de tristesse est de désolation qui n’est pas propre à Valmagne, mais qui est le lot de beaucoup d’abbayes et d’une grande partie du pays, va se poursuivre. Valmagne commencera à connaître des difficultés croissantes, qui aboutiront à l’inféodation d’une partie du domaine, et en premier des terres de Fondouce et Marcouine. Petit à petit les immenses propriétés de l’abbaye disparaîtront.


La mise en commende et les guerres de Religion

On pensait alors que ces abbayes étaient mal gérées. C’est pourquoi intervint la « commende ». Les abbés, qui étaient autrefois élus par le vote des moines, furent désormais nommés par le roi pour assurer la gestion et le pape les autorisait à empocher les bénéfices, d’où de bien nombreux abus.

Valmagne fut ainsi mise en commende à partir de l’année 1477, au bénéfice de nobles Languedociens, les familles de Lauzières et de Villeneuve.
Depuis 1560, la région est troublée par les guerres que se livrent catholiques et protestants.
Le siège d’Agde en 1567 est un des épisodes les plus importants de cette guerre d’embuscades , d’escalades et de sièges mis devant les villes restées catholiques.
En 1571, à Valmagne on ne dit plus la messe, car les moines n’ont plus d’abbé. Celui-ci, bien qu’il soit le neuve d’Aymery de Saint-Séverin, le très catholique évêque d’Agde, s’est rangé du côté des réformés.  Vincent Concomblet de Saint-Severin avait ses quartiers tantôt à Montagnac tenu par la religion réformée, tantôt à Lezignan-l’Evêque dont il était gouverneur. De là, il faisait chaque jour des sorties en réquisitionnant le bétail des paysans, pour le ravitaillement de ses troupes. Un jour de l’année 1575, il vint à leur tête mettre le siège de sa propre abbaye, la prit d’assaut, tua ceux des catholiques qui s’étaient réfugiés et les religieux qui tentaient de s’opposer à ce massacre, dont un vieux moine de quatre-vingts ans appelé Nonenque, qui fut pendu.
D’édit en édit, Amboise, Poitiers puis Nantes en 1598 de paix en paix, Longjumeau, Saint-Germain, Beaulieu, de massacre en massacre, Vassy, Saint-Barthélémy, et de roi en roi, Henri II et ses trois fils, jusqu’au rétablissement de la paix par Henri IV, le royaume de France avait vécu plus d’un demi siècle de guerres.
L’abbé de Saint-Séverin étant mort dans des circonstances inconnues, Pierre VIII de Guers fut nommé en 1578.  Entre-temps, l’abbaye abandonnée par les religieux et livrée aux brigands, avait failli être rasée par Damville, alors gouverneur du Languedoc, qui avait pris le titre de duc de Monmorency après le décès de son frère le connétable. De sa résidence de Pézenas, il tentait d’assainir la région.
Valmagne survivra à ce funeste projet, mais dans un état lamentable. Depuis 1575, les fenêtres au-dessus des grandes arcades, les rosaces, présentent des ouvertures béantes. Les vitraux sont à jamais brisés. Il n’y a plus de porte ni de fenêtre. Aussi le chapitre assemblé décida la vente de plusieurs domaines de l’abbaye, afin de parer au plus pressé.

Il faudra près d’un siècle pour que Valmagne retrouve un peu de sa splendeur passée. Mais jamais ne seront remis les vitraux de l’église abbatiale ; le manque d’argent pour faire appel à des maîtres verriers, cette facture du nord où les ouvertures offrent trop de prise aux vents violents du Languedoc, obligent les moines en 1635 à pressentir Michel Gaudonnet, maître maçon de Saint-Pargoire, pour « fermer toutes les ouvertures de la grande église étant convenu que deux fenêtres resteraient en l’état telles qu’elles sont ».
En 1624, Jean Thomas, le célèbre maître d’œuvre qui construisit le pont sur l’Hérault et la halle de Pézenas, fut appelé pour réparer la voûte abbatiale «  sans en rien abattre ».
Les familles de Guers et de Vairac contribueront largement à cet effort de renouveau dont Valmagne est maintenant l’objet. Leurs armes en partie martelées figurent sur le socle surmonté de la belle Vierge en marbre de la chapelle du chevet. Les armes de la Dame de Paulhan, veuve de Guers, seront apposés sur le lavabo du cloître, que les frères Hugolz, maîtres fontainiers de Saint-Jean-de-Fos, furent chargés d’éxécuter. Il était précisé qu’ils devaiet « refaire la fontaine à Griffouls qui, anciennement voulait être dans le cloître de la dite abbaye, et par le même cours ancien qui traverse la grande église ».
Au cours du XVIIe siècle, les galeries du cloître furent revoûtées ; la date de 1610 se remarque sur une clef de voûte de la galerie est, face au parloir.

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Le renouveau et la période fastueuse au temps du cardinal de Bonzi

La seconde moitié du XVIIe siècle dotera Valmagne d’abbés commendataires d’origine italienne. Victor Siri fut le premier d’entre eux. Ami de Richelieu puis de Mazarin, il vit peu à Valmagne et abandonne l’administration au prieur Dom Maffre, qui continuera la restauration, en faisant refaire en 1663 la galerie ouest du cloître. Son nom est inscrit sur une des voûtes du réfectoire, où l’on dit : « Dedit N.DO Maffre Prieur des Moines 1665 ». Ce réfectoire, contrairement à la règle, est parallèlement au cloître et non perpendiculaire.

Le cardinal Pierre de Bonzi, de haute noblesse florentine, administrera Valmagne de 1680 à 1697. C’est un brillant personnage que Louis XIV nomme d’abord évêque de Béziers, dont le siège était devenu vacant par la mort de son oncle Clément de Bonzi, et où sa famille avait déjà fourni en cent ans, cinq évêques et un coadjuteur. Il est chargé par le roi de négociations et d’ambassades extraordinaires à Venise, en Pologne, et en Espagne, et sera vite remarqué pour ses très brillantes qualités, aussi fut-il nommé archevêque de Toulouse, où, il reçut en 1672 le chapeau de cardinal. Il était aussi l’aumônier de la reine Marie-Thérèse.
En 1673, Louis XIV le fit passer au siège de Narbonne, afin de pouvoir lui confier le gouvernement des États du Languedoc, puisque l’archevêque de ce siège recueillait de droit cette présidence.
Le cardinal de Bonzi joua un grand rôle en Languedoc : Saint-Simon dit qu’il en fut longtemps le véritable roi par l’autorité de sa place, son crédit à la cour et son amour de la province.

Il fera de Valmagne un véritable  palais épiscopal, rehaussa le cloître d’un étage, en supprimant le dortoir et en aménageant le long d’un vaste corridor des chambres avec alcôve et oratoire, où les portes sont ornées de trumeau. Un magnifique escalier de pierre bordé d’une rampe en fer forgé y accédera. Le parloir sera percé d’une porte qui s’ouvre sur des jardins à la française.

Les fréquents séjours à Versailles et les fêtes données dans le jardin de Le Nôtre avaient certainement inspiré le cardinal les aménagements faits à Valmagne : une terrasse exposée au midi donne accès par un escalier à double révolution vers les jardins au milieu desquels se trouvait alors un bassin en longueur. Au fond, la statue de Neptune reposant dans une vasque est surmontée d’une coquille. Entre les jambes du dieu des eaux, un dauphin, par sa gueule ouverte déverse un jet d’eau dans la vasque. De magnifiques vases couronnés de fruits variés agrémentaient ces jardins. Ils se trouvent actuellement dans la salle capitulaire.
L’époque n’est plus à la rigueur monastique, et le cardinal entend vivre à Valmagne comme on vit à la Cour. On y est servi par une armée de domestiques, on y vit dans l’aisance et le raffinement, car ce grand prélat mondain a une fortune personnelle considérable, et n’exigera pas les bénéfices que l’abbaye pourrait lui servir, bien au contraire, il va consacrer les fonds nécessaires à cette résidence, à laquelle il s’est attaché d’une manière toute particulière.
Certes, la règle de saint Benoît y est fort relâchée, les mœurs y sont à l’instar de Versailles et de l’époque, d’une grande liberté. Emmanuel le Roy Ladurie, qui n’est pas tendre à l’égard du cardinal dans son Histoire du Languedoc, dit de lui : «  cet ecclésiastique malin et sensuel, amateur de beaux hommes et de jolies femmes, est l’exécutant zélé du pouvoir. » Il est vrai que les relations du cardinal avec Madame de Ganges n’étaient pas propres à lui conférer une auréole de sainteté.
On reçoit beaucoup à Valmagne, le cardinal traite royalement ses hôtes. Louvois, ministre de ‘Armement de Louis XIV, qui se redait aux eaux de Barèges en mai 1680, écrit à son cousin le marquis de Tailladet, qu’il a fait halte à l’abbaye, et qu’il y a trouvé « le plus grand dîner que l’on puisse faire. »

Informations utiles

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Tel: 04 67 78 06 09

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34560 Villeveyrac