Prenons de la hauteur...
Le château a été bâti sur une rupture de pente dominant le lit de la Charente. Le fleuve est tout proche, et sa proximité devait faciliter les circulations, par voie d’eau. On sait qu’on acheminait, majoritairement, par bateau les pierres de taille extraites des carrières de calcaire voisines. Le village de Crazannes est à l’écart aujourd’hui, mais a dû se former dans l’entourage immédiat du château et de l’église Sainte-Madeleine. Dans l’état actuel des connaissances, c’est bien cette église, comprise dans l’enceinte du château, qui est l’édifice le plus ancien sur le site. Son architecture et son décor permettent de la dater de l’époque romane (fin XIe – début XIIe siècle).
Les châtelains
À l’origine, propriété des seigneurs de Tonnay-Charente, le domaine changea souvent de propriétaires durant son histoire, par mariages ou par ventes. Le château appartint notamment au XIVe siècle à Pons de Mortagne, gouverneur du royaume de Navarre, puis au XVe siècle à Jacques Poussard, conseiller et chambellan du roi, avant de passer aux Rouhaud, grande famille de chevaliers de Saintonge. Puis il a appartenu à la famille du chancelier de Louis XI, les De Daillon.
Vint ensuite la famille Acarie. Cette famille de militaires protestants saintongeais acquit le château en 1447 et le conserva pendant plus de 300 ans, jusqu’en 1760. Nous relèverons quelques unes des charges des propriétaires d’alors, charges prestigieuses : ainsi Jean Acarie au XVIe siècle est gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, chevalier et capitaine au régiment des gardes du roi. Au XVIIIe siècle le propriétaire de Crazannes a le titre de gentilhomme de la vénerie du roi, et son fils élevé au titre de gentilhomme est attaché à la personne du Dauphin (le futur Louis XVI), dont il négociera le mariage avec Marie-Antoinette d’Autriche en tant qu’ambassadeur à Vienne, tout en étant également colonel au régiment de royal vaisseaux et chevalier d’honneur de Mme Victoire De France, tandis que sa femme était dame d’atours de la famille royale (habilleuse de la reine). Quant à la dernière descendante de la famille Acarie, elle épousa le petit-fils du surintendant Fouquet, Charles Louis Auguste Fouquet, marquis de Belle-Isle, chevalier des ordres du roi et de la toison d’Or, prince de l’Empire, ministre d’État, secrétaire d’État à la Guerre et maréchal de France.
En 1760, le château devint ensuite la propriété de la famille Chaudruc, puis au début du XIXe siècle celle de la famille Jouanneau et Oudet avant de revenir à nouveau à la famille Chaudruc en 1903.
Après avoir été la propriété de la famille Paste de Rochefort à la fin du XXe siècle, le château a appartenu à Jean-Pierre et Marie-Claude Giambiasi jusqu’en 2019. Le château de Crazannes appartient dorénavant à la famille Chenard.
Église Sainte-Madeleine
L’église est le bâtiment le plus ancien conservé sur le site aujourd’hui. Elle présente un plan très simple, rectangulaire. Mais son chevet plat résulte d’une transformation. Il était peut-être arrondi auparavant, comme c’est souvent le cas pour les églises romanes en Saintonge. La façade, simple, à l’ouest, s’ouvre par un portail voûté couvert de deux voussures en plein cintre, soulignées par une archivolte sculptée de « dents de loups ». Les chapiteaux des colonnes du portail sont ornés de feuillages de style roman. En partie haute, la façade se termine en un clocher-mur qui portait deux cloches.
À l’intérieur, la nef, où se tenaient les fidèles, est désormais sous charpente ; mais elle devait être couverte autrefois d’une voûte romane de pierre, en berceau (demi-cylindre). Cette dernière était soutenue par des arcs doubleaux reposant sur des colonnes couronnées de chapiteaux romans bien conservés. L’un d’eux présentent des masques/figures humaines.
Le choeur, où se déroulait l’office, a été reconstruit, au XIIIe ou au XIVe siècle si l’on en juge par le style des voûtes gothiques (croisées d’ogives). Le mobilier du début du XXe siècle provient d’une autre église de Rochefort et a été installé ici récemment. Autrefois, les murs étaient totalement enduits. On voit encore les traces d’une bande sombre (noire ou violette) : c’est une litre funéraire. On avait coutume de peindre une litre lors du décès d’un personnage important, généralement le seigneur inhumé dans l’église. La litre était ornée de blasons portant ses armoiries (on ne les voit plus ici). Cette pratique s’est répandue à la fin du Moyen Âge et était encore en usage aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Destructions et modifications !
Lorsque l’on se trouve dans la cour du château, aujourd’hui, nous avons le logis en face de nous et le donjon derrière, le reste étant ouvert. Hors au XIXe siècle cette cour était fermée sur trois côtés.
La grosse tour carrée n’était pas isolée. Seule dans le parc, face au château, cette tour carrée crénelée impressionne. La partie haute a été entièrement refaite au XXe siècle dans le style médiéval, avec un faux chemin de ronde et de faux créneaux. Hors, avant, cette tour formait un pavillon d’angle d’un grand bâtiment qui rejoignait le logis.
Maintes fois transformée, la tour est aujourd’hui devenue un hébergement de vacances qui se loue dans son intégralité sous forme de gîte avec salon, salle à manger, cuisine… Il peut recevoir une famille de 6 personnes.
Entre le château et la tour, un porche subsiste, seul au milieu des pelouses. Car si le château a conservé encore aujourd’hui la physionomie qu’il avait au XVe siècle, il a tout de même subit quelques modifications dans son histoire. Notamment au XVIe siècle lorsqu’il était la propriété de la famille Acarie. En 1565, Jean Acarie, désigné à l’époque comme meilleur capitaine de France, fait agrandir son château en construisant un grand bâtiment partant du château et traversant tout le parc pour se terminer au donjon. La partie gauche du château, plus récente, est construite avec des pierres différentes. Elle était en fait, le départ de ce grand bâtiment.
C’était un bâtiment de décoration Renaissance avec un seul étage, comportant au rez-de-chaussée des serres voûtées et sans doute des écuries, et à l’étage des salles richement décorées avec boiseries et cheminées en marbre. Plusieurs clichés du début du XXe siècle montrent clairement le long bâtiment rectangulaire fermant la cour nord entre le logis et la grosse tour carrée. Malheureusement, ce bâtiment n’existe plus car il a été détruit en 1926.
Pourquoi une telle destruction ?
En 1903, Roger Chaudruc rachète le domaine que ses ancêtres ont autrefois possédé au XVIIIe siècle. Mais la propriété est en très mauvais état : les bâtiments sont abandonnés et se sont dégradés, le château n’a plus de charpente ni de toiture, la chapelle et le pigeonnier menacent de s’effondrer, les douves sont envahies par les arbres et la végétation, le parc est un champ de ronces et d’orties où l’on fait paître les moutons…
En 1913, Roger Chaudruc décide de classer le château au titre des Monuments Historiques afin d’obtenir des subventions qui lui permettront d’entreprendre les premiers travaux de reconstruction. L’inspecteur des Monuments Historiques n’est pas satisfait des travaux effectués, les subventions ne sont alors plus versées. N’ayant pas assez d’argent pour continuer, Roger Chaudruc décide en 1926 de démanteler le bâtiment du XVIe siècle pour vendre les pierres.
En bas, une arche demeure encore dans le parc, elle servait à accéder aux écuries du bâtiment. Les pierres triangulaires ornaient autrefois la toiture du bâtiment : ce sont des acrotères. Sur la terrasse du château, une autre arche permettait d’accéder au premier étage du bâtiment composé de grandes pièces de réception.
Le logis
Le grand logis précédé d’une terrasse correspond à la partie centrale du château, où logeait le seigneur de Crazannes dès la fin du Moyen Âge. Ce type d’architecture est répandu dans la seconde moitié du XVe siècle. Ce logis conserve encore l’allure défensive d’un château fort, avec sa grosse tour ronde couronnée d’un chemin de ronde. Mais les grandes fenêtres ouvertes sur la cour montrent cependant qu’on se souciait moins de se protéger et de s’enfermer, que de profiter du soleil et des vues sur le jardin. il n’a pas été bâti en temps de guerre. C’est un édifice de transition (Moyen Âge / Renaissance), élevé plutôt dans les années 1500.
On compte aujourd’hui trois niveaux sur le corps de logis rectangulaire :
- Un rez-de-chaussée,
- Un étage avec de grande fenêtres,
- Un niveau sous combles éclairé par des lucarnes.
Autrefois, il existait un étage supplémentaire comme en témoignent d’anciens dessins. Le bâtiment a été ruiné et arasé au début du XXe siècle, juste au-dessus du 1er étage. Cette splendide façade est surprenante par la richesse de sa décoration et elle est tout à fait inattendue pour un petit château de campagne. Ces sculptures ont été réalisées fin XVe – début XVIe siècle.
Étudiée pour la première fois en 1987, cette façade n’a sans doute pas livré tous ses secrets et continue d’intriguer encore aujourd’hui. Trois grands thèmes semblent présents :
- Le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle,
- La représentation de curieux personnages agenouillés, hommes sauvages ou sarrasins
- Des représentations alchimiques.
Vous avez dit "Chat Botté" ?
Le Chat Botté ne fut pas propriétaire de Crazannes, mais c’est dans le courant du XVIIe siècle que le château devint la propriété d’un certain Jules Gouffier qui épousa une fille de la famille Acarie. Ce personnage est devenu célèbre sous le nom du Marquis de Carabas, le maître du chat dans le conte du Chat Botté écrit par Charles Perrault.
Le Marquis de Carabas a donc réellement existé et en visitant Crazannes, vous visiterez son château. Jules Gouffier était en réalité Comte de Caravaz, un titre italien, et Charles Perrault qui l’avait rencontré à la cour avait été très impressionné par ce personnage très riche et haut en couleurs. A tel point qu’il s’est inspiré de lui au moment d’écrire son conte du Chat Botté en modifiant légèrement son nom. Ainsi le Comte de Caravaz devint le Marquis de Carabas, et le Château de Crazannes devint tout naturellement le « Château du Chat Botté ».
Notons que l’histoire du Chat Botté n’est peut-être pas aussi innocente qu’elle y parait. En effet, il faudrait voir à travers cette histoire d’un personnage qui devient riche par ruse, une critique de la façon dont la famille Gouffier aurait rapidement acquis sa fortune au XVIe siècle…